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L'Année terrible 1870-1871






Le triomphe dû au plébiscite va achopper sur la question de la succession au trône d'Espagne, vacant depuis la révolution de septembre 1868. Le gouvernement provisoire espagnol offre la couronne à Léopold de Hohenzollern ; le roi de Prusse donne son autorisation. Le danger pour la France d'être prise en tenailles provoque alors une vive réaction de l'opinion et des autorités politiques. Le 12 juillet 1870, Léopold renonce, au grand dam de Bismarck. La France exige des garanties ; le 13, l'ambassadeur Benedctti rencontre Guillaume Ier à Ems. L'affaire aurait pu en rester là sans la volonté belliqueuse du chancelier Bismarck : prévenu de la rencontre par une dépêche d'Ems envoyée par le roi, il en résume la teneur en présentant la demande de la France comme une insolence et la réponse de Guillaume Ier comme une fin de non-recevoir indignée. La « dépêche d'Ems » est connue à Paris le 14 juillet ; le 15, Ollivier fait voter par le Corps législatif les crédits militaires, sur quoi l'empereur déclare la guerre à la Prusse.





En moins de dix mois, de juillet 1870 à la fin de mai 1871, la France, plongée dans le tumulte des passions armées, change brutalement de visage. Le régime impérial, en apparence stabilisé, s'effondre d'un seul coup dans une guerre suicidaire contre la Prusse. Pourtant, la France pouvait évoluer vers la démocratie libérale dans le cadre impérial tout comme l'Angleterre, dans la monarchie constitutionnelle. Il n'en est rien, car plusieurs facteurs ont poussé l'empereur et la Cour - à l'occasion de la candidature Hohenzollern au trône d'Espagne - vers la guerre, une fuite en avant. D'abord, parce que, profondément, le bonapartisme tire sa légitimité des victoires militaires ; il la perd avec ses défaites : Sedan sera le Waterloo du Second Empire. Un mauvais génie l'a poussé à la guerre : la volonté de la droite impérialiste, notamment du clan Eugénie, de freiner les réformes, de restaurer l'autorité. Or rien ne vaut une bonne guerre pour resserrer la discipline, imposer l'autorité de l'État, écraser les oppositions : défense nationale oblige. Hélas ! le Second Empire, dont la politique extérieure a été de plus en plus catastrophique, n'a pas su se doter de l'instrument nécessaire à ses ambitions militaires. Une fois le projet Niel saboté, hormis quelques esprits lucides comme Prévost-Para-dol, personne n'a su prévoir l'infériorité des armes françaises face aux troupes de Bismarck, et finalement le désastre. Mais ce n'est pas tout : la France doit aussi subir la guerre civile, après la capitulation ; la Commune de Paris, 72 jours de révolte contre le gouvernement issu des élections du 8 février 1871, achève de bouleverser le pays, avant d'être noyée dans un bain de sang. Quelle France pourra sortir de ce chaos ? La République ? Ce n'est même pas certain, puisque l'Assemblée nationale, d'abord à Bordeaux, puis à Versailles, est composée d'une majorité de monarchistes. L'ère des troubles n'est pas close. Au cours de ces événements dramatiques, écrivains et philosophes ont à se déterminer. L'invasion du territoire par l'ennemi fait sortir les tenants de l'art pour l'art de leur tour d'ivoire. Gustave Flaubert en est le meilleur exemple.



Flaubert saisi par le patriotisme



Face à l'agitation politique que connaît la France en 1869-1870, Flaubert manifeste d'abord son mépris total pour la chose publique. En fait, c'est l'époque où meurt son meilleur ami, Louis Bouilhet, son confident, son conseiller : « Je suis broyé... », écrit-il à Sainte-Beuve, le 23 juillet 1869. Un sentiment d'« amputation considérable». Ensuite, il vient d'achever L'Education sentimentale ; il lui faut corriger les épreuves, préparer la sortie du livre avec son éditeur Michel Lévy. Il s'énerve un peu que les journaux privilégient l'actualité politique, au détriment du littéraire. Le 13 octobre, il déplore la mort de Sainte-Beuve : « Tout ce qui, en France, tient une plume, fait en lui une perte irréparable. » Flaubert avait pensé à Sainte-Beuve en écrivant son roman, lequel n'en aura pas lu une ligne, et n'en pourra pas faire le compte rendu '. L'Éducation sentimentale sort enfin, le 17 novembre 1869, chez Michel Lévy, en deux volumes. L'accueil de la critique est, dans l'ensemble, défavorable.



