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L'avènement du romantisme : 1815-1830






LA PRESSE SOUS LA RESTAURATION



Une liberté surveillée



Aussitôt que Napoléon a abdiqué, le 8 mars 1814, le Sénat fait appel aux Bourbons. Louis XVIIIe, frère de Louis XVI, monte sur le trône. La Charte «octroyée» au peuple français est datée de la dix-neuvième année du règne; elle se présente donc comme une négation de la France révolutionnaire et impériale, même si elle reconnaît les principes fondamentaux de liberté, d'égalité et de propriété. Les Chambres sont au nombre de deux : une Chambre des pairs, nommée par le roi, et une Chambre des députés, élue au suffrage censitaire. L'intermède des Cent-Jours ne change rien aux institutions, mais les dures conditions imposées à la France par les alliés (traités de Vienne, 1815) donnent le sentiment que le roi est revenu « dans les fourgons de l'étranger». Même s'il doit parfois composer avec les « ultraroyalistes » de la Chambre, Louis XVITI tente d'inspirer à ses gouvernements une politique modérée; mais son frère Charles X, qui lui succède en 1824, demeure fidèle aux idées d'Ancien Régime. Une série de quatre ordonnances, signées par lui le 25 juillet 1830, va provoquer une insurrection populaire et mettre fin au régime.



La première des ordonnances prétendait supprimer la liberté de la presse. Celle-ci n'avait été rétablie que sous surveillance par la Charte de 1814; Fouché, ministre de la Police, nommait à la tête de chaque grand titre un «rédacteur» qui répondait notamment de l'attachement de son journal à la personne du roi, et des mesures étaient prévues pour réprimer les abus. Libérée par les lois de Serre (mai-juin 1819), la presse est de nouveau soumise à la censure après l'assassinat du duc de Berry (13 février 1820), qui donne aux ultras l'occasion d'imposer leurs vues, avant que l'étau ne se desserre à nouveau en 1822. Les journaux profitent si bien de cette liberté, au début du règne de Charles X, qu'une loi dite «de justice et d'amour» («loi vandale», dira ChateaubrianD) menace de l'étrangler; son retrait (17 avril 1827) sera salué par des illuminations dans la France entière. On comprend que le souverain et son ministre Polignac couraient au suicide en inscrivant l'offensive contre la presse au premier rang de leur tentative de reprise en main du pays.



Le rôle de la presse



Sous la Restauration, la presse commence à s'affirmer dans ce rôle qui sera le sien sous tous les régimes libéraux et démocratiques : celui d'un contre-pouvoir.



À droite : l'éphémère Conservateur, mais surtout le Journal des Débats (titre le plus distribué avec 23 000 abonnés en 1815, mais seulement 13 000 dix ans plus tarD), qui s'enorgueillit de la collaboration de Chateaubriand et défend le principe de la monarchie constitutionnelle, tandis que La Quotidienne et Le Drapeau blanc affichent leur nostalgie pour les valeurs de l'Ancien Régime et que la Gazette de France suit une ligne plus indécise. À gauche. Le Nain jaune, qui avait salué avec enthousiasme le retour de l'Empereur pendant les Cent-Jours, doit s'exiler en Belgique lors de la Seconde Restauration. La censure est parfois tournée grâce à des artifices : le Mercure de France, où Benjamin Constant défend les principes du gouvernement constitutionnel, est supprimé en 1817, mais cède la place à La Minerve, qui développera de 1818 à 1820 une hostilité bien plus virulente contre le régime. Le Constitutionnel, libéral et fortement anticlérical, connaîtra un succès croissant, en particulier dans les cafés et les cabinets de lecture qui, le prix des abonnements étant élevé, assurent aux journaux leur meilleur rayonnement. Citons aussi Le Courier (écrit à l'anglaisE), fondé notamment par Royer-Collard et Villemain et animé par Guizot, qui compta Charles de Rémusat parmi ses collaborateurs et attaqua violemment la presse de droite avant de devenir, en 1820, sous le nom de Courrier fiançais, un des principaux soutiens du parti libéral. Enfin, fondé en 1824, Le Globe se présente comme également éloigné du jacobinisme républicain et de l'absolutisme monarchique. D'un anticléricalisme modéré, il réserve ses attaques les plus dures aux jésuites et aux ultramontains. On le trouve surtout attaché au libéralisme qui assure le progrès économique.



