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LA ROCHEFOUCAULD - De l'échec à la lucidité critique






François, duc de La Rochefoucauld (1613-1680), est ambitieux et fier de sa noblesse. « Il n'y a point de souverains dans la chrétienté qui ne soient sortis d'une fille de ma maison » (1649). Jeune, il se partage entre la guerre, l'amour et l'intrigue. En 1643, il espère jouer un grand rôle par la faveur de la Régente, mais Mazarin l'emporte.

Quand débute la Fronde parlementaire (août 1648), La Rochefoucauld, gouverneur du Poitou, soutient le pouvoir, puis passe dans l'autre camp (décembrE) parce qu'il n'obtient pas de Mazarin le titre de duc (qu'il aura en 1650 par la mort de son pèrE). Il s'engage dans la Fronde des princes (1650-1653), en partie parce qu'il est l'amant de Mme de Longueville, sour de Condé, et sera l'un des principaux animateurs de la guerre civile, qu'il terminera ruiné, malade, grièvement blessé, menacé de perdre la vue. En 1659. il est autorisé à revenir à la cour, mais ne sera jamais en faveur.



Il se donne le beau rôle dans ses Mémoires, dont la publication, à son insu, en 1662, créa quelques remous. Tous les hommes à part lui y sont présentés comme médiocres et intéressés : les vertus qu'ils affectent sont fausses. Les Maximes, commencées en 1657-1658, à partir d'échanges avec Mme de Sablé et Jacques Esprit, généralisent cette vision. La Rochefoucauld dénonce l'illusion d'un héroïsme dont il fut un protagoniste avant d'être enveloppé dans la décadence de la classe et de l'idéologie qui le fondaient. Il compense sa ruine par sa lucidité.



2. Une ouvre complexe



Un premier état des Maximes nous est connu par quatre manuscrits, une édition subreptice et une édition princeps (27 octobre 1664), légèrement différents les uns des autres. Il y aura quatre autres éditions (1666, 1671, 1675, 1678). Aux trois cent seize maximes initiales s'en ajoutent deux cent soixante-deux autres (44, 40, 72 et 106) tandis qu'en disparaissent soixante-quinze (60, 1, 14, 0), dont l'autorité varie selon la raison hypothétique de leur suppression. L'ouvrage n'a guère de plan ; seules les cent premières maximes de l'édition originale constituent un ensemble cohérent sur « la fausseté de tant de venus apparentes ». S'y ajoutent des textes que La Rochefoucauld n'a pas voulu publier, appelés à tort maximes posthumes. Et des Réflexions diverses, écrites à des dates incertaines et variées.

La complexité des Maximes n'est pas accidentelle : c'est une phénoménologie critique. Pour ruiner la vision humaniste, l'auteur veut, comme Pascal à la même époque, « faire l'anatomie de tous les replis du cour », en montrer « les contrariétés » et notamment la différence entre les « apparences trompeuses » et les véritables mobiles (6 février 1664). Témoin d'une époque de crise, il refuse le credo du premier XVII' siècle humaniste : ce n'est pas la volonté guidée par la raison qui dicte nos comportements. « La fortune et l'humeur gouvernent le monde » (M. 435). « L'esprit est toujours la dupe du cour » c'est-à-dire de réflexes prérationnels (M. 102). Et notre ressort, l'amour-propre, est un véritable Protée, capable de se nourrir même d'abnégation affectée. Puisqu'elles déconstruisent nos comportements et nos explications sans proposer de solution positive, les Maximes ne peuvent composer une ouvre unifiée. De plus, La Rochefoucauld, aristocrate mondain, ne saurait faire un de ces exposés systématiques et pédants qui sont passés de mode depuis que le public des salons a pris le pas sur les doctes. L'heure est aux réflexions, pensées, maximes, lettres, entretiens, fables et caractères, variés, séduisants, qui font appel à la complicité du lecteur et ne lui imposent aucun plan. Dans le monde, « on ne plaît pas longtemps quand on n'a que d'une sorte d'esprit » (M. 413). Moralement chagrines, les Maximes sont littérairement jouissives et l'amour-propre qu'elles dénoncent y prend souvent sa revanche esthétique. En cela, elles participent de la sublimation classique.



3. L'amour-propre



Les Maximes évoquent une seule fois l'ancien principe de toute valeur pour en faire le masque du ressort de nos vices : « ce qui paraît générosité n'est souvent qu'une ambition déguisée qui méprise de petits intérêts pour aller à de plus grands » (M. 246 ; cf. 213, 248, 285 et M.S. 51). Notre principe psychique, c'est Xamour-propre, qui a lui-même un ressort concret : 'intérêt. Ce mot apparaît dans 25 maximes, contre 16 pour amour-propre. « L'intérêt est l'âme de l'amour-propre » (M.P. 26). Cette maxime ne fut pas publiée : trop hardiment machiavéliste, comme M.S. 28, trop longue et recherchée comme M.S. 1 et 41 ?