Le plus violent n'est autre que Barbey d'Aurevilly, qui, dès le 29 novembre, donne le ton, dans Le Constitutionnel : « Je dis qu'il n'y a là qu'un livre médiocre : médiocre de talent d'abord, ennuyeux d'atmosphère, fatigant de peinture pointue, grossier et monotone de procédé, ignoble souvent de détails, et dépassé dans ce genre par sa conclusion. Je dis qu'il n'y a là qu'un livre matérialiste de fond, matérialiste de forme, matérialiste de sécheresse, un livre comme le matérialisme en fait et n'en peut pas faire d'autres, puisqu'il nie la moitié, au moins, de la créature humaine ! Je dis qu'il n'y a ici que le Flaubert de Madame Bovary, mais ayant passé par Salammbô ; un M. Flaubert marqué, entamé, vieilli, et visiblement épuisé. Je dis que M. Gustave Flaubert n'ira pas plus loin dans la voie même de son talent ; car les talents sans ame sont incapables de se renouveler. Ils ont méprisé l'Infini, et c'est le Fini qui les tue ! »

Une nouvelle fois, Flaubert est vilipendé pour son esprit sec, son manque de hauteur, son déni de spiritualité, sa vulgarité. A son amie et correspondante George Sand, qu'il appelle son « bon maître », il écrit le 3 décembre : « Lisez Le Constitutionnel de lundi dernier et Le Gaulois de ce matin [article de Francisque Sarcey, concluant : "Quel abus misérable du talent !"], c'est carré et net. On me traite de crétin et de canaille. L'article de Barbey d'Aurevilly est, en ce genre, un modèle, et celui du bon Sarcey, quoique moins violent, ne lui cède en rien. Ces messieurs réclament au nom de la morale et de l'idéal ! J'ai eu aussi des éreinte-ments dans Le Figaro et dans Paris par Ccsena et Duranty. » Flaubert doit reconnaître cependant le bon accueil d'autres journaux, parmi lesquels La Tribune où, sous la signature d'un certain Emile Zola, on peut lire le 28 novembre : « L'ouvrage est le seul roman vraiment historique que je connaisse, le seul, véridique, exact, complet, où la résurrection des heures mortes soit absolue, sans aucune ficelle de métier [...] C'est un temple de marbre magnifique élevé à l'impuissance3. » Mais, à part ces exceptions, L'Éducation est criblée de flèches empoisonnées. « Tu semblés étonné de la malveillance, lui écrit Sand [il la voussoie, elle le tutoie]. Tu es trop naïf. Tu ne sais pas combien ton livre est original, et ce qu'il doit froisser de personnalités par la force qu'il contient. »

Quand l'heure du plébiscite arrive, le 8 mai 1870, Flaubert n'a que sarcasmes pour la politique : l'ennui et la bêtise ambiante le font fuir de Paris. A Croissct, auprès de sa mère, loin de sa nièce Caroline qu'il chérit, il se morfond de la disparition de Bouilhet et, dans la solitude amère, tombe un moment dans le dégoût d'écrire. La mort de Jules de Goncourt, en juin, ajoute à la liste de ceux qu'il pleure ; celle de Barbes, que lui annonce George Sand, l'attriste indirectement : il sait quelle amitié le liait à la dame de Nohant.



L'abstentionnisme politique de Flaubert trouve de nouvelles raisons dans la déclaration de guerre en juillet 1870. Depuis des années, il s'agace des passions politiques de ses amis. Maxime Du Camp en témoigne : « La Prusse, disait-il, l'Autriche, qu'est-ce que cela peut nous faire ? Ces hommes-là ont des prétentions à être des philosophes, et ils s'occupent de savoir si les habits bleus ont battu les habits blancs ; ce ne sont que des bourgeois, et ça me fait pitié de voir X et Y et Z perdre leur temps à discuter des annexions, des rectifications de frontières, des dislocations, des reconstitutions de pays, comme s'il n'y avait rien de mieux à faire, comme s'il n'y avait plus de beaux vers à réciter et de prose sonore à écrire !4 » Pour lui, les artistes n'ont pas de patrie ; ou plutôt qu'une seule patrie, l'Art.

