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HONORÉ DE BALZAC - Le Titan à l'ouvre






André Maurois écrivit en 1965 un Prométhée ou la Vie de Balzac. On y sent à chaque page que l'écrivain de la Comédie humaine est plus qu'un auteur ; c'est un être légendaire plus fort, plus volontaire, plus grand que les autres hommes. Peut-on même comprendre ce démiurge outrancier aux cent projets et aux cent livres ?



Il est vrai que les débuts sont bien modestes. Naissance bourgeoise, malgré la particule qui ne viendra que plus tard, mère peu aimante, nourrice, pensions diverses : Balzac deviendra-t-il clerc de notaire ? Non. Il choisit la liberté, la philosophie et la littérature ; bientôt, malgré l'échec d'une lecture de son Cromwell, il écrit sous divers pseudonymes (lord R'Hoone, Horace de Saint-AubiN) des romans noirs, des pièces... C'est aussi l'époque des premières amours (Mme de BernY) et des premières entreprises : Balzac devient imprimeur, fondeur de caractères (jolie équivoque !), mais l'affaire tourne mal et ouvre le cycle infernal des dettes dont il ne sortira jamais. Le succès vient cependant avec des textes qu'il commence à signer de son nom : le Dernier Chouan (devenus les ChouanS) et la Physiologie du mariage, tous les deux en 1829, des nouvelles aussi (Scènes de la vie privée, 1830), des textes fantastiques importants (Sarrasine, 1830 ; le Chef-d'ouvre inconnu et la Peau de chagrin, 1831 ; Louis Lambert, 1832).





À partir de cette étape, l'abondance de la matière dépasse un peu le biographe : Balzac, l'homme privé, voyage (la Suisse, l'Autriche, l'ItaliE), aime et entreprend ; il s'intéresse même à la politique, non plus à gauche, comme en ses jeunes années, mais à droite, chez les légitimistes. Si les affaires (la Chronique de Paris, la Revue parisienne, la mine d'argent en Sardaigne qu'il voulut exploiter !) ne sont guère brillantes, les liaisons sont riches et fécondes pour la création, notamment avec l'Étrangère (Mme HanskA) qu'il épousera en 1850. Sur un plan littéraire, les années 1830 et 1840 vont être celles des chefs-d'ouvre, à un rythme incroyable qui parfois le laisse anéanti de fatigue. Parmi vingt autres ouvrages, on peut citer le Médecin de campagne et Eugénie Grandet (1833), Histoire des Treize et la Recherche de l'absolu (1834), le Père Goriot (1835), le Colonel Chabert la même année, le Lys dans la vallée (1836), la première partie des Illusions perdues (1837, II en 1839, III en 1843).



C'est vers ces années-là aussi que l'ouvre, au fur et à mesure qu'elle avance, se structure davantage, même si le plan, en l'occurrence, importe moins que l'idée de plan. Le projet est là d'une grande unité composée et marquée en particulier par le retour des personnages exploité dès le Père Goriot ; il y aura également des sections définies par Balzac dans la « lettre à l'Étrangère » de 1834 : Études de mours, avec des sous-sections qui apparaîtront ensuite (Scènes de la vie privée, de la vie de province, de la vie parisienne, de la vie politique, de la vie de campagnE). Études philosophiques et Études analytiques (il n'y en aura guèrE). Le tout formera la Comédie humaine dont l'architecture et le projet sont résumés en 1842 dans un important Avant-propos à son ouvre. Menacé par les créanciers de tous ordres, surmené de façon chronique et se soutenant par le café, Balzac rédige, corrige, écrit et réécrit sans trêve pour donner corps à ce monument : parmi la production de cette époque, le Cabinet des antiques (1839), Z. Marcas (1840), Une ténébreuse affaire (1841), Splendeurs et Misère des courtisanes (1843 et 1847), la Cousine Bette (1846) et le Cousin Pons (1847) sont peut-être les plus célèbres. L'épuisement gagne pourtant Balzac, malgré les soins de Mme Hanska en Ukraine et à Paris où il meurt en août 1850.



Une réalité mystérieuse



Il y a plusieurs textes de Balzac où l'on sent naître un genre nouveau, celui du roman policier. Secrets, enquêtes, déductions, les personnages de Balzac, mais aussi son lecteur à un autre niveau, sont engagés dans une recherche qui constitue souvent l'enjeu véritable du roman. L'ouvre de Balzac serait donc moins un tableau achevé et complet qu'une découverte progressive au bout de laquelle les hommes et la vie nous seront mieux connus.

Le premier aspect de cette enquête, c'est, bien sûr, la part d'inconnu que l'écrivain établit avant de la réduire : les événements sont inquiétants, les êtres obscurs, et, malgré l'abondance des détails offerts au lecteur, celui-ci sent bien que sa compréhension des choses est encore fragmentaire. Si l'on veut un rapprochement entre les arts, on peut voir dans le monde de Balzac certains de ces « noirs » habités de Rembrandt où courent des formes opaques et incertaines : un coin de rue dans la nuit recèle des épouvantes, un antre misérable nous ouvre le roman d'un usurier ou d'un brocanteur, un geste inattendu s'explique par un passé que l'on découvrira peut-être... La part fantastique, « philosophique » comme dit Balzac, de cette ouvre n'est donc pas une section en marge : c'en est le cour dans la mesure où s'y manifeste pleinement la présence d'un mystère - que la réalité quotidienne contient aussi, pour qui sait voir.

En fait, la société tout entière fonctionne grâce à des rouages que les naïfs ne comprendront jamais et qui ne s'éclairent que lentement : complots, intrigues, ténébreuses affaires en tout genre composent l'arrière-plan du jeu social, les coulisses de la comédie humaine. Le roman balzacien peut devenir alors comme une initiation aux secrets du grand jeu : Vautrin sera le guide de Rastignac, et Lucien de Rubempré, dans la jungle parisienne, cherchera aussi des mentors et des leçons. Le pessimisme l'emporte souvent : « Vous sonderez combien est profonde la corruption féminine, vous toiserez la largeur de la misérable vanité des hommes. Plus froidement vous calculerez, plus avant vous irez. Frappez sans pitié, vous serez craint » (le Père GorioT). Mais, malgré tout, les éléments épars se rejoignent, les règles se précisent et nous découvrons la sombre harmonie du monde : les illusions perdues, les ambitions naïves font place à une connaissance éprouvante des laideurs, des souffrances, du mal. Car la métaphore la plus fréquente est ici celle de l'enfer, venue bien sûr de Dante dont on sait que Balzac a transposé le titre. Paris est ainsi un animal toujours en action, un ventre « où se remue et s'agite, par un acre et fielleux mouvement intestinal, la foule des avoués, médecins, notaires, avocats, gens d'affaires, banquiers, gros commerçants, spéculateurs, magistrats » (Histoire des TreizE) ; c'est enfin un océan, un pandémonium inépuisable où l'on rencontre toujours « un lieu vierge, un antre inconnu, des fleurs, des perles, des monstres, quelque chose d'inouï, oublié par les plongeurs littéraires » (le Père GorioT).



Les formes de la vie



On l'a vu, les Études philosophiques donnent des clés nombreuses pour l'ouvre : elles sont aussi une forme d'art poétique. Dans le Chef-d'ouvre inconnu, par exemple, le peintre Frenhofer monologue longuement sur la mission de l'art qui, dit-il, « n'est pas de copier la nature, mais de l'exprimer ». Il faudra donc remonter des effets de la vie à ses causes, de l'apparence formelle à la forme vraie : « Protée bien insaisissable et plus fertile en replis que le Protée de la fable, ce n'est qu'après de longs combats qu'on peut le contraindre à se montrer sous son véritable aspect ». On est donc loin de ce réalisme simple (que serait-il d'ailleurs ?) auquel on essaie souvent de réduire Balzac. Cette ouvre est bien une ouvre poétique au sens étymologique du terme, c'est-à-dire création en même temps que découverte, quête de ce moment de grâce où la forme inventée dévoile à nos yeux la réalité obscure, de ce moment où l'art enrichit le vrai en l'expliquant.



Tel critique « délicat » déplore la surcharge balzacienne : mais l'épaisseur et les métamorphoses de la réalité naissent justement des énumérations, des portraits, des adjectifs et des détails. Tout cela contribue à un premier effet de réel, mais renforcé par les liens que tisse une subtile alchimie esthétique. Il y a aussi la présence d'un narrateur, d'un conteur même, qui s'adresse à nous avec l'autorité assurée d'un Vautrin face à Rastignac : le rapport est autant amoureux que pédagogique, tendu vers une découverte partagée. Les hypothèses, les énigmes viendront ensuite dramatiser les tableaux : à quelle tâche se livre le père Goriot ? quelle passion a lustré la face bulbeuse de Monsieur Poiret ? quel vent a soufflé sur le « Z » de Zéphirin Marcas ? Autant de questions qui deviennent alors le lieu privilégié de ces études de formes fabuleuses qui sont l'ouvre d'un poète. Lavater et la physiognomonie, ou l'imagination tout simplement, permettent ainsi de lier un visage à une gueule d'animal, à une passion morale ou à un vice : par exemple la figure « dévoratrice » de basilic qu'arbore le père Grandet a « une finesse dangereuse, une probité sans chaleur, l'égoïsme d'un homme [...] ». Et cela va même plus loin puisque ces âmes et ces corps seront reliés au biotope où ils évoluent, avec une Madame Vauquer qui explique ainsi la pension par sa personne « comme la pension implique sa personne » (le Père GorioT). Sous l'apparence trompeuse de la physiologie, de la psychologie, de la sociologie même, on découvre donc d'autres enjeux. L'appareil scientifique, les noms de savants (Buffon, Cuvier, Geoffroy-Saint-HilairE) servent surtout à justifier des correspondances inédites entre les choses, des visions inspirées : « Examinez encore ce nom : Z. Marcas ! Toute la vie de l'homme est dans l'assemblage fantastique de ces sept lettres. Sept ! le plus significatif des nombres cabalistiques. L'homme est mort à trente-cinq ans, ainsi sa vie a été composée de sept lustres. » Chaque détail trouve donc sa place, le moindre élément est significatif dans ce monde homogène : du microcosme au macrocosme, de la ride de Grandet à son comportement, tout est lié dans une solidarité secrète et vivante que l'écrivain combine et déchiffre à la fois. Nombres, lignes et figures, même les transfigurations les plus bizarres sont porteuses d'une vérité que certains génies perçoivent d'emblée - et nous invitent à percevoir.



Le roman de l'énergie



L'image peut éclairer l'objet le plus banal, elle peut expliquer bien des choses, mieux qu'une définition, mieux qu'une description atomisée en mille détails. Certains rapprochements, poétiques ou incongrus (mais il est une poésie de l'incongruité !), traduisent bien ces métamorphoses dont le monde balzacien est constitué : la femme est fleur, lys dans une vallée, tel financier sera vampire, tel employé, vis ou écrou de la grande machine administrative, tel débutant encore, chenille écrasée avant d'être papillon... Mais il est des moyens plus discrets et plus efficaces pour faire passer le récit à ce plan supérieur, à cette qualité visionnaire que Baudelaire admirait déjà chez Balzac : les types humains qu'il nous propose nous font lire la société dans ses formes essentielles. Ce sont des professions, des passions, des états sociaux, des âges et des milieux, des « espèces » qui se cristallisent sous nos yeux sans perdre pourtant leur vie originale. Individus typifiés, types individualisés, une certaine forme de caricature n'exclut pas la vie tout en nous offrant une critique aiguë de la généralité. L'ambition de Rastignac, l'avarice du père Grandet, l'usurier Gobseck et Gaudissart le commis voyageur, tous sont plus vrais que la vérité, animés par Balzac d'une force qui est la sienne.

Cette grandeur épique est d'abord affaire de dimension : l'avarice du père Grandet est aussi extrême que l'amour paternel de Goriot est sublime, sans parler des forces surhumaines de Vautrin. Balzac renforce même cet effet par l'antithèse du Pur et de l'Impur, de la Cruauté et de l'Innocence. Cependant, même dans ces conditions, leur dimension ne permet pas de comprendre l'intensité et l'ampleur des personnages de Balzac : s'ils sont grands, c'est d'abord parce qu'ils portent en eux une force immense, un désir qui explique, avec leur volonté, la trajectoire personnelle qui est la leur. L'argent attire bien sûr les appétits les plus nombreux et on le voit courir de main en main, s'amasser ou se dépenser. Mais l'argent est aussi la figure ou l'instrument d'autres objets du désir, notamment la domination sur un autre être, le pouvoir politique ou social. En fait, la distinction entre pauvres et riches importe moins que celle qui sépare les énergiques de ceux qui ne le sont pas, vaincus par la vie ou essentiellement falots, gris et plats (capables, cependant, de certaines explosionS). Le mouvement général de la société romanesque de Balzac se définit alors par la somme de ces appétits et des mouvements qu'ils provoquent : fortunes, faillites, mariages, ruines, meurtres et héritages, amours et haines sont les noms que l'on donne à ces rencontres de tropismes désirants ou passionnés. Ils peuvent d'ailleurs produire l'histoire : Alexandre, Catherine de Médicis, Napoléon...

Car un autre trait de l'univers balzacien est bien d'être homogène, systématique dans sa diversité ; et ce monde uni est parcouru par les mêmes forces et la même énergie, de l'individu jusqu'à cet être collectif qu'on appelle la société et qui est fait du retour périodique des mêmes personnages. Une vaste « énergétique » y est à l'ouvre, selon le mot d'Ernst Robert Curtius repris par Maurice Bardèche. L'essence d'un homme, d'une ville, d'une nation est d'abord un certain capital de volonté autant physiologique qu'intellectuel. Et cette volonté se décharge dans la pensée et les passions, individuelles et collectives, toujours tumultueuses. Les monstres de la Comédie Humaine sont donc en accord avec l'époque tendue et folle où ils vivent : la physiologie énergétique débouche sur la sociologie et, au-delà, sur la philosophie : souvenons-nous de cet Essai sur les forces humaines qui devait couronner l'ouvre achevée (lettre à Mme Hanska de 1834).



Une littérature visionnaire



On peut évidemment rapporter une telle vision à l'histoire même de l'époque, où s'amorce une révolution économique qui bouleverse les cadres sociaux ; place aux rois de la finance et de l'industrie, à la bourgeoisie conquérante, aux prédateurs de l'ordre nouveau : « Enrichissez-vous ! » Mais il est tout aussi juste d'y voir une structure de l'ouvre littéraire dont la respiration ferait se succéder « la fatalité de l'élan et la fatalité de l'échec » (Gaétan PicoN) que révèle bien la Peau de chagrin. Si la vie est présente avec le désir, la mort est là qui menace et inquiète ce désir, lutte perdue d'avance contre le néant, belle par son inutilité. S'il y a une métaphysique de Balzac, celle-ci serait donc tragique beaucoup plus que progressiste : Balzac, premier poète d'une modernité noire ?

C'est avec l'homme de génie qu'on voit apparaître le mieux la beauté de ce mouvement tragique. Louis Lambert, par son intelligence prodigieuse, sait deviner le rapport entre les choses, mobiliser dans sa mémoire les éléments épars qui s'organiseront en une découverte surhumaine : « Son cerveau, habitué jeune encore au difficile mécanisme de la concentration des forces humaines, tirait de ce riche dépôt une foule d'images admirables de réalité, de fraîcheur, desquelles il se nourrissait pendant la durée de ses limpides contemplations » (Louis LamberT). Mais ce travail génial, original, se paiera de la mort ; tension, dépense, rupture, épuisement, autant d'images qui, toutes, rendent compte d'une même fatalité, peut-être du passage impossible à la surhumanité. De même, Balthazar Claës recherche l'Absolu ; cette quête engloutit toute