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LA FORCE DES CHOSES - Le sceptre et la plume






Sous l'Ancien Régime la production des livres est soumise au contrôle de l'État. L'Église n'a plus depuis Louis XIII qu'un droit de réprobation. Seuls les livres de théologie et de piété restent sous le régime de la double autorisation - ecclésiastique, étatique. La machine de surveillance de l'imprimé est définitivement passée - notamment avec Louis XIV, qui l'organise rigoureusement - dans les mains de l'État, malgré les velléités réitérées, après 1715, de l'Église et des parlements (ces derniers réclament un droit d'approbation préalablE). À quelques exceptions près, spectaculaires et célèbres (De l'esprit, d'Helvétius, 1758, l'Encyclopédie, etc.), le pouvoir royal tient à préserver ses prérogatives et ne cède guère à ces pressions bruyantes.



La conséquence de ce contrôle étatique, c'est que différentes sortes de livres circulent en France :

- Les livres autorisés. Le privilège est censé garantir à l'éditeur un monopole d'édition, jamais respecté.

- Les livres tolérés (approbation tacitE). Leur nombre augmente considérablement après 1750. On y trouve essentiellement les nouveautés et les livres publiés à l'étranger.

- Les livres contrefaits, c'est-à-dire reproduits malgré le privilège. Vendus moins chers, ils rapportent gros parce qu'ils ne respectent pas les normes officielles de fabrication. Contrefaçons opérées en France et hors de France. Il y a plus de livres imités que de livres interdits.

- Les livres interdits, et donc clandestins. Il s'agit de textes refusés par les censeurs, ou qui n'ont pas sollicité l'autorisation officielle. Sur les 1 500 titres en français édités en 1764 (en France et à l'étrangeR), 40 % ont une permission officielle, 60 % une permission tacite ou pas de permission du tout. Bien entendu, le livre clandestin, auréolé du prestige de l'interdit, est lui aussi contrefait s'il se vend.

La censure n'est qu'une des faces de la politique culturelle du pouvoir monarchique (pensions, sinécures, réseau d'académies, etc.). Son objectif n'est pas seulement de réprimer : il s'agit autant de favoriser la prospérité de l'édition française, confrontée à une redoutable concurrence étrangère (suisse et hollandaisE), que d'éviter la circulation des idées trop dangereuses. Il n'est donc pas question d'interdire tout ce qui déplaît, au risque d'étouffer la librairie française.

Il faut concilier la surveillance des idées et les impératifs économiques et nationaux : compromis délicat, instable, qui dépend des circonstances et des hommes. Les responsables officiels (les directeurs de la librairiE) savent bien qu'à trop interdire on court fatalement le risque de ne pas être obéi, et de faire le jeu des libraires étrangers. C'est pourquoi la Direction de la librairie, au xviii* siècle, est aux antipodes du fanatisme idéologique ; elle a tout au contraire pour doctrine un solide pragmatisme (d'où l'étonnante formule de la permission tacitE). Chauvelin, directeur de 1729 à 1732, résume de façon claire la philosophie de la censure au XVIIIe siècle : « Rien n'est plus contraire au commerce de la librairie que trop de rigueur... »

« Le pouvoir royal s'orientait donc dès les années 1735-1745 vers une politique de tolérance un peu honteuse et largement hypocrite ». (H.-J. Martin, dans : Histoire de l'édition françaisE).

Il n'y a pas d'opposition frontale entre les Lumières et le pouvoir royal, et on se tromperait lourdement à imaginer les censeurs comme des ennemis bornés, acharnés, des idées nouvelles. Ils sont au contraire recrutés dans le même milieu que les auteurs : 40 % d'entre eux ont été membres des grandes académies ; ils ont souvent dirigé des journaux (en 1757, sur 10 rédacteurs du Journal des savants, 9 sont censeurs !). Il s'agit d'hommes d'expérience liés au pouvoir et aux institutions culturelles de l'Ancien Régime, favorables donc à une politique de compromis, et qui excellent souvent dans l'art du double langage - conformisme officiel côté cour, libertinage philosophique côté jardin. Mais il en va de même pour la quasi-totalité des écrivains connus : Voltaire, emprisonné pendant près d'un an, alterne livres clandestins et ouvrages autorisés, se retrouve historiographe du roi et gentilhomme de la Chambre, sans cesser d'être surveillé par la police. Tout le monde pratique le double jeu : les libraires, les auteurs, et l'État lui-même, qui gère comme il peut, et somme toute pas si mal, sauf sans doute dans la crise des dernières années, une masse croissante d'écrits et d'idées, dont une bonne part, il le sait bien, lui échappe par tous les circuits, remarquablement organisés, de la circulation clandestine.



Toute société a ses tabous. Quels sont ceux du pouvoir d'Ancien Régime tels que la censure nous aide à les comprendre ? Contrairement à ce qu'on pourrait croire naïvement, la majorité des écrits clandestins ne relève pas du parti philosophique, mais, jusqu'au dernier tiers du siècle, de la contestation religieuse (jansénistes, protestants, catholiques hétérodoxes sur telle ou telle questioN). De 1678 à 1701, 62 % des ouvrages saisis à Paris sont des livres de controverse religieuse, 18 % des livres de littérature (considérés comme attentatoires aux mourS), 12 °Io des libellés et écrits politiques, 6 % des ouvrages d'histoire à portée politique. Ce qu'on traque, avant la mise en cause du pouvoir et des mours, c'est donc la transgression religieuse. L'État monarchique s'estime tenu de défendre l'unité et l'intégrité de la foi catholique, fondement théorique de la monarchie de droit divin.

Cependant le profil des livres interdits change nettement - comme bien des choses - après 1750. Les livres religieux et philosophiques n'en représentent même plus le tiers : le reste prend pour cible la personne royale et les mours, à travers la multiplication des pamphlets et écrits clandestins, mi-politiques, mi-pornographiques. Mais, à la différence du régime rigoureux de Louis XIV (la société a changé), les livres clandestins et prétendument pourchassés sont diffusés partout. En fait, à la fin de l'Ancien Régime, la censure ne peut plus grand-chose contre l'opinion (le taux des arrestations semble chuter brutalement entre 1780 et 1789). Supprimée par la Révolution, la censure sera rétablie par Napoléon, avec une efficacité et une brutalité autrement redoutables.



Dieu, le roi, les mours : tels sont donc les trois tabous fondamentaux que poursuit la censure, dont la relative tolérance, imposée par la force des choses, suppose, propose une autocensure - le rêve et l'objectif de tout système de contrôle idéologique.

Il ne faudrait pourtant pas idéaliser les choses : il y a eu répression et incitation ferme à l'autocensure (DideroT) et donc à l'exil (Voltaire, RousseaU). Entre 1659 et 1789, 942 personnes ont été embastillées pour fait de librairie (17 ■% des prisonniers de la BastillE). Les deux tiers sont des gens du livre (fabricants, ouvriers, distributeurS). Plus de 300 auteurs sont passés par la célèbre forteresse (plus d'un an en moyenne avant 1750, plus de six mois encore avant 1789) /écrivains à gages, gazetiers, satiristes, por-nographes, spécialistes du scandale, etc. Dans cet ensemble hétéroclite figurent nombre d'ecclésiastiques, suspects généralement de jansénisme (leur hebdomadaire, les Nouvelles ecclésiastiques, a réussi à paraître de 1728 à 1803).

La production livresque a augmenté, entre 1701 et 1770, dans la proportion de 1 à 3 (1 000 titres vers 1720, 3 500 vers 1770 ; 56 censeurs en 1704, 170 en 1770). Signe tangible d'une activité intellectuelle en expansion : c'est un des sens du mot Lumières, un des espoirs majeurs du siècle, une des raisons de l'infatigable et boulimique désir d'écrire, de comprendre, d'expliquer, qui anime tant d'écrivains des Lumières, à commencer par le « roi » Voltaire.



On peut relever les points suivants :



- recul du latin, dès la fin du XVIIe siècle qui marque l'extinction de la grande tradition humaniste et érudite. En 1764 : 4,5 % de livres en latin (thèseS) et en langues étrangères. La force des choses impose le triomphe des Modernes ;

- recul progressif, accéléré en fin de siècle, des livres religieux. Les Lumières consacrent un immense processus de laïcisation, qui déborde la seule question du livre ;

- progrès des livres d'histoire, de sciences et arts (techniqueS). Contrairement à une opinion répandue, le XVIIIe siècle se passionnait pour l'histoire. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle se propage le goût du « dictionnaire raisonné des arts et des sciences » (avec plancheS).

À partir de 1730-1750, le livre se laïcise nettement. L'histoire (qui inclut alors des ouvrages très fréquentés comme les récits de voyagE) apparaît comme un vecteur essentiel des idées nouvelles. Les sciences et les techniques ont tendance à remplacer la théologie. Mais le marché du livre religieux n'a pas disparu : de 1778 à 1789, un large public provincial et populaire absorbe 1 363 700 rééditions de livres religieux traditionnels ! Il y a distorsion relative entre la culture des couches dominantes, tournées vers la novation, et la lecture populaire, nourrie de spiritualité ancienne, mais aussi de littérature de colportage (Bibliothèque bleuE) figée dans ses stéréotypes immuables.

La production imprimée de la première moitié du siècle conserve donc un aspect largement traditionnel, à forte tonalité religieuse : tel est un des enseignements de la statistique des titres et des contenus. Les changements ne s'affirment pour l'essentiel qu'après 1750. « Ce n'est que tardivement et minoritairement que le livre prohibé répand en nombre les pamphlets, libelles et satires mi-politiques, mi-pornographiques » (H.-J. Martin, ouv. cit.).



Lire au xviii* siècle



Livre, article, poème supposent des lecteurs. Évidence élémentaire, qui pose en réalité des problèmes difficiles si l'on se propose par exemple d'évaluer en quoi les stratégies d'écriture impliquent une certaine idée du public à séduire. À quelles couches de la société un écrivain des Lumières est-il susceptible de s'adresser lorsqu'il se trouve en position de faire circuler cet objet éminemment social et historique, soumis lui aussi aux lois de la production, de la circulation, de la publicité - le livre ?

On sait que l'école, fille en Occident de la religion, et plus précisément de la compétition entre protestants et catholiques, s'est inégalement distribuée selon les régions, les milieux, les sexes. Vers 1680-1700, les quatre cinquièmes des Français sont illettrés, les femmes plus que les hommes, les ruraux plus que les citadins (à Paris, dès Louis XIV, on compte 75 % d'alphabétiséS), les pauvres plus que les autres, la France du Sud et de l'Ouest plus que celle du Nord-Est, etc. Le XVIIIe siècle atténue les écarts sans les faire disparaître. De 1690 à 1790, l'analphabétisme masculin passe de 71 % à 52 %. La moitié des hommes, paysans compris, ont acquis des rudiments de lecture, voire d'écriture. Reste que les deux tiers environ de la population, à la veille de la Révolution, ne savent pas encore lire. Les autres ont appris dans une école sous contrôle catholique. Mais incontestablement les possibilités d'instruction se sont élargies, le désir de scolarisation s'est développé et laïcisé en se professionnalisant (les soldats, les domestiques, les artisans et encore plus les cadres subalternes de l'appareil administratif ont de plus en plus besoin de la lecture et même de l'écriturE). L'idée d'éducation, d'une éducation par et pour l'État, d'une éducation du genre humain sous les auspices d'une raison éclairée, voilà sans doute un des motifs essentiels de l'idéologie des Lumières, qui investit beaucoup de ses espoirs et de ses efforts dans le thème pédagogique.

On ne s'étonnera pas trop que les Philosophes, issus des élites et écrivant pour elles, n'échappent pas plus que l'État monarchique à une contradiction majeure : instruction"! pour tous, ou partage inégal conforme à la nécessaire hiérarchie de toute société humaine ? N'y a-t-il pas danger, en effet, à vouloir trop répandre les Lumières ? On voit bien les enjeux. D'une part l'idée d'égalité, de mobilité sociale par promotion des « talents », du « mérite » ; l'espoir de dissiper la « superstition » religieuse et le « fanatisme ». D'autre part, la crainte de fabriquer des sujets insatisfaits et critiques : « Un paysan qui sait lire et écrire est plus malaisé à opprimer qu'un autre », écrit Diderot. « Il me paraît essentiel qu'il y ait des gueux ignorants », avoue franchement Voltaire, qui sait que les gueux ne le liront pas.



Autre lieu de conflit : qui doit assumer la responsabilité de l'instruction, l'État, l'Église, les familles ? L'appel à l'intervention de l'État éclairé - fût-il despotique, français, prussien ou russe -, si caractéristique des Lumières, n'exprime pas seulement l'hostilité envers l'Église catholique, présumée maîtresse, par l'école et le culte, des consciences populaires, et notamment féminines ; il traduit aussi la fascination de l'État, que la Philosophie cherche à laïciser et à séduire pour le mettre au service des Lumières.

Quoi qu'il en soit, le public véritable des Philosophes, et les écrivains eux-mêmes (sauf exceptions rarissimes

- l'autodidacte Rousseau, quelques écrivains d'origine populaire récemment exhumés -) sont passés par les collèges. Un garçon sur cinquante environ peut y accéder. Tous les futurs auteurs ont donc pratiqué le latin, usé et abusé des exercices rhétoriques, touché aux sciences en fin d'études, admiré les vertus antiques (cf. « Pantiquolâtrie » révolutionnairE) mais aussi les grands classiques du XVIIe siècle, érigés en modèles insurpassables.

Quant à l'Université, elle remplit en France, au XVIIIe siècle, une finalité professionnelle (droit, médecine, théologiE) et ne joue pas un rôle moteur sur le plan intellectuel

- contrairement à l'Allemagne.

On comprend donc qu'à l'horizon des écrivains des Lumières, il n'y ait pas de public populaire, mais une assez mince élite, en voie d'élargissement, formée dans les collèges (pour les garçonS), affinée et polie par la fréquentation de la « bonne société ».

On peut évaluer ce public : 500 000 lecteurs potentiels, dont 50 000 lecteurs actifs qui décident du succès des ouvres. Cela ne signifie pas que les couches populaires restent totalement hors du mouvement des idées - hypothèse que les événements révolutionnaires démentent suffisamment. Surtout dans les villes, et surtout dans la seconde partie, voire le dernier tiers du siècle, elles peuvent lire la propagande philosophique simplifiée expédiée par les librairies étrangères : extraits, mélanges, libelles politico-pornographiques dirigés contre les moines, l'Église, la famille royale. Cette sous-littérature a très certainement contribué plus efficacement à la déchristianisation et à la formation d'une mentalité critique que la grande littérature, conçue pour d'autres lecteurs, souvent difficile et trop chère.



Foyers des Lumières



Entre le livre et son lecteur solitaire, entre les pouvoirs constitués et les auteurs, il n'y a pas le vide d'une opinion amorphe, que les Philosophes, par la seule magie de leur style, détacheraient irrésistiblement de la tradition et de l'orthodoxie. La diffusion des Lumières et le prestige inédit des grands écrivains supposent des relais et la cristallisation progressive d'une puissance sociale largement nouvelle, qu'on se dispute : l'opinion publique.

Cette cristallisation s'opère sous des formes et dans des lieux divers.

La presse, qui a vu le jour au XVIIe siècle, bondit au XVIIIe siècle d'environ 200 titres à près de 900. Par le relais des domestiques, des cafés, des salles de lecture, les retombées finissent aussi - surtout vers la fin du siècle - par atteindre certaines couches du peuple des villes.

La presse prend en charge tous les secteurs de la vie intellectuelle et sociale : agriculture, commerce, sciences, musique, etc. De grands auteurs n'hésitent pas - notamment entre 1720 et 1740 - à se lancer dans le journalisme : Marivaux, Prévost, d'Argens. « Le journal conquiert ainsi une dignité qui n'avait appartenu qu'au livre ; le journaliste devient créateur de formes. Mais cette prolifération [...] inquiète les pouvoirs publics qui procèdent, de 1737 à 1740, à une contre-offensive réglée : romans et journaux sont frappés simultanément de proscription... » (J. Sgard, dans : Histoire de l'édition françaisE).

Nouvelle étape après L750t; se développent un besoin général d'informations, la curiosité pour les sciences et les techniques, le goût des débats d'idées autres que théologiques : d'où le Journal économique (1751-1772), les Observations sur la physique (1752-1823), le Journal de médecine (1754-1792), l'Année littéraire (1754-1790) {l'âne littéraire, disait injustement Voltaire de cet organe ennemI), etc.

Les tirages atteignent désormais plusieurs milliers d'exemplaires. À partir de 1730, tous les grands libraires éditent des périodiques. Entre 1770 et 1789, le mouvement s'étend encore, les périodiques se spécialisent davantage. Le Journal de Paris - premier quotidien français - est lancé en 1777. En 1778, Panckoucke constitue le premier empire de presse du XVIIIe siècle, fondé sur les périodiques et les dictionnaires.

La presse est donc un excellent indicateur de l'animation de la vie intellectuelle, de l'élargissement des curiosités, de l'extension du public.



Elle influence certainement les habitudes de lecture et d'écriture, et retentit sur le mode de lancement des livres : la souscription, qui imite l'abonnement (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ; Histoire des voyages de Prévost, à partir de 1746, 80 vol.) ; la collection spécialisée (Cabinet des fées, 1785-1789, 41 vol., Bibliothèque universelle des romans, 1775-1789, 220 vol., qui résume par extraits près de mille romans, etc.).



Depuis la fin du XVIIe siècle, la mode du café se répand. C'est dans un café du Palais-Royal que Diderot rencontre l'inoubliable Neveu de Rameau. Le café est un des lieux où se diffusent les Lumièrgs. Plus élégant que le cabaret, plus adapté â une clientèle aisée qui y trouve journaux, partenaires de jeux et de discussion, il permet d'exclure le peuple sans tomber dans les contraintes du salon.



Cafés, salons : lieux de sociabilité, d'échanges intellectuels et sociaux, mais hiérarchisés. Il en est bien d'autres, sans lesquels on ne comprendrait pas le triomphe des Lumières après 1750, et le sacre parisien de Voltaire en 1778 : académies, loges maçonniques, sociétés littéraires, clubs... La grande différence avec le XVIIe siècle, c'est que ces sociétés, plus nombreuses, plus étoffées, ne sont plus privées, mais publiques, officialisées, et qu'elles participent à la constitution d'un pouvoir culturel de plus en plus autonome (par rapport à l'Église, et même à l'ÉtaT).

Les trente-deux académies provinciales ont été remarquablement étudiées par D. Roche (le Siècle des Lumières en provincE). Elles regroupent l'élite sociale et intellectuelle ; animent la vie culturelle des cités ; lancent des concours qui rencontrent de plus en plus d'écho (cf. les deux Discours de RousseaU) ; s'occupent de l'enseignement, développent le goût des Discours, Eloges, Mémoires, impulsent l'histoire érudite locale ; constituent des bibliothèques et des collections scientifiques ; entretiennent un réseau de correspondances national et même européen ; et propagent au cours du siècle un idéal de Lumières modérées et réformatrices, ne mettant en cause ni la monarchie ni la religion, tout orienté vers l'utilité publique et le conservatisme social.

Par nature trop restreintes et trop élitistes, elles ne pouvaient satisfaire les exigences grandissantes d'échange et d'association. En témoigne le succès prodigieux des loges maçonniques : de 1727 à 1790, environ 1 000 loges civiles, 300 militaires, 50 000 initiés (contre 6 000 membres des académies provincialeS). Toutes les villes de plus de 5 000 habitants sont dotées d'une loge.

Il s'agit d'un mouvement urbain, dont la progression (à partir de l'AngleterrE) souligne l'importance des ports, de la circulation des marchandises et des idées par le double relais des marins et des militaires (l'éloge du marchand, sorte de héros des Lumières, dans les Lettres philosophiques et le drame bourgeois, trouverait ici un commentaire incisif, à condition de ne pas surévaluer la place du négociant dans l'économie et la société du XVIIIe sièclE). À travers les loges se réalise le rêve des Lumières : non pas l'égalité, de tous, mais l'égalité d'une élite élargie, raisonnable, modérée, soigneusement distinguée dê là populace. Nullement l'Incrédulité religieuse et l'audace politique : une religion raisonnable, un désir de réformes. Cet idéal, d'égalité, de fraternité, de tolérance, ne convenait naturellement ni à l'État, ni à l'Église : mais les réunions, d'abord interdites, sont ensuite officialisées.



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