L'enthousiasme belliqueux qu'il perçoit dans la population l'écoure : chauvinisme, sauvagerie, « irrémédiable barbarie de l'Humanité ». Il regrette d'avance les ponts coupés, les tunnels défoncés, « l'effroyable boucherie », « les ruisseaux de larmes qui vont couler », le recul de la Civilisation, la négation du Progrès. George Sand lui fait écho : « Je trouve cette guerre infâme, cette Marseillaise autorisée5 un sacrilège. Les hommes sont des brutes féroces et vaniteuses » (26 juilleT). L'entrée en guerre confirme Flaubert dans son aristocratisme politique : « Le respect, le fétichisme qu'on a pour le Suffrage universel, me révolte plus que l'infaillibilité du Pape [...] Croyez-vous que si la France, au lieu d'être gouvernée, en somme, par la foule, était au pouvoir des Mandarins, nous en serions là ? Si, au lieu d'avoir voulu éclairer les basses classes, on se fût occupé d'instruire les hautes, vous n'auriez pas vu M. de Kératry proposer [au Corps législatif] le pillage du duché de Baden, mesure que le public trouve très juste » (3 aoûT).



Cependant, comme le sort des armes tourne à l'avantage des Allemands, Flaubert exprime ses premières inquiétudes à la mi-août. Mac-Manon a dû évacuer l'Alsace, où Strasbourg assiégé tiendra jusqu'au 28 septembre. L'avance des années allemandes en Lorraine, où Frossard, privé de l'aide de Bazaine, est battu à Forbach, provoque la chute du gouvernement Olli-vier, remplacé, sur la décision de l'impératrice-régente, par le général Cou-sin-Montauban, comte de Palikao. Sur le front, le maréchal Bazaine, à qui l'empereur, malade, cassé, et déconsidéré, a donné le commandement en chef, se révèle irrésolu, sans initiative, vieilli. Après quelques mauvaises manouvres, il ne trouve pas de meilleure solution que de s'enfermer dans Metz avec ses 130 000 hommes. Haletant, Flaubert attend des nouvelles et refuse de rester inactif : « Ne sachant à quoi m'occuper, écrit-il à Sand, le 17 août, je me suis engagé comme infirmier à l'Hôtel-Dieu de Rouen, où mon concours ne sera peut-être pas inutile. » Mieux : « Si l'on fait le siège de Paris, j'irai faire le coup de feu. - Mon fusil est prêt. » Avec une remarquable prescience, il comprend que la guerre est grosse d'une révolution et d'une contre-révolution : « Et nous n'en sommes qu'au 1er acte. Car nous allons entrer dans la Sociale. Laquelle sera suivie d'une réaction vigoureuse et longue. » Trois jours plus tôt, à Paris, Blanqui et ses hommes ont tenté de prendre d'assaut une caserne de pompiers boulevard de La Villette, pour saisir des armes. Un fiasco. Blanqui peut s'échapper ; 6 blanqui stes sont condamnés à mort. Sous la guerre étrangère couve la guerre civile : Flaubert a vu juste.

Le 24 août, il confie à Maxime Du Camp que sa tristesse s'est métamorphosée en « désirs belliqueux ». Que dit le sans-patrie d'hier ? « Oui, j'ai bêtement envie de me battre, et je te jure ma parole d'honneur que si je n'étais pas sûr de faire mourir ma mère immédiatement, j'irais rejoindre le bon d'Osmoy, qui doit être maintenant dans les environs de Châlons, à la tête d'une compagnie de tirailleurs. » L'envahisseur se rapproche de Paris ; Flaubert se révolte à l'idée de faire la paix. Le 1er septembre, l'armée de Mac-Manon est encerclée par Moltke à Sedan ; l'empereur, accablé, ne réagit plus et, pour éviter un massacre, fait arborer le drapeau blanc. La capitulation de Napoléon III, dont la première conséquence est que son armée de 100 000 hommes est faite prisonnière, provoque, dès que la nouvelle est connue, l'insurrection à Paris et dans les grandes villes de France : établi par un coup d'État, le Second Empire finit aussi comme le premier, par une défaite militaire. Le 4 septembre, après la proclamation de la déchéance du régime impérial par Gambetta, la République est instaurée devant les Parisiens assemblés sous les fenêtres de l'Hôtel de Ville. Eugénie a fui avec son fils ; aucune résistance n'a été opposée au soulèvement de la capitale. Un Gouvernement provisoire, intitulé Gouvernement de la Défense nationale, est mis en place, sous la conduite de Jules Favre, Léon Gambetta, Ernest Picard - comprenant aussi Henri Rochefort, sorti de prison. La place militaire est placée sous l'autorité du général Trochu.