Reflet du débat d'idées aux plans politique et religieux, la presse joue également un rôle de plus en plus actif dans les querelles littéraires. Héritiers du Siècle des lumières, les libéraux défendent la tradition dans Le Constitutionnel, mais aussi dans Le Courrier français ou La Minerve littéraire, contre les audaces des premiers romantiques. Le combat s'engage en effet à front renversé, paradoxe que nous avons laissé deviner en soulignant le retard du mouvement romantique français. Gens de progrès en politique, fidèles aux vertus de la raison et généralement anticléricaux, les descendants de Voltaire sont des classiques. Croyant aux vertus de la sensibilité et trouvant, comme les Allemands une génération avant eux, une partie de leur inspiration dans la tradition chrétienne enracinée au Moyen Âge, les romantiques se présentent comme des défenseurs ardents de la monarchie. Ainsi le jeune Hugo collabore-t-il à ses débuts au Conservateur littéraire (1819-1821), patronné par Chateaubriand, et à La Muse française, revue fondée en 1823 et qui disparaîtra en juin de l'année suivante, quelques jours après que Chateaubriand a été chassé du ministère des Affaires étrangères. Le paradoxe ira s'atténuant du moment où les tenants du classicisme conviendront de la nécessité de le rénover et où les théoriciens de la Contre-Révolution, effrayés par la turbulence de la jeune génération, renoueront avec la tradition. Le Globe, auquel collaborera en particulier Sainte-Beuve, adopte en ce domaine aussi une position d'équilibre; on le voit bien disposé envers le romantisme, mais réticent parfois devant les ouvres de Hugo et de Lamartine. « Le romantisme », écrit dans ses colonnes Louis Vitet le 2 avril 1825, «c'est la loi de la nécessité, la loi de tout ce qui passe, de tout ce qui change, la loi de toutes les choses en ce monde. » Définition indulgente et peu compromettante... Au moins Le Globe sait-il préparer ses lecteurs à la révolution dramaturgique dont la^iréface de Cromwell (1827), de Victor Hugo, offrira un premier manifeste : dès 1824, les comptes rendus qui paraissent dans ses colonnes plaident pour un renoivellement de la scène que le drame romantique accomplira avec éclat. Le Mercure du XIXe siècle marque de même, à partir de 1825, une sympathie croissante pour le mouvement romantique.