En 1663, La Rochefoucauld a consulté plusieurs personnes sur son manuscrit. Certains sont choqués par cette « âme noire », cet « encouragement pour le libertinage ». D'autres, à la lumière de l'augustinisme dominant, y apprécient « une satire très forte » du « péché » originel, de l'amour-propre et de l'orgueil, regrettant seulement qu'elle ne s'achevât point sur l'éloge des vertus chrétiennes. La Rochefoucauld s'empare de cette suggestion. Il présente son ouvre comme une peinture, « conforme aux pensées de plusieurs pères de l'Église », de « l'homme corrompu, attaqué de l'orgueil et de l'amour-propre [...] sources malheureuses de toutes nos misères». La pragmatique maxime initiale de 1663 recule à la 191e place et l'amour-propre s'empare des quatre premières, avec des formules brillantes qui se bornent à décrire ses caractères ; huit autres, plus loin, en précisent le ressort : l'égocentrisme intéressé (83, 88, 228, 236, 247, 262, M.S. 17 et 32), confirmé dans les éditions suivantes (81, 324, 339, 494). En revanche, loin d'adopter une perspective religieuse, La Rochefoucauld évite de publier les dix maximes manuscrites qui parlaient de Dieu, du Diable, de la Providence, de la chute ou de la charité (cf. surtout M.P. 22).



4. Une sagesse réaliste



La seconde édition atténue le zèle affecté de la présentation et le numéro sur l'amour-propre cède la place à une nouvelle maxime initiale qui nous donne comme principes « la fortune ou notre industrie » : le hasard ou notre habileté intéressée. Il est certain que La Rochefoucauld était imprégné d'augustinisme : beaucoup de ses meilleurs amis étaient liés à Port-Royal. Mais si l'anthropologie augus-tinienne avait alors un tel succès, c'est qu'elle correspondait à une nouvelle condition humaine (p. 158-165), qu'on pouvait aussi percevoir à la lumière de Machiavel, Tacite et leurs disciples, ou encore selon la perspective épicurienne d'un déterminisme universel particularisé : celui des circonstances, des tempéraments, de l'égocen-trisme de chaque être. Dans quelle mesure La Rochefoucauld condamne-t-il l'amour-propre, que par ailleurs il admire ? Est-il vraiment augustinien en psychologie ou a-t-il emprunté ce langage et privilégié par prudence cette forme d'explication ? Evite-t-il de parler de Dieu parce qu'il n'y croit pas suffisamment ou parce que ce ne peut être l'objet d'une ouvre littéraire ? La lettre du 6 février 1664, selon laquelle les Maximes montrent que l'homme a besoin d'être « redressé par le christianisme », sent l'apologie. Les Maximes ressemblent à la première partie des Pensées : mais celles-ci dénonçaient l'humanisme pour préparer à une solution qui est absente, quelle que fût l'intime conviction de l'auteur, dans un ouvrage écrit pour séduire les mondains et non pour les angoisser.

La Rochefoucauld ne se borne pas à critiquer. Il ne nie pas les valeurs : il récuse l'idée que nos motivations y seraient conformes. C'est en leur nom que son idéalisme déçu dénonce notre égocen-trisme, notre fausseté, notre absence de mérite. Il sait que les idéaux agissent sur les hommes, malgré qu'ils en aient : « l'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu » (M. 218) ; l'amour-propre se déguise pour mieux arriver à ses fins. Sa dénonciation n'est pas absolue : de fréquents modalisateurs (« souvent », « pas toujours », « d'ordinaire », « quelquefois ») permettent des exceptions : « la parfaite valeur » se rencontre, quoique « rarement » (M. 215). Elle frappe les motivations plutôt que les actes et sa lucidité cynique prépare, comme chez La Fontaine, une sagesse réaliste. « Les vices entrent dans la composition des vertus comme les poisons entrent dans la composition des remèdes. La prudence (4) s'en sert utilement contre les maux de la vie » (M. 182). Certes, « la vertu n'irait pas si loin si la vanité ne lui tenait compagnie » (M. 200). Mais ce n'est grave que d'un point de vue idéaliste. Une conscience lucide et une sagesse pragmatique peuvent préserver la validité des actes et même utiliser pour cela des motivations intéressées. Une fois dissipée toute illusion sur leur motivation, l'amitié (81, 83, 88), l'amour (262), la bonté (236), la fidélité (247), le courage face à la mort (46, 504) n'en sont pas moins appréciables. « L'intérêt, que l'on accuse de tous les crimes, mérite souvent d'être loué de nos bonnes actions » (M. 305).