Flaubert est toujours aussi boutefeu. Il écrit dans une lettre à la princesse Mathilde, le 7 septembre, qu'il préfère voir la France anéantie qu'humiliée. « Mais nous les vaincrons, ajoute-t-il, et nous leur ferons repasser le Rhin, tambour battant. Les bourgeois les plus pacifiques, tels que moi, sont parfaitement résolus à se faire tuer plutôt que de céder. » La République, pour laquelle paraît s'enthousiasmer George Sand ? Flaubert accepte de la défendre, mais il n'y croit pas. Elu à la tête de la garde nationale de Croisset, il exerce ses troupes au moment où intervient le blocus de Paris. Il écrit, le 27 septembre, à sa nièce Caroline : « Je commence, aujourd'hui, mes patrouilles de nuit. - J'ai fait tantôt à "mes hommes" une allocution paternelle, où je leur ai annoncé que je passerais mon épée dans la bedaine du premier qui reculerait, en les engageant à flanquer à moi-même des coups de fusil s'ils me voyaient fuir. Ton vieux baudruchard d'oncle est monté au ton épique ! » La guerre n'est pas finie, la République la reprend à son compte. Avant que Strasbourg ne tombe, Paris est assiégé le 19 septembre, mais Gambetta a pu quitter, le 7 octobre, la capitale en ballon, et gagner Tours où, acceptant les portefeuilles de l'Intérieur et de la Guerre, il galvanise la province, met sur pied de nouvelles forces armées, en mobilisant tous les célibataires et veufs sans enfant jusqu'à quarante ans : les armées de la Loire et du Nord ont pour but de débloquer Paris. Flaubert exprime son espoir à ses correspondants : « Je te réponds, écrit-il dès le 29 septembre à Maxime Du Camp, que, d'ici à 15 jours, la France entière sera soulevée. » Il ne pense plus à une inévitable guerre civile, c'est l'heure de l'union sacrée.



A Paris



Rochefort, avant même d'avoir été tiré de prison par la foule, le 4 septembre, a eu son nom sur la liste du Gouvernement provisoire en raison même de sa popularité à Paris, et du fait qu'il en est un député - ce qui n'est le cas ni de Blanqui ni de Delescluze, autres figures de l'extrême gauche. Ce sont des républicains modérés (Jules Favre, Ernest Picard, François Arago, Jules Simon...) qui dominent ce gouvernement, le plus ardent, Léon Gambetta, quittant Paris peu après le début du Siège. La présence de Rochefort au gouvernement vaut, pour un temps, à celui-ci la confiance des républicains les plus résolus et fait admettre la présidence du gouvernement et la direction militaire du très peu républicain général Trochu. Dans ce rôle de caution de gauche, Rochefort est de plus en plus mal à l'aise. En effet, le Gouvernement de la Défense nationale, Trochu en tête, ne souhaite nullement mener une guerre « à outrance » comme l'exigent les patriotes, les rouges, les « trente sous » (à savoir les membres de la garde nationale, ouverte depuis le 11 août à tous les citoyens, et dont la solde quotidienne - pour les chômeurs, les indigents, tous les nécessiteux - est de 30 souS). La garde nationale n'est plus la garde bourgeoise de jadis, c'est une milice populaire : le peuple de Paris est désormais armé. Ce gouvernement craint ce que Flaubert annonçait naguère : le débordement de la populace, la répétition des événements de l'An II, la mise en place d'un gouvernement de salut public, toutes choses qui remettraient en cause le régime républicain, une fois la paix signée. Pour Jules Favre et son équipe, il faut sortir du provisoire : tenir la bride haute aux « rouges », arrêter la guerre quand il sera prouvé que la défaite est inévitable, et passer à des élections qui fonderont la légitimité du nouveau régime. Mais Paris, enfiévré, ne pense qu'à se battre, exige des « sorties en masse » : tous les soirs, dans les clubs qui se sont multipliés depuis le 4 septembre, on interpelle les ministres, on revendique des armes, on veut de l'audace, encore de l'audace... Tandis que secrètement le gouvernement tente de connaître les conditions d'un armistice avec Bismarck, les bataillons de la garde nationale des quartiers populaires manifestent pour réclamer des chassepots (les meilleurs fusilS), sous l'autorité de Gustave Flourens, qui a trouvé dans cette situation un exutoire à ses ardeurs de chef de bande. Un cri commence à circuler : « Vive la Commune ! » - toujours ces réminiscences de la grande Révolution, l'idée d'une Commune révolutionnaire, occupée de la défense, et, éventuellement, mettant au pas les récalcitrants, les traîne-savates, les mous et les traîtres, sous le régime de la terreur.