LE MOUVEMENT DES IDÉES



Le débat politique



Le climat de liberté intermittente et généralement surveillée que connaît la presse pendant la Restauration se retrouve dans l'enseignement universitaire. Victor Cousin (1792-1867) est chassé de la Sorbonne en 1820 pour ses opinions libérales; Guizot (1787-1864) connaît le même sort en 1822 après avoir ouvert un cours sur l'origine des gouvernements représentatifs (tous deux seront réintégrés sous le ministère Martignac en 1828). Grand maître de l'Université, puis ministre de l'Instruction publique jusqu'en 1828, l'abbé Frayssinous s'illustre en supprimant l'École normale, en 1822. Oubliant que le régime de l'Empire n'était pas moins despotique et n'en retenant que son éclat, encore enflammés d'un patriotisme mis à vif par l'humiliation des traités de Vienne, les libéraux idéalisent de plus en plus la figure de Napoléon. Béranger, devenu après 1815 le chantre de l'épopée impériale, publie en 1821 des poèmes violemment hostiles aux Bourbons qui lui valent trois mois d'emprisonnement et une immense popularité, surtout auprès de la jeunesse. La gloire littéraire de Béranger surprend, aujourd'hui (voir p. 43). Que ceux qui exaltent la liberté ne soient pas à la pointe de la nouveauté en littérature, on en aura confirmation avec Paul-Louis Courier (1767-1825), qui mourra assassiné. Ses pamphlets continuent, avec leur style net et incisif, la tradition des moralistes du xvnc siècle; mais Courier est aussi l'auteur de jolies poésies dans lesquelles le sentiment de la nature fait moins écho aux accents de nos écrivains préromantiques qu'aux exercices savants des poètes grecs alexandrins. Le « progressisme » politique sera pourtant défendu bientôt par des poètes dont l'expression est mieux en accord avec notre sensibilité. Alors qu'en 1822 Hugo appelait l'Empereur « Buonaparte », à l'instar de Chateaubriand huit ans plus tôt, le comparant selon la tradition instaurée par Joseph de Maistre à un «fléau vivant», il l'appellera .'« Aigle » à partir de 1827, quand il s'éloignera des monarchistes.



. La pensée contre-révolutionnaire bénéficie de la plume de Lamennais (1782-1854), dont l'Essai sur l'indifférence en matière de religion (1817-1823) prolonge à la fois Le Génie du Christianisme et les écrits polémiques de Joseph de Maistre. Aux côtés de ce dernier, il dénonce le gallicanisme, simple religion d'Etat, mais aussi le déisme des Lumières et de certains révolutionnaires, coupable de fonder la religion sur la raison plutôt que sur le sentiment. La foi remportera chez lui sur les opinions légitimistes; l'ultramontanisme ardemment défendu par J. de Maistre lui apparaît bientôt aussi éloigné des vrais principes de l'Évangile que le gallicanisme, dans la mesure où le pape, soucieux de son pouvoir temporel, n'est qu'un souverain parmi d'autres. Fondateur, en 1830, avec Montalembert et Lacordaire, d'un journal intitulé L'Avenir qui défendra la pureté du catholicisme contre le pouvoir grandissant de la bourgeoisie matérialiste et athée, il se fera le champion d'un catholicisme libéral et démocratique, allant dans Paroles d'un croyant (1834) jusqu'à la rupture avec l'Église officielle. Dans les dernières pages des Mémoires d'outre-tombe, Chateaubriand rendra hommage à ce « fidèle professant l'hérésie », qui «parle ma langue avec des idées qui ne sont plus mes idées», espérant le retrouver après leur mort « sur le même rivage des choses étemelles ».



. M libéral, ni réactionnaire : le groupe des « Doctrinaires ». Son représentant le plus éminent est Royer-Collard (1763-1845), défenseur de la Charte, qui mérite une petite place dans l'histoire de notre littérature par la qualité de ses discours. On le voit, en 1826-1827, s'associer à des libéraux comme Benjamin Constant et à des penseurs d'extrême droite comme La Bourdonnaye pour combattre la « loi vandale » qui menace la presse. Guizot, qui fut son disciple, évoque dans ses Mémoires son « esprit libre et sensé, étranger à toute passion, à tout entêtement de sectaire, et fort éloigné, soit comme catholique, soit comme philosophe, de s'engager, avec l'Église, dans d'obscures et interminables querelles ». C'est cet état d'esprit que Guizot prétendra faire triompher sous la monarchie de Juillet quand il aura la responsabilité principale de la politique du gouvernement.



Les utopistes



La Restauration est marquée par les débuts (timideS) de ce qu'il est convenu d'appeler l'âge industriel. Claude Henri de Saint-Simon (1760-1825) s'est illustré sous l'Empire par l'Introduction aux travaux scientifiques (1807-1808) où perce son ambition de poursuivre l'entreprise de l'Encyclopédie de Diderot et de D'Alembert. Il y définit la pensée comme une « attraction matérielle », « un résultat du mouvement du fluide nerveux ». Dieu n'est pour lui qu'une entité commode pour désigner l'idée de Nature et pour diriger les masses. La guerre dans laquelle s'enfonce l'Empereur pendant les dernières années de son règne conduit Saint-Simon à définir, pour préserver l'avenir de la paix, les conditions de la création d'une Europe unie. Sous la Restauration, sa revue L'Industrie (1815-1819) se présente comme un trait d'union entre «l'industrie scientifique et littéraire» et «l'industrie commerciale et manufacturière». Il entend par « industrie » le travail sous toutes ses formes, y compris celui de la terre; la «classe industrielle», largement majoritaire dans le pays, doit s'unir pour imposer sa volonté aux oisifs (aristocrates, rentiers...). L'Organisateur ( 1820), puis Du système industriel ( 1821 ) exposent les moyens pour parvenir au «régime industriel»; le second de ces ouvrages, conseillant au roi une « dictature » capable de mettre fin au « régime féodal et théologique », définit les principes de l'utopie saint-simonienne, qui prévoit notamment l'institution d'un «catéchisme national» scientifique (dont Saint-Simon publiera séparément les principeS), l'extension de l'enseignement à tous, la création d'un «conseil d'industriels » et l'abolition des titres de noblesse. Enfin, son Nouveau Christianisme (1825) prêche pour une utilisation de la religion chrétienne en faveur de l'amélioration des conditions de vie de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. La fonction de l'art n'est pas négligée dans l'utopie saint-simonienne : celui-ci doit être mis au service «d'un bonheur universel et d'une perfection indéfinissable ».

Charles Fourier (1772-1837), dont l'influence sur la pensée économique de son temps sera moins grande que celle de Saint-Simon, donne à l'utopie une dimension poétique indéniablement supérieure. Son ambition, en 1818, est de «refaire l'entendement humain et d'oublier tout ce qu'on a appris». D'une ouvre abondante, on retiendra surtout Le Nouveau Monde industriel et sociétaire (1829). Pour Fourier, l'harmonie universelle doit se refléter dans la société des hommes en permettant l'épanouissement du désir. Le phalanstère, où la répartition des caractères et des sexes résulte d'un mode de calcul très compliqué, est l'unité imaginée par lui pour que s'accomplisse cette harmonie. Sa théorie a trouvé des disciples jusqu'au XXe siècle. «Les inventions de Fourier sont déjà moins folles aujourd'hui qu'hier», écrit Gilles Lapouge (Utopie et civilisations, «Champs», Flammarion, 1978, p. 272). Roland Barthes le range aux côtés de Sade et de Loyola parmi les grands visionnaires. Dans son Anthologie de l'humour noir, André Breton avait déjà rendu hommage à cet esprit bizarre chez qui coexistent les « dons rationnels les plus éminents » et un « goût de la vaticination porté à ses extrêmes limites », un esprit qui a pu influencer par sa cosmologie des poètes comme Hugo.



Influences étrangères



Mme de Staël avait puisé dans la littérature allemande un sens nouveau de l'adjectif «romantique» pour traduire une sensibilité dont le frémissement parcourait depuis le XVIIIe siècle la littérature française. L'intérêt pour les écrivains étrangers allait donner en partie son élan au mouvement romantique qui s'affirmera en France sous la Restauration. Mais si les serviteurs de l'Empire voyaient d'un mauvais oil cette ouverture en faveur de nations que nous combattions par les armes, les résistances sont plus vives encore après l'humiliation des traités de Vienne. La campagne chauvine que mènera parmi d'autres Le Constitutionnel en 1822 contre une troupe anglaise invitée à jouer du Shakespeare au Théâtre de la Porte-Saint-Martin doit assurément beaucoup aux blessures mal fermées de Waterloo.



Auprès des jeunes monarchistes qui seront au début les fers de lance du romantisme, les gloires de l'étranger sont mieux accueillies : Byron, célèbre surtout après le Pèlerinage de Childe Harold (1812), va très largement contribuer à la vogue de l'Orient. Après 1815, il poursuit en Italie son ouvre lyrique (Manfred, Don JuaN). « Byron est le nom qu'il faut faire sonner ferme », écrit Stendhal à un de ses amis le 28 septembre 1816. «L'Edinburgh Review le place immédiatement après Shakespeare pour la peinture des passions énergiques. » Dans le premier Racine et Shakespeare, il est vrai, on trouvera Stendhal un peu revenu de son admiration. Vigny estime en 1820 que Byron « afflige l'âme sans la dessécher, tandis qu'avec le même fonds d'idées, les philosophes du XVIIIIe siècle engourdissent l'âme et détruisent toutes les espérances de la vie». Le personnage même de Byron, le pouvoir de séduction qu'il exerce sur les jeunes générations contribueront à former ce qu'il est convenu d'appeler le « byronisme ». Sa mort à Missolonghi couronnera sa destinée.

Figure moins charismatique, Walter Scott, dont les romans sont publiés et rapidement traduits en français à partir de 1814, exercera une influence sur le roman historique que nous examinerons plus en détail (voir infra p. 50).

Goethe, dont le roman de Werther inspira la génération de René, mais aussi les suivantes, rayonne mieux encore après la publication de la première partie complète de Faust, en 1808. « Le docteur Faust, écrit P. Van Tieghem, offrait un type parfait d'âme romantique, sinon par sa soif insatiable de pénétrer les énigmes de l'univers - car la noble passion de la connaissance scientifique n'est pas le fort des romantiques -, du moins par ses aspirations à dépasser ce monde borné pour s'élancer vers un monde idéal où son être tout entier se déploierait à l'aise, par son-abandon à la passion terrestre et à la volupté, par ses voyages fantastiques. » Faust aura une traduction française en 1828. Nous reparlerons de son traductetrrrpuisque son nom est Gérard de Nerval.

On fera aussi sa part au regain de faveur de la littérature espagnole, avec le succès qu'obtiennent les pièces de Calderôn, dramaturge du xvr siècle, ainsi que le Romancero, poèmes historiques ou légendaires qui réaniment le Moyen Age, et les Cancioneros, recueil de poésies amoureuses.

L'intérêt pour le Moyen Âge, exposant de toute façon ceux qui y cèdent aux obstacles de la langue, encourage à la découverte des autres littératures européennes. Les troubadours sont à la mode : on s'intéresse au Choix de poésies originales de troubadours publié par François Raynouard (1816-1821), mais aussi à Des troubadours et des cours d'amour (1817), de Walter Scott, tandis qu'en 1825 Loève-Veimars publiera Ballades, légendes et chants populaires de l'Angleterre et de l'Ecosse. Avec son recueil de Chants populaires de la Grèce moderne (1824-1825), Claude Fauriel (1772-1844), qui fréquenta les «Idéologues», mais aussi l'écrivain italien Alessandro Manzoni, illustre son talent de savant polyglotte et d'inlassable découvreur des littératures populaires de la Méditerranée. En 1830, on créera pour lui une chaire de littérature étrangère à la Sorbonne; il continuera d'explorer les littérateurs du passé (littérature provençalE) et de favoriser l'influence des écrivains étrangers sur notre génie national.



L'opposition entre classiques et romantiques. Nodier et La Muse française



« Il est impossible de penser sérieusement avec des mots comme classicisme et romantisme; on ne s'enivre ou se désaltère avec des étiquettes de bouteille», écrira Paul Valéry. Peut-être ne devrait-on s'enivrer ni se désaltérer : le fait est que les écrivains de la Restauration en jouent, et de cet affrontement d'étiquettes naît parfois un vrai débat d'idées. Ils en jouent en discutant au sein de ce qu'on appellera à la fin déjà décennie les «cénacles». Le premier cénacle fut sans doute la réunion des collaborateurs de La Muse française, revue dont nous savons qu'elle ne dura que quejques mois (1823-1824). Ce sont des monarchistes convaincus, épris de sentiment, férus de Moyen Âge, «chrétiens par convenance et vague sentiment», ajoutera Sainte-Beuve. Emile Deschamps (1791-1871) est le véritable fondateur du groupe. II prône une poésie nouvelle, ouverte aux littératures étrangères, et se montre favorable à la multiplication des traductions qui les feront connaître. À la querelle des étiquettes, il prend part dans La Muse française en alignant des noms de romantiques (Chateaubriand. Byron, Mmc de Staël, Schiller, Joseph de Maistre, Goethe, Walter Scott, Lamennais...) et en laissant en blanc la liste des classiques : qu'ils la remplissent eux-mêmes. «Ensuite, l'Europe, ou un enfant, décidera...», conclut-il. Charles Nodier (1780-1844) abrite souvent le groupe, à son domicile d'abord, puis à la bibliothèque de l'Arsenal, dès lors que lui en est confiée la direction, au début de 1824. «Grande boutique romantique», suivant l'expression d'Alfred de Musset, l'Arsenal servira de lieu de réunion aux fidèles du romantisme jusque vers 1830.



Nodier passe alors aux yeux de beaucoup pour le maître du romantisme, bien que ses convictions à propos du débat « classiques/romantiques » soient fort mesurées. Dans ses articles, recueillis dans Mélanges de littérature et de critique (1820), il a notamment défini l'importance du mystère dans la nouvelle littérature. « L'objet de la poésie romantique, écrit-il, est constitué par des aspects encore inaperçus des choses, un ordre de perception assez neuf pour être souvent bizarre, je ne sais quels secrets du cour humain, dont il a souvent joui en lui-même sans être tenté de les révéler aux autres, je ne sais quels mystères de la nature qui ne nous ont pas échappé dans l'ensemble, mais que nous n'avons jamais détaillés, l'art surtout de parler à notre imagination, en la ramenant vers les premières émotions de la vie, en réveillant autour d'elle jusqu'à ces redoutables superstitions de l'enfance, que la raison des peuples perfectionnée a réduite aux proportions du ridicule, et qui ne sont plus poétiques que dans le système poétique de la nouvelle école. » Il insiste sur l'intérêt d'explorer le Moyen Age: «notre vieille mythologie», comme il l'appelle, a autant d'agréments et de charmes que la mythologie de l'Antiquité. Ce qu'il nomme le «genre romantique» est lié à l'imagination, «dernière ressource du cceur humain», «poésie étrange, mais très bien appropriée à l'état moral de la société, aux besoins des générations blasées qui demandent des sensations à tout prix ». Le romantisme doit être à ses yeux, avant tout, suivant une expression que nous empruntons à Paul Bénichou, « cette prise de responsabilité de la littérature dans un monde devenu incertain ».



La Muse française disparaît le 15 juin 1824. Elle se saborde aussitôt après la destitution de Chateaubriand, mal récompensé par la monarchie française dont il avait voulu redorer le blason en soutenant et en organisant une intervention en Espagne (1823) que les collaborateurs de La Muse avaient ardemment défendue. L'éloge adressé dans le dernier numéro à Chateaubriand par V Hugo prouve assez combien la fortune de l'ancien ministre des Affaires étrangères était liée à celle de la revue.



Suite du débat : Stendhal et Hugo avocats du romantisme



Le débat entre classicisme et romantisme a trouvé d'autres voix et d'autres lieux pour s'exprimer. En 1818, dans un article intitulé «Qu'est-ce que le romanticisme?» (mot décalqué de l'italieN), Stendhal (1783-1842) écrivait: «L'Allemagne, l'Angleterre et l'Espagne sont entièrement et pleinement romantiques. Il en est autrement en France.» En octobre 1822, dans Paris Monthly Review, il proteste contre l'hostilité manifestée à la troupe anglaise venue à Paris interpréter Shakespeare. Cet article fournira la matière du premier chapitre de Racine et Shakespeare. Un nouvel article de janvier 1823 servira de deuxième chapitre. Le troisième est écrit en février («Ce que c'est que le romanticisme») et l'ouvrage paraît en mars 1823. Par «romanticisme», Stendhal entend « l'art de présenter aux peuples les ouvres littéraires qui, dans l'état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible. Le classicisme, au contraire, leur présente la littérature qui donnait le plus de plaisir à leurs arrière-grands-pères ». Shakespeare fut romantique en 1590. «Il faut du courage pour être romantique, car il faut hasarder. Le classique prudent, au contraire, ne s'avance jamais sans être soutenu, en cachette, par quelque vers d'Homère, ou par une remarque philosophique de Cicéron, dans son traité De Seneaute. »



Un nouveau Racine et Shakespeare, de Stendhal, paraît en 1825. C'est, par rapport à celui de 1823, un tout autre livre, où l'auteur répond à un réquisitoire contre le romantisme prononcé le 24 avril 1824 par Auger, directeur de l'Académie française, qui reprenait les vieilles lunes déjà dénoncées par Mme de Staël. Pour les résumer : le romantisme est d'origine étrangère, particulièrement germanique; les dramaturges allemands, ne pouvant pousser trop loin l'imitation des Grecs ni des ouvres que Shakespeare ou Lope de Vega avaient produites en des temps de barbarie, se rabattirent sur le Moyen Age comme terrain d'élection et « puisèrent leurs faits dans le chaos des anciennes chroniques ou dans le fatras des vieilles légendes ». Quant aux romantiques français, qui se sont mis en tête d'imiter les écrivains étrangers et d'attaquer les classiques, ils aspirent à émouvoir - comme si tel n'avait pas toujours été le but de la littérature -, ils revendiquent la vérité que les classiques observaient avec plus de profondeur qu'eux, ils ne trouvent de poétiques que la douleur et l'affliction tout en affichant, dans leur vie privée, une insolente gaieté, ils « chérissent l'idéal, le vague, le mystérieux »; au total, le romantisme serait « un fantôme qui s'évanouit du moment qu'on s'en approche et qu'on essaie de le toucher». Le réquisitoire d'Auger vise surtout le théâtre : c'est principalement sur ce terrain que lui répond Stendhal. Nous verrons que dans la dramaturgie réside en effet une grande part de l'avenir du romantisme.



« Il y a maintenant deux partis dans la littérature comme dans l'État », écrit de son côté Victor Hugo (1802-1885), dans la troisième préface des Odes et ballades. Cette préface est datée de février 1824, époque où Hugo milite à La Muse française. Le propos concerne cette fois la poésie. La division proposée naguère par Mme de Staël dans De l'Allemagne (qui vient alors d'être réédité) ne répond plus à l'utilisation actuelle des mots «classique» et «romantique». Comme Stendhal, Hugo réfute les critiques qui «sont convenus d'honorer désormais du nom de classique toute production antérieure à notre époque, tandis que la classification de romantique serait spécialement restreinte à cette littérature qui grandit et se développe avec le XIXe siècle ». Le nom de « romantique » est trop souvent employé « avec un certain vague fantastique et indéfinissable qui en redouble l'horreur» pour désigner globalement, de manière péjorative, toute la littérature moderne. Une nouvelle préface au recueil, d'août 1826, prêche pour l'originalité. Cette vertu donnerait au mot « romantique » son vrai sens, car « celui qui imite un poète romantique devient nécessairement un classique, puisqu'il imite [...]. Admirons les grands maîtres, ne les imitons pas. Faisons autrement. Si nous réussissons, tant mieux ; si nous échouons, qu'importe? » Hugo rejoint ici Stendhal : le romantique est celui qui a le courage de hasarder.



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