La Rochefoucauld fait la même analyse que les augustiniens, mais dans une perspective inverse. Il dénonce l'illusion non pour semer une angoisse salutaire, mais pour construire « un art de vivre profane » (P. BénichoU), fait de l'adaptation que refuse Alceste, de 'honnêteté que récuse Pascal. En fin de compte, il récupère même défauts et illusions au service du bonheur (M. 36 et 168). Cette tendance est plus nette dans les Réflexions diverses, dont il faut rappeler la spécificité. Les Maximes, parce que le genre les pousse à être piquantes, sont dénonciatrices. Les Réflexions sont plus amples, plus posées, plus cons-tructives. La Rochefoucauld, qui ne les publie pas, y joue moins un rôle. Elles roulent sur la vie sociale plus que sur les motivations : c'est un lieu où proposer des solutions pratiques pour souligner l'harmonie possible des comportements contrôlables sans trop s'interroger sur les motivations incontrôlables. Il faut, comme le disent aussi La Fontaine et Philinte, s'adapter aux réalités. « La société est nécessaire aux hommes [...]. Mais peu se servent des moyens de la rendre agréable [...]. Chacun veut trouver son plaisir et ses avantages aux dépens des autres [...]. Il faudrait du moins savoir cacher ce désir de préférence, [...] faire son plaisir et celui des autres, ménager leur amour-propre et ne le blesser jamais » (II). Les Réflexions nous proposent un épanouissement et un an de plaire qui résultent de l'accord entre le statut social et la personnalité naturelle, entre l'être et le paraître. La sagesse est convenance, bienséance, honnêteté.



5. Un classique et un aristocrate mondain



Cette façon de résorber les problèmes par une convenance qui est à la fois soumission sociale et bonheur personnel, authenticité, vraisemblance, bienséance et harmonie fait de La Rochefoucauld l'un de nos premiers classiques, même dans les Maximes, qui subliment l'amertume en esthétisme et lucidité. Il saborde nos assises, mais la justesse, la beauté, l'équilibre des formules empêchent de sombrer : « catastrophe bien réglée » (J. StarobinskI) par une stylisation qui s'affirme au fil des éditions. De Malherbe à Corneille, un sujet extraverti s'exprimait, s'imposait. La Rochefoucauld s'analyse d'un regard critique et se reconnaît le sujet impuissant d'une commune condition humaine. Il se sauve par l'art classique où le sujet résorbe son problême dans sa parole, qui profère une vérité universelle ; il se satisfait dans cette discipline, évitant l'angoisse par une ironique maîtrise.

A l'époque héroïque, la vertu « dompte » les passions « sans les affaiblir » : elle leur « laisse toute leur force pour en triompher plus glorieusement » (Examen du CiD). D'où, chez Corneille, une rhétorique où le dépassement de la concession rehausse la résolution. Quoique, malgré mon devoir, mon cour souffre, néanmoins, malgré cette passion, ma vertu triomphera : plusieurs tirades sont construites sur ce modèle (5). Chez Descartes, la concession est englobée dans le raisonnement qui la maîtrise (« car, encore que... ») et le « ne... que » réduit la difficulté à la simple et solide vérité. Chez La Rochefoucauld, « quelque... que » dégonfle la prétention et mesure l'insuffisance de tout effort et « ne... que » réduit l'illusion à la triste vérité. La phrase est déséquilibrée, descendante, décevante dans son élan interrompu. Cette logique réductrice est fort différente de la dialectique pasca-lienne, prometteuse de dépassement des contradictions.

Malgré sa reconversion critique, La Rochefoucauld reste un aristocrate. Tous les hommes se ressemblent, mais « il n'appartient qu'aux grands hommes d'avoir de grands défauts » (M. 190, cf. 237). Comme féodal, il a perdu la partie ; comme « roseau pensant », il garde la supériorité de la conscience et du style où le brio narcissique balance l'autocritique. Classique comme loi universelle et formule disciplinée, la maxime est aristocratique et mondaine comme jeu paradoxal. Parfois, elle cherche à briller et à provoquer plutôt qu'à peser la vérité (M. 76, 340, 362, 396, 444, 466). Ce n'est pas toujours l'idée qui nous convainc chez La Rochefoucauld : il faut être pédant pouf vouloir examiner des formules assez belles pour séduire d'emblée. Cet écrivain pense à son hypocrite lecteur quand il dit que « la pénétration a un air de deviner qui flatte plus notre vanité que toutes les autres qualités de l'esprit » (M. 425).






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