Avant le début du blocus, un certain nombre d'écrivains et d'exilés avaient pu regagner la capitale. C'est le cas notamment d'Edgar Quinet et de Victor Hugo.



Le 3 septembre, les Quinet ont reçu de Genève un télégramme de Jules Barni, philosophe kantien, proscrit comme eux, leur annonçant que Napoléon III est fait prisonnier ; deux jours plus tard, une dépêche de Paris leur apprend la proclamation de la République. Quant aux Michelet, qui se sentent peu utiles à Paris, ils viennent d'arriver à Montreux, pour s'installer à Glion ; ils envoient aux Quinet un ami commun pour les dissuader de revenir sur le volcan parisien. En vain : le 8, après dix-huit ans d'exil, Edgar et Hermione Quinet arrivent à Paris, au moment où les familles qui en ont les moyens quittent, de plus en plus nombreuses, la capitale, dont le siège prévisible est redouté. Hugo et les siens ne retardent pas davantage leur retour. Le 5, ils sont dans le train pour Paris. Son portrait étant depuis longtemps diffusé, Hugo est reconnu dans les gares, où on l'ovationne. Lui, en voyant par la fenêtre de son wagon un campement de soldats français, se met à crier en retour : « Vive l'armée ! » et ne peut dissimuler ses larmes. A Paris, gare du Nord, vers neuf heures et demie du soir, une foule se presse pour l'accueillir, au point qu'il doit monter au balcon d'un café, sur la place, pour répondre aux vivats. « Vous me payez en une heure vingt ans d'exil. » On chante La Marseillaise et Le Chant du départ, on l'escorte jusqu'à la rue de Laval où lui et sa famille doivent loger, des soldats au passage lui présentent les armes. Le lendemain, Hugo est assailli de visiteurs ; des marchandes de la Halle lui apportent un bouquet, les lettres commencent à arriver par centaines. A la veille du siège, le 16 septembre, Hugo note : « Il y a aujourd'hui un an, j'ouvrais le Congres de la Paix à Lausanne. Ce matin, j'écris l'Appel aux Français pour la guerre à outrance contre l'invasion7.» Le 19, la ville est bouclée. Dans les jours et les semaines qui suivent, Hugo reçoit beaucoup, rédige des appels dans les journaux, correspond avec Juliette Drouet grâce au ballon captif qu'on a appelé le Barbes, achète un képi, et commence à restreindre son alimentation : les réserves de sucre diminuent dangereusement, la viande est rationnée, le beurre et le fromage viennent à manquer. Victor Hugo est devenu un personnage sacré : on donne son nom à un ballon-poste, on parle aussi de débaptiser le boulevard Haussmann en sa faveur, on le supplie de ne pas s'exposer. L'édition française des Châtiments tirée à 3 000 exemplaires est épuisée en deux jours, plusieurs tirages suivront ; le 22 octobre, Hugo envoie les 500 francs qu'il a eus en droits d'auteur au Siècle « pour les canons dont Paris a besoin ». Un canon dû à une souscription s'appellera Le Châtiment ; un autre, le Victor Hugo. Il autorise qui le veut à dire ou à représenter ses ouvres, sans droits d'auteur, « pour les canons, les blessés, les ambulances, les ateliers, les orphelinats, les victimes de la guerre, les pauvres ». Hugo revoit Quinet, autre proscrit irréconciliable ; avec Ledru-Rollin, ils songent à fonder un club. Durant toute cette période, Hugo est ocuménique, union sacrée, accordant sa confiance au Gouvernement de la Défense nationale. Mais, le 31 octobre, Paris, le Paris des faubourgs, organise une puissante manifestation contre le gouvernement en place.

La ville est sous le choc. A peine vient-on de connaître, le 30 octobre, la capitulation du « glorieux Bazaine » à Metz avec son armée (Bazaine n'avait pas accepté de reconnaître la République et avait négocié sa reddition avec les AllemandS) que la nouvelle arrive de la perte du Bourget, village au nord de Paris que les francs-tireurs venaient de prendre. Trochu, qui parie sans arrêt de son « plan » sans rien faire, est accusé par l'extrême gauche d'avoir lâché Bellemare, jeune général qui avait su arracher Le Bourget aux Prussiens. Là-dessus, le bruit s'évente que Thiers, chargé de mission par le gouvernement, est de retour à Paris, après son périple européen de capitale en capitale et que, sûr des appuis diplomatiques dont la France peut disposer, il préconise une demande d'armistice à la Prusse, pour permettre l'élection d'une Assemblée. Le 31 au matin, on sait que M. Thiers s'est rendu à Versailles afin de recevoir de la bouche de Bismarck les conditions d'un armistice. Colère des « trente sous » ! Indignation des révolutionnaires ! La Commune revient à l'ordre du jour. C'est au cri de « Vive la Commune ! » que les bataillons populaires de la garde nationale, suivis par la foule, envahissent l'Hôtel de Ville. Les membres du gouvernement, assis autour d'une table, subissent la marée humaine sans broncher. Dans une salle voisine, les révolutionnaires, Blanqui, Flourens, Delescluze, Vaillant et les autres, tentent de mettre sur pied un Comité de salut public. Dans une pagaille indescriptible, due à la division des insurgés, on discute, on s'oppose des noms et des programmes. Sollicité, Victor Hugo décline à plusieurs reprises la proposition de s'associer à l'aventure : « A minuit, des gardes nationaux sont venus me chercher pour aller à l'Hôtel de Ville, présider, disaient-ils, le nouveau gouvernement. J'ai répondu que je blâmais cette tentative, et j'ai refusé d'aller à l'Hôtel de Ville. A trois heures du matin, Flourens et Blanqui ont quitté l'Hôtel de Ville et Trochu y est rentré8. » Le général Trochu a pu, en effet, tromper la vigilance des insurgés ; il revient à la tête de troupes régulières, composées des mobiles des départements de l'Ouest, et chasse les rebelles de l'Hôtel de Ville.



Au long de cette journée, Rochefort, entre deux chaises, n'a joué aucun rôle. On l'a vu passer un moment, tenter de faire une déclaration, puis disparaître. Sa confiance en Trochu l'a discrédité aux yeux des rouges. Quant à Vallès, désormais chef de bataillon de la garde nationale, il est allé prendre avec ses hommes la mairie de La Villette, où il est nommé maire par acclamations. Peu après, l'ancien maire, Richard, revient de l'Hôtel de Ville, se précipite sur Pécharpe qui ceint la poitrine de Vallès : « Rendez-moi ça ! Vous violez la loi. Je vous ferai fusiller demain ! » On l'oblige à lâcher prise, et Vallès le fait enfermer dans un placard. Scène comique, qu'il narre dans L'Insurgé. Mais bientôt on les avertit que le Gouvernement a repris l'Hôtel de Ville, et qu'un bataillon de « bons » gardes nationaux s'apprête à donner l'assaut. Les têtes de fer de La Villette se précipitent. Trop tard. Une dépêche assure que l'ordre a été rétabli : « C'est le moment de détaler. Je tombe de faim, je crève de soif. J'entre, écrasé, las, sommeillant, dans le restaurant où nous allions casser une croûte avec les collègues, vers midi. Je retrouve ceux qui n'ont pas paru de la nuit - ayant peur de moi ou attendant la fin pour se décider. La fin, c'est mon arrestation à bref délai, sans doute. Peut-être vais-je être cueilli avant d'avoir mangé mon omelette9. » Vallès n'a plus qu'à aller se cacher chez un ami. Une semaine plus tard, il sort de sa planque ; il n'y aura pas de poursuites immédiates contre lui.

La première tentative sérieuse pour instaurer une Commune à Paris, le 31 octobre, s'est terminée piteusement. Mais rien n'est résolu. Thiers, à Versailles, n'a obtenu aucune concession du chancelier qui s'en tient aux exigences qu'il a formulées à Favre en septembre, lors de son entrevue avec lui au château de Ferrières. La guerre continue. Rochefort a démissionné après le conseil du 1er novembre. Toutefois, le gouvernement échaudé, voulant se prémunir contre toute reprise de l'insurrection, entend renforcer sa position en organisant des élections municipales et en faisant tenir un référendum auprès des Parisiens sur son maintien. Le 3 novembre a lieu le plébiscite : les rouges, préconisant le non, n'obtiennent que 6 000 suffrages, contre 55 000 oui, votes militaires compris. Deux jours plus tard, cependant, les élections des municipalités, dans plusieurs arrondissements (les XIe, XVIIF, XIXe et XXE) - l'est de Paris -, donnent le pouvoir aux radicaux de gauche ou aux révolutionnaires. Edgar Quinet, très hostile comme Victor Hugo à la journée du 31 octobre, a salué l'échec des rouges comme « le triomphe du bon sens et du patriotisme » ; il répond oui au plébiscite. Jules Ferry, qui pendant la crise a été de ceux qui ont le mieux gardé leur sang-froid, devient maire de Paris, à la place d'Etienne Arago, démissionnaire.



Le blocus se poursuit ; les conditions de vie s'aggravent pour la population. Le rationnement se fait surtout par la cherté : les nantis peuvent continuer à fréquenter les restaurants, le marché noir va bon train ; les pauvres doivent se contenter des distributions des municipalités. On sait que, l'hiver venant, les chevaux, puis les chiens et les chats, les rats enfin (« Un rat coûte huit sous », note Hugo, le 23 novembre ») sont apparus aux étals des bouchers. Edmond de Goncourt qui, encore le 12 novembre, dans son Journal, proclame pour « la postérité » que tout l'héroïsme des Parisiens aura consisté à « manger du beurre fort dans ses haricots et du rosbif de cheval au lieu de bouf », note deux mois plus tard, au 13 janvier : « Il faut vraiment rendre justice à cette population parisienne, et l'admirer. Que devant l'insolent étalage de ces marchands de comestibles, rappelant, maladroitement, à la population meure-de-faim, que les riches avec de l'argent peuvent toujours, toujours, se procurer de la volaille, du gibier, les délicatesses de ia table, cette population ne casse pas les devantures, ne bouscule pas les marchands et les marchandises, - cela a lieu d'étonner. » Et Goncourt de fustiger l'incompétence du gouvernement, « l'inintelligence militaire », Trochu faisant « la plus honteuse défense des temps historiques ». A plusieurs reprises, Victor Hugo est prié d'entrer au gouvernement ; il refuse, bien qu'il lui soit fidèle jusqu'au bout, ne déviant pas de sa politique d'union sacrée.

Les privations agissant souvent sur des esprits échauffés par l'alcool -le vin et l'eau-de-vic ne font pas défaut -, les quartiers populaires s'exaltent, encouragés par les journaux nouveaux et les clubs en ébullition permanente. Entre ceux qu'on appelle les outrance (parce qu'ils veulent la guerre à outrance, la sortie en masse contre les assiégeantS) et les cochons vendus (qui attendent, impatients, le retour à la paiX), le fossé se creuse. En décembre, le froid est rigoureux ; le charbon vient à manquer. Un moment, on reçoit, grâce aux pigeons voyageurs, de bonnes nouvelles des armées de Gambetta : prise de Coulmiers, reprise d'Orléans... La « dictature » de Gambetta, comme on l'appellera, est brouillonne, mais inventive. Son souci n'est pas seulement militaire ; il songe déjà à donner à la République renaissante des assises morales et intellectuelles, en agissant sur l'opinion par la voie de la presse. Le chef de la Délégation de Tours commande ainsi à Jules Barni une série d'articles sur la République - lesquels, d'abord publiés dans le Bulletin de la République, seront recueillis en 1872 sous le titre : Manuel républicain. Barni est un philosophe de cinquante-trois ans. Professeur à Rouen, refusant de prêter le serment en 1851, il est allé enseigner à l'Académie de Genève, en proscrit intraitable comme Hugo et Quinet. Après le 4 septembre, regagnant la France, il a offert ses services à Gambetta. Le manuel de ce kantien - traducteur de Kant - sera une des références des fondateurs de la IIIe République. Il ne préconise pas « la Sociale » des révolutionnaires, mais la République libérale, démocratique, laïque et fraternelle.



A Paris, entre le 30 novembre et le 2 décembre, la première véritable sortie est effectuée - mais toujours sans la garde nationale - sous le commandement du général Ducrot, mais celui-ci rentre après avoir été défait à Champigny. On apprend quelques jours plus tard les revers de l'armée de la Loire, repoussée par les renforts prussiens venus de Metz. Le repli est inévitable, la Délégation quitte Tours pour Bordeaux au début de décembre. En janvier, les Allemands occupent la France de l'Ouest jusqu'à Alençon ; au nord, l'armée de Faidherbe, vainqueur à Bapaume, a été arrêtée vers le sud à Saint-Quentin ; à l'est, le général Bourbaki a reçu la mission de délivrer Belfort, défendu par le colonel Denfert-Roche-reau. mais, si Belfort résiste, l'armée de l*Est finira par une débâcle en Suisse, après que Bourbaki aura tenté de se tuer

Le 5 janvier 1871, les bombes prussiennes provoquent les premières morts à Paris. C'est alors que les murs de la ville se recouvrent de « l'Affiche rouge », rédigée par Vallès, Leverdays, Vaillant et Tridon, et dont les 140 signatures réclament la démission du Gouvernement provisoire et la poursuite de la guerre :



« Si les hommes de l'Hôtel de Ville ont encore quelque patriotisme, leur devoir est de se retirer, de laisser le peuple de Paris prendre lui-même le soin de sa délivrance.

» La municipalité de la Commune, de quelque nom qu'on l'appelle, est l'unique salut du peuple, son seul recours contre la mort.

» Toute adjonction ou immixtion au pouvoir actuel ne serait rien qu'un replâtrage perpétuant les mêmes errements, les mêmes désastres.

» Or, la perpétration de ce régime, c'est la capitulation, et Metz et Rouen nous apprennent que la capitulation n'est pas encore et toujours la famine, mais la ruine de tous, la misère et la honte.

» C'est farinée et la garde nationale transportées prisonnières en Allemagne et défilant dans les villes sous les insultes de l'étranger, le commerce détruit, l'industrie morte, les contributions de guerre écrasant Paris ; voilà ce que nous préparent l'impéritic et la trahison. »

L'affiche s'achève par : « Place au peuple, place à la Commune ! »

Les revers de l'armée de la Loire (ChanzY) et de l'armée du Nord (FaidherbE), le refoulement de l'armée de l'Est (BourbakI) confirment cependant le Gouvernement dans son désir de négocier un armistice. Encore faut-il vaincre la résistance des patriotes révolutionnaires. Trochu offre à la garde nationale une sortie désespérée destinée à refroidir son enthousiasme guerrier. C'est la bataille de Buzenval, qui se déroule et prend fin le 19 janvier 1871. L'impréparation de cette action est manifeste. La colère redouble dans Paris ; nouveaux appels, nouvelles affiches, une Commune est réclamée encore une fois. Trochu, qui a affirmé qu'il ne capitulerait jamais, laisse le gouvernement militaire de Paris au général Vinoy. Trois jours plus tard, le Gouvernement consulte les généraux sur la conduite à tenir ; le dernier à parler, le général Lecomte, conclut sans détour : « Le manque de vivres nous impose une prompte capitulation. Une grande sortie est impossible. Les petites sorties ne feraient que nous affaiblir et elles encourageraient la population à prolonger la résistance : il faut au contraire peu à peu habituer Paris à se résigner". » Mais, le 22 janvier, les bataillons de l'est de la capitale marchent sur l'Hôtel de Ville. Prévenant le coup, voulant éviter un nouveau 31 octobre, le gouvernement fait donner les mobiles de Bretagne et de Vendée. La fusillade de part et d'autre ne dure pas plus d'un quart d'heure, mais le sang a coulé. Et la répression suit : suspension de journaux, fermetures de clubs, arrestations de meneurs ; l'extrême gauche est défaite ; la voie de la capitulation est ouverte. Jules Favre est à Versailles, le 28 janvier. Cette fois, un armistice est conclu ; une Assemblée nationale sera élue le 8 février, pour décider du sort de la guerre ou de la paix.

Flaubert laisse échapper cette plainte, dans une lettre à sa nièce Caroline, datée du 1° février 1871 : « La capitulation de Paris, à laquelle on devait s'attendre pourtant, nous a plongés dans un état indescriptible. C'est à se prendre de rage ! Je suis fâché que Paris n'ait pas brûlé jusqu'à la dernière maison, pour qu'il n'y ait plus qu'une grande place noire. La France est si bas, si déshonorée, si avilie, que je voudrais sa disparition complète. Mais j'espère que la guerre civile va nous tuer beaucoup de monde. Puissé-je être compris dans le nombre ! » La maison familiale de Croisset qui a été occupée par des officiers prussiens, tandis que Flaubert et sa mère s'étaient réfugiés à Rouen, a été libérée de ses locataires bottés « Dès que tout sera nettoyé, poursuit-il dans la même lettre à Caroline, j'irai revoir cette pauvre maison, que je n'aime plus. - Et où je tremble de rentrer. - Car je ne peux pas jeter à l'eau toutes les choses dont ces messieurs se sont servis ! Si elle m'appartenait, il est certain que je la démolirais. Oh ! quelle haine ! quelle haine ! Elle m'étouffe ! Moi qui étais si tendre, j'ai du fiel jusqu'à la gorge12.» Flaubert n'attend rien des élections prochaines : il s'abstiendra.





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