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La nouvelle psychologie






La fin du « caractère »



Depuis la fin du XIXe siècle, dans un climat intellectuel dominé par le berg-sonisme, la conception de la psychologie humaine s'est trouvée totalement modifiée. Alors que la psychologie classique reposait sur la logique, sur l'unité et la permanence du « caractère » cl sur la reduclibilité de l'individu à une nature humaine, on se montre de plus en plus sensible non seulement à la singularité de l'individu mais aussi à l'incohérence et à l'imprévisibilité de l'être vivant.

C'est au nom de la « vie », foncièrement étrangère à la logique, et au nom de la « sincérité », qui condamne les constructions artificielles de l'esprit, que Jacques Rivière, prônant l'exemple du roman étranger, anglais ou russe, appelait de ses voux en 1913 un renouvellement du roman français1. Epris lui aussi de sincérité. Gide prend pour tâche de mettre au jour les contradictions et la multiplicité du moi. Avec ses conférences de 1923, il fait l'éloge des romans de Dostoïevski. Dans une perspective analogue, Proust analyse les « intermittences du cour » et ses personnages sont faits de « personnalités » successives.



Dès les lendemains de la guerre, les pièces de Pirandello, qui triomphent sur les scènes françaises (avec notamment en 1923 Six Personnages en quête d'auteuR), veulent montrer que la « personnalité » est une notion discutable. Valéry, de son côté, examine avec lucidité, dans ses Cahiers notamment, ce qu'il nomme la « fiction2 » du moi. Quant à Breton, un des reproches qu'il fait au roman, dans son Manifeste de 1924, c'est sa croyance arbitraire en un moi stable et cohérent.

Enfin, la notion de « subconscient » ou d'« inconscient » s'est répandue depuis les travaux du psychologue Ribôt ceux dû medecin Charcot sur l'hystérie, tout comme avec les réflexions de Bergson, qui oppose moi superficiel et moi profond, et surtout avec les idées de Freud, dont on commence à traduire en français les ouvrages au début des années vingt.

Si les théories freudiennes éveillent parfois bien des réserves, elles ont cependant un énorme retentissement, comme en témoigne par exemple le numéro spécial du Disque vert en 1924. On sait que Breton ira jusqu'à Vienne pour rendre visite au père de la psychanalyse, celui que Crevel nomme « notre Socrate3 ». En 1933, dans Edgard Poe. Marie Bonaparte applique pour la première fois en France la méthode psychanalytique à l'étude d'un poète.

Que l'on invoque Freud, qu'on le récuse ou qu'on l'ignore, la convergence est indéniable entre le « freudisme » et l'esprit de « sincérité ». le désir de sonder les profondeurs du psychisme et d'éclairer les régions troubles de l'âme, qui caractérisent les nouveaux « moralistes ». Comme l'écrit Cocteau à propos du cour humain Moitie ombre moitié lumière : c'est l'éclairage des planètes. »

Les meilleurs peintres de la psychologie humaine n'avaient certes pas ignoré ses complexités et ses contradictions, mais la littérature de l'entre-deux-guerres insiste tout particulièrement sur les incohérences de l'être et sur l'ambivalence des sentiments. Elle crée des personnages à multiples fa_cettes. dont la complëxitè déconcertante est au diapason d'un monde qu'on sent de plus en plus lui-même incohérent, instable et imprévisible. Cette époque inquiète se fait de l'homme une image inquiétante.

L'exemple de Gide, l'« inquiéteur» par excellence, a joué un grand rôle dans cette nouvelle orientation de la littérature psychologique. Henri Massis. dans ses Jugements, peut accuser le « démoniaque » auteur des Faux-Monnayeurs de remettre en cause la notion même de l'homme. Les principaux héros des Faux-Monnayeurs sont en effet insaisissables par quelque côté. Ils ont des comportements inattendus et imparfaitement expliqués. Edouard est particulièrement fuyant : son « être "du matin » ne ressemble jamais à son « être du soir ». Ce qui complique encore les choses, c'est la présence occulte du « démon ». Si Gide ne cherche pas, contrairement à Bernanos, à nous faire croire à une réalité surnaturelle, il donne au démon une réalité psychologique. Celui-ci incarne la mauvaise foi qui est au cour de l'homme. Les ruses du démon peuvent faire parfois penser à celles de l'inconscient. Grâce à lui, l'homme peut se mentir à lui-même, ne pas s'avouer ses vrais désirs, tout en les assouvissant de manière oblique. Le démon gidien est l'inspirateur de sophismes permettant de justifier par la morale ou la raison ce qui est en réalité destiné à satisfaire les intérêts ou les passions. Ce « démon » est aussi celui qui inspire le pasteur de La Symphonie pastorale (1919) et fait de celui-ci un véritable aveugle. Le pasteur n'est pas un simple hypocrite, car il se trompe lui-même. Il est à la fois moralement scrupuleux et immoral. Le procédé du journal tenu par le personnage ne peut que souligner sa mauvaise foi.

Face à Gide, Martin du Gard représente des conceptions plus traditionnelles. Leur correspondance le montre bien. Gide reproche à son ami de ne pas suffisamment laisser d'incertitude autour de ses créatures, qui sont toujours vues sous le même éclairage. Beaucoup des héros des Thibault, cependant, ne peuvent se laisser enfermer dans le cercle étroit d'un « caractère » ou d'une personnalité définissables une fois pour toutes. Jérôme de Fontanin, si léger et débauché soit-il, éprouve un repentir sincère, quoique provisoire, et il aime véritablement son épouse, bien qu'il ne cesse de la tromper. Quant à celle-ci, austère et vertueuse, elle domine mal le trouble sensuel que lui fait éprouver son infidèle mari. Jacques, de son côté, est à la fois faible et fort, et ce qu'il éprouve pour son père, c'est un sentiment ambivalent, à la fois de la haine et un amour viscéral. Même le monolithique M. Thibault se révèle différent de ce qu'il paraissait, grâce aux lettres d'amour que l'on découvre après sa mort.



Comme beaucoup de leurs contemporains, Gide et Martin du Gard font une place de choix aux incertitudes de l'adolescence. L'adolescent est l'être mobile par excellence parce qu'il est en formation. Jacques Thibault ou les principaux héros des Faux-Monnayeurs sont des adolescents qui cherchent leur voie et se laissent solliciter par des appels contradictoires. L'adolescent est un être tourmenté comme ceux de L'Inquiète Adolescence (1920) de Louis Chadourne, ou de La Vie inquiète de Jean Hermelin (1920) de Lacretelle. C'est aussi un être ambigu, comme le protagoniste du Diable au corps, un cour naïf et roué, à la fois flatté et inquiet de jouer un rôle d'homme alors qu'il se sentait encore presque un enfant.

Le trouble et l'inquiétude nés de la guerre ont pu contribuer à rendre les esprits plus sensibles à l'illogisme et à l'ambiguïté. La guerre elle-même, d'ailleurs, avait souvent été l'occasion de révélations surprenantes. Dans son atmosphère exceptionnelle, les êtres avaient pu se montrer différents de ce qu'ils étaient dans la vie courante. Des qualités d'ordinaire occultées se manifestaient, des instincts refoulés se libéraient. De même, c'est à la faveur des troubles révolutionnaires de Russie que les héros de Kessel dans La Steppe rouge (1923) sentent s*éveiller en eux des tendances qu'ils avaient toujours ignorées. Chez Kessel, l'aventure et ses surprises ne sont pas seulement dans les événements extérieurs, elles sont aussi dans la vie intérieure des personnages. II aime peindre le mystère des âmes emportées par des mouvements contradictoires. Ainsi le héros du Coup de grâce (1931) découvre que le chef prestigieux et hardi auquel il voue une admiration exaltée se laisse cependant humilier par une courtisane à qui l'asservit une passion avilissante. Quant à l'héroïne de Belle de jour (1928) - dont Bunuel tirera plus tard un film -, pudique avec son époux, elle ne rêve que de se prostituer à des inconnus.

Chez Morand. la psychologie humaine se détache sur le décor d'un monde foncièrement ambigu, rendu encore plus chaotique par les soubresauts de l'histoire, et elle se révèle souvent par des coups de théâtre. Les héroïnes d'Ouvert la nuit, témoins d'un monde en crise, sont toutes déconcertantes, par exemple la Remedios de « La Nuit catalane », à la fois petite-bourgeoise sentimentale et révolutionnaire intrépide. Dans Flèche d'Orient (1932), le comportement du héros est en contradiction avec ce qui paraissait être son « caractère » : cet émigré russe parfaitement adapté aux plaisirs de la vie parisienne finit, sur un coup de tête, par rejoindre son pays où il risque la mort. On pourrait multiplier les exemples, chez l'auteur des « Nuits », de cette psychologie de l'inattendu, où se rejoignent le goût moderne de la « surprise » et une certaine angoisse devant un monde énig-matique. Ainsi dans L'Europe galante, la nouvelle « La Glace à trois faces » présente trois visions contradictoires du même homme expliqué par trois femmes différentes.



Maurois utilisera un procédé analogue dans un de ses romans les plus célèbres, Climats (1928). D'une partie à l'autre du livre, son héros ne semble plus le même être. D'abord amoureux sentimental et chevaleresque, il devient ensuite cruel, égoïste et cynique. Cela est dû en partie au changement de narrateur : d'abord lui-même, puis sa deuxième épouse. En effet, chacun a sa vérité. Mais cela provient aussi du fait que le « climat » de son âme change, en relation avec celui que créent ses deux partenaires successives. L'être n'est pas un. mais multiple. El il varie au fil du temps. Ainsi le héros de Bernard Quesnay (1926) se transforme de rêveur idéaliste en homme d'affaires soucieux de ses intérêts et de ses devoirs. Maurois, grand admirateur de Proust (qu'il a lu dès 1913 et auquel il consacrera une étude en 1949) - alors qu'il s'est déclaré allergique à Gide -, applique lui-même à ses créatures l'idée devenue courante que la personnalité est quelque chose de foncièrement instable.



Montherlant, qui se méfie des constructions intellectuelles et de la logique, heurte volontairement celle du lecteur. Il crée volontiers des personnages déroutants. Costals peut se montrer tour à tour généreux et cruel, délicat et mufle. Quant à Solange, cette petite-bourgeoise conformiste, elle est parfois nimbée d'une sorte d'éclat merveilleux ou héroïque : elle est celle qui peut fixer le soleil et elle n'hésiterait pas à épouser Costals alors qu'elle le croit lépreux.

Un certain « pirandellisme » est dans l'air. Dans tous les domaines, et notamment celui de la psychologie, on a le sens aigu de l'ambiguïté. On est donc amené à scruter toute une « vie secrète », la « face cachée » de l'âme, où l'on peut voir surgir, notamment dans les rêves, toute une réalité seconde, libérée des contraintes morales et logiques de la vie quotidienne. Ainsi tout ce qui trahit le refoulé (rêves, faits de langages, désirs contradictoireS) constitue la substance de plusieurs récits de Jean Paulhan, où, toujours par des voies obliques, se révèlent les secrets des personnages, par exemple celui d'Aytré qui a commis un meurtre et qui se trahit à son insu simplement parce que, inquiet, il ne tient plus son journal de route comme d'habitude (Aytré qui perd l'habitude. 1921 ; Le Pont traversé, 1921 ; La Guérison sévère, 1925).

C'est un autre en effet que chacun porte en lui et sa vérité reste insaisissable : « Il n'y a pas de vérité, n'est-ce pas ? », telle est la phrase de conclusion dans L'Homme qui regardait passer les trains (1938), l'un des meilleurs romans psychologiques de Simenon. Son héros, qui abandonne soudain une vie tranquille pour se lancer dans l'aventure, est-il un homme qui est devenu plus lucide que les autres ou bien simplement un paranoïaque ? Chacun veut avoir sur lui sa vérité mais personne ne la tient vraiment. Ce schéma narratif, où l'on voit un homme dévier brusquement de sa route et endosser une nouvelle personnalité, revient souvent dans l'ouvre de Simenon, par exemple dans Le Bourgmestre de Fumes (1939) ou Pietr-le-Letton (1930) où l'on voit apparaître le thème du double, symbole d'un moi divisé, sous la forme de deux frères, sosies l'un de l'autre et opposés par une rivalité inexpiable. Chez Marcel Aymé, la dissociation de la personnalité apparaît avec un certain fantastique dans Les Jumeaux du Diable (1928), tandis que dans Le Moulin de la Sourdine (1936) se révèlent les instincts criminels d'un bon bourgeois.



La hantise du double comme signe de division du moi joue aussi un grand rôle chez Giraudoux, ennemi du roman psychologique classique, ou chez Green, qui introduit la dimension surnaturelle dans le domaine de la psychologie. L'amnésie du « Limousin » qui devient « Siegfried », les départs inattendus de beaucoup de personnages giralduciens, de Juliette à Edmée, ou bien la folie et les hallucinations du héros dans Le Voyageur sur la terre (1925) ou Le Visionnaire (1934). témoignent de cette attention accordée au dédoublement de la personnalité à une époque où l'on traduit les études d'Otto Rank sur ce sujet : Don Juan et Le Double (1932).

Le dédoublement implique l'idée d'un « rôle » qui vient masquer la vraie personnalité ou de plusieurs rôles dont on ne sait quel est le vrai. Comme le montre l'exemple de Pirandello, le théâtre se prête particulièrement à ces jeux du vrai et de l'illusion. Dans Mouchoir de nuages (1924) Tzara, en bon dadaïste, fait déclarer par ses personnages que la vérité est fausse et le mensonge vrai. On ne distingue plus les acteurs réels et les personnages fictifs. Chez Ghelderode, beaucoup de personnages cherchent leur identité. Dans La Mort du Docteur Faust (1925), le vrai Faust est confronté à un acteur qui joue son rôle et il finit par se sentir aussi peu « vrai » que lui.



De la quête à la crise du moi



Ce moi insaisissable et complexe, on se plaît pourtant à l'analyser dans ses détours imprévisibles. Les lendemains de la guerre, où l'on voit grandir la gloire de Proust, connaissent une inflation de littérature introspective, contre laquelle voudront réagir soit Massis et ses amis de La Revue universelle, rejetant cette littérature « subjectiviste », soit le populisme ou la littérature prolétarienne, soit la littérature d'action et d'« engagement » des années trente.

Comme toujours (au xvf siècle avec Montaigne, puis au xvnr, époque de bouleversement des valeurs, et enfin au xrx% au moment du romantismE) une telle littérature se développe à un moment de crise, de relativisme et d'individualisme, le moi s'affirmant ainsi contre les troubles et les incertitudes du monde extérieur. Mais ce qui va caractériser, plus encore qu'à toute autre époque, cette attention portée au moi, c'est la tendance à faire apparaître la labilité du moi, sa précarité. Le Narcisse-de-Valéry (« Fragments du Narcisse », dans CharmeS) est le symbole de la conscience de soi, qui est reconnaissance de sa solitude mais en même temps impuissance à se rejoindre soi-même.



Certaines narrations romanesques ont la forme d'une confession ou d'un examen de conscience, parce que l'« action », plus que dans les événements, va consister dans la découverte de soi. Dans Le Noud de vipères de Mauriac, Louis écrit d'abord pour sa femme, ou plutôt contre elle, mais peu à peu le récit devient une descente en soi-même, qui lui permet de mieux se connaître, de remettre en cause ses certitudes d'antan et peut-être de sauver son âme, mais après avoir pris conscience de ses contradictions.

C'est aussi par la « confession » d'un être désorienté que débute le cycle romanesque consacre par Duhamel à Salavin (Confession de minuit, 1920). Comme plus tard le héros de La Chute, Salavin se raconte à un inconnu rencontré dans un café. Ce besoin d'aveu et d'humiliation, qui le fait ressembler à un personnage de Dostoïevski, est aussi un besoin de mieux se comprendre lui-même. C'est pourquoi, dans le troisième volume de la série. Duhamel lui fait tenir son journal intime, procédé qui souligne à la fois le narcissisme du personnage et son désir désespéré d'unifier son moi (Journal de Salavin, 1927). Dans les trois autres romans, Duhamel adopte le récit objectif à la troisième personne, mais quel que soit le procédé utilisé, on voit toujours le personnage. Narcisse inquiet et honteux de lui-même, se heurter à sa propre énigme et prendre conscience de la volatilité et de l'absurdité de ses désirs et de ses pensées, par exemple lorsque de façon tout à fait incongrue, il ne peut se retenir de toucher l'oreille de son patron, ce qui motive son renvoi immédiat. Il se sent parfois comme étranger à lui-même, traversé de courants dont il n'est pas le maître : « On pensait en moi, à travers moi, envers et contre moi5. » Son moi se dilue dans l'impersonnalité d'un « on » inquiétant, image des pulsions de son inconscient. Toujours à la poursuite de lui-même, il déambule dans les rues de Paris et finira par s'enfuir jusqu'en Afrique, d'où il reviendra pour mourir finalement chez lui, apaisé sans doute mais épuisé par cette difficile et vaine recherche (Tel qu'en lui-même, 1932).

La littérature autobiographique se développe considérablement. On évoque volontiers son enfance et sa jeunesse, c'est-à-dire l'époque où la personnalité se forme. Rechercher son enfance, c'est rechercher les fondements de son être. Avec Colette, le récit d'enfance est évocation d'un bonheur perdu. Comme Proust, elle recrée une enfance heureuse, ou du moins elle en donne une image idéale, à la fois vraie et rêvée (Sido, 1930).

Mais plus souvent, fouiller dans son enfance, c'est vouloir y retrouver l'origine de ses hontes et de ses misères, c'est chercher une vérité déplaisante et amère. Ainsi Gide, dont le besoin de parler de soi prend aussi la forme du Journal, ouvre la voie avec Si le grain ne meurt (1921), aux confessions sincères où la franchise est poussée à l'extrême et peut devenir choquante. Il y livre sans détours les détails les plus scabreux sur sa sexualité en renversant le mythe de l'innocence enfantine et révèle la tension qui le déchire entre puritanisme et sensualité. Ce qu'il veut faire apparaître, par un éclairage parfois ambigu qui crée des effets de pénombre, c'est la complexité même de son être.



Quant à Michel Leiris, il est de son propre aveu, un « maniaque de la confession ». L'Age d'homme (1939) est un examen de conscience qui prolonge une psychanalyse. Ayant appartenu de 1924 à 1929 au mouvement surréaliste et reconnaissant dans Nadja un des modèles de son entreprise, il cherche à livrer de lui-même les détails les plus dérisoires ou les plus honteux, en refusant, conformément à ce que demandait Breton, toute affabulation romanesque. Renouvelant la conception de l'autobiographie, il nous donne de lui un portrait « éclaté », au gré des obsessions qui le hantent, notamment celles des deux figures antagonistes de Lucrèce, la victime, et de Judith, la meurtrière, qu'il a vues sur un tableau de Cranach et en lesquelles se retrouvent associées, sous le signe de la honte, violence et sexualité.

Bien des « romans » de l'époque ne sont que des autobiographies déguisées. Dabit avec Petit-Louis comme Henri Calet avec La Belle Lurette évoquent les tristesses d'une enfance déshéritée, aboutissant à l'expérience cruelle de la guerre, dans le cas de Dabit. La Belle Lurette (1935) appartient à la même veine qui associe paradoxalement « populisme » et « intimisme ». C'est en quelque sorte la « recherche du temps perdu » chez les prolétaires et dans un registre de gouaille amère, proche du ton de Céline ou de Queneau. Mais plus qu*un simple témoignage populiste, le livre est le récit d'une expérience de la vie, qui apparaît comme une « sale blague », comme une impasse sordide, à l'image de la voie sans issue où logeaient les parents du narrateur. Quête de soi et quête spirituelle se confondent dans un récit comme Le Bonheur des tristes (1935) de Luc Dietrich - disciple et ami de Lanza del Vasto -, qui eut un grand succès lors de sa parution : c'est une sorte de confession où l'apprentissage que fait un enfant de la vie et de ses misères constitue une première étape sur la voie de la sagesse.

C'est l'ouvre entière de l'écrivain belge André Bâillon qui est vouée à la recherche de soi. Cet homme, souffrant d'une névrose qui le conduira au suicide en 1932, transpose dans ses romans ses propres tourments et ses obsessions en les insérant dans la trame du quotidien le plus prosaïque (Moi, quelque part, 1919 ; Histoire d'une Marie, 1921 ; Un homme si simple. 1925). Puis, avec une sobriété poignante, il relate son expérience des hôpitaux psychiatriques (Chalet I, 1926 ; Délires, 1927).

C'est par « un voyage sur les ténébreuses frontières de l'humain ». selon sa propre formule, que Jean de Boschère part à la recherche de lui-même et ne rencontre que le doute. Sa poésie (Job le Pauvre, 1922), ses romans autobiographiques (Marthe et l'Enragé, 1927, ou Satan l'Obscur, 1933) - où l'on peut voir alterner le « je » de la confession et le « il » du récit objectif -, ou encore des textes comme ceux de L'Obscur à Paris (1937), qui relèvent à la fois de la poésie et du journal intime, sont l'expression d'une vie intérieure où la quête de l'absolu est liée à la fascination du mal. Le personnage de « l'Obscur », image mythique de l'auteur, est une sorte de mystique, tenté par l'érotisme, la révolte et les séductions du satanisme.



Cette recherche d'un moi ressenti comme précaire, ou en tout cas « incertain », est une forme d'expression majeure du « nouveau mal du siècle », dont une composante essentielle consiste dans la « crise du moi », dans la crise d'identité qui tourmente bien des « inquiets » au lendemain de la guerre. Arland - un représentant de ce « nouveau mal du siècle » qui donne une fonction existentielle à la littérature -, pratique, dans un registre plutôt classique, cette recherche de soi. Même dans une transposition romanesque à la troisième personne, comme L'Ordre, le personnage se livre à l'examen de conscience, s'interroge sur le sens de son aventure, pratique donc le travail de connaissance de soi que l'auteur accomplit pour son propre compte dans des essais faits de rêveries ou de méditations comme Où le cour se partage (1927) ou bien dans des récits autobiographiques comme Terre natale (1938), où il revient sur son enfance.

Ceux qui explorent et exposent leur moi sont des Narcisse à la fois complaisants et critiques à l'égard d'eux-mêmes. Avec État civil (1921), Drieu La Rochelle nous livre une confession, âpre et dénudée, où il s'efforce de trouver l'explication de ses tourments et de ses impuissances. Il avoue lui-même : « Saurai-je un jour raconter autre chose que mon histoire6 ? » Effectivement, la plupart des romans qui suivront seront l'histoire d'un personnage instable, fuyant mais assez clairvoyant, et assez cynique, pour ne pas se cacher ses faiblesses (L'Homme couvert de femmes. 1925, ou Drôle de voyage. 1933). Sous ses diverses incarnations. « Gilles » est bien ce Narcisse honteux, dont la littérature de l'époque nous propose tant d'exemples : obsédé par lui-même mais toujours prêt à se mépriser et à se condamner. Gilles (1939) est comme le bilan sévère de vingt années d'après-guerre, c'est-à-dire d'une époque de trouble et d'incertitude où le héros fréquente d'autres « incertains », Caël et ses amis, avec lesquels Drieu donne une image critique du groupe surréaliste.

Ce sont en effet des êtres « à la dérive » que peint Soupault, notamment dans À ta dérive (1923) ou Le Bon Apôtre (1923) : êtres impuissants à se définir et à se stabiliser, mais refusant aussi de s'enfermer dans un personnage de la comédie sociale, images d'une crise morale qui est celle de l'auteur lui-même comme de beaucoup de ses contemporains. Dans Le Bon Apôtre, l'auteur se dédouble : il raconte sous son nom réel la vie d'un ami, dont il nous fait lire aussi le journal. Ce roman est ainsi une confession voilée où le dédoublement traduit la difficulté à coïncider avec soi-même.

Comme beaucoup de récits de Soupault. ceux de Crevel sont des autobiographies déguisées où, s'exprimant à la première ou à la troisième personne, il dépeint toujours le même type de personnage, image de lui-même, révolté et faible, souffrant de sa solitude et reculant devant l'amour (Détours. 1924). Narcisse ironique et désespéré, ce héros ressent douloureusement ses équivoques et ses divisions internes (Mon corps et moi, 1925) et il est sans cesse obsédé par l'idée de la mort (La Mort difficile, 1927).

Ce n'est pas seulement dans le récit que le moi va ainsi se libérer au risque de se perdre. Toute une tendance de la poésie moderne a aussi pour objectif d'explorer le moi profond, mais en même temps elle aboutit à une négation du moi. Ainsi, la « spontanéité » dadaïste ou l'« automatisme » surréaliste, qu'on peut considérer comme des manifestations extrêmes du subjectivisme, se veulent aussi une abolition du « sujet », dans tous les sens du terme. En 1929, Aragon définit le modernisme poétique par l'abandon du moi comme principe créateur et organisateur. Cela signifie « l'agonie et la mort de l'individualisme essentiel aux hommes d'il y a vingt ans7 ».

À ce mouvement correspond une expérience décevante de la vanité du moi, de son inconsistance ou tout au moins de son impuissance à se comprendre : « Tout ce qui est moi est incompréhensible8 », constate le héros d'Aragon, Télémaque, chez qui la quête d'Ulysse est une façon de se chercher lui-même (Les Aventures de Télémaque. 1922). On se demande si la notion d'individu a un sens.

Pourtant, chez Breton la quête du moi constitue une véritable quête spirituelle. C'est le sens profond du « Qui suis-je ? » qui ouvre Nadja, où la sincérité totale de l'écrivain est garante d'une authentique recherche de la vérité :



Je persiste à réclamer les noms, à ne m'intéresser qu'aux livres qu'on laisse battants comme des portes, et desquels on n'a pas à chercher la clé.



Si le moi de Nadja se désagrège dans la « folie », celui de Breton se trouve enrichi, libéré par tous les « signes » qu'il a rencontrés et qui l'ont mis en contact avec son inconscient. Chez Breton, cet évanouissement du moi, par exemple dans l'écriture automatique, est conçu comme quelque chose de positif, de bénéfique, comme une accession à un état plus vaste, plus libre, plus riche. Le surréalisme, tel que l'entend Breton, peut être considéré comme une résolution optimiste de cette crise du moi qui travaille l'époque et qui constitue l'envers d'une exaspération de la « sincérité », d'un triomphe du subjectivisme.

L'attention prêtée au moi a au contraire généralement pour conséquence de mettre en évidence son émiettement, sa dissolution dans une multiplicité de mouvements contradictoires. La poésie d'Henri Michaux se rattache à cette tendance. Elle constitue une exploration inlassable et inquiète d'un moi perçu comme « lointain »'° et déchiré. Le poème « Le Grand Combat », dans Qui je fus (1927), est révélateur, et le titre même du recueil est déjà une façon de nier la permanence du moi. De même, le titre de Mes propriétés (1929) a une valeur antiphrastique : le sujet peut-il se sentir chez lui lorsque son prétendu moi se transforme en champ de bataille ? Le moi est sans cesse agressé, sur le qui-vive, et, subissant lui-même de multiples métamorphoses, il ne se trouve jamais sur un terrain bien solide (La nuit remue, 1935). Chez Michaux, l'éclatement du langage, avec la création de mots incongrus, mime cet éclatement du moi.

La quête du moi est aussi un des axes de l'ouvre poétique ou narrative de Queneau. Dans son autobiographie en vers, Chêne et Chien (1937), dont le titre symbolise le déchirement entre le spirituel et le bestial, se révèle l'inquiétude devant un moi divisé et énigmatique. Queneau pouvait en 1921 faire cet aveu dans son Journal : « Je m'émiette". »



Cela va bientôt conduire, avec le Nouveau Roman, à la disparition du « personnage » en tant qu'individu bien défini, tout comme on avait déjà assisté à la disparition du « caractère ». On en a déjà un exemple avec la parution en 1939, sous le titre de Tropismes. de textes écrits par Nathalie Sarraute entre 1932 et 1937. Ces « tropismes » sont les mouvements les plus élémentaires - des réflexes comme en ont les plantes - qui travaillent la conscience. De ce fait les personnages n'ont plus aucune identité, ils ne sont plus que des « ils » et des « elles » anonymes, cet anonymat correspondant à l'insignifiance de leur vie. De façon analogue. Roqucntin. à la fin de son aventure, a l'impression de voir son « moi » s'évanouir pour laisser la place à une conscience impersonnelle. Le mot « je » lûî semble « creux »12.

On observe en tout cas une tendance de la littérature à mettre en cause la psychologie de l'individu en tant que tel pour s'intéresser au « fondamental » ou encore à l'« existentiel ». En effet les nouvelles conceptions psychologiques, influencées par le bergsonisme, ont ouvert la voie à ce qu'on appellera l'« existentialisme ». Celui-ci se fonde sur l'idée que l'existence échappe aux catégories abstraites, n'est pas matière à « objectivité ». La connaissance philosophique ne peut donc se faire qu'à travers le « vécu » de l'existence quotidienne, mais moins pour scruter les particularités individuelles que pour définir la condition humaine". C'est en ce sens que Gabriel Marcel rédige son Journal métaphysique, publié en 192714, et que Sartre fera de La Nausée le journal intime de Roqucnlin. malgré son dédain de la « vie intérieure ». Quant à Malraux, on sait qu'il considère le roman comme « un moyen d'expression privilégié du tragique de l'homme, non une élucidation de l'individu15 ».

Que l'on en vienne à nier le « caractère », le « sujet » ou le « personnage », on assiste donc bien, comme le dit Malraux en 1926. à une « faillite de l'individualisme, de toutes les valeurs, de toutes les attitudes, de toutes les doctrines qui se justifient par l'exaltation du Moi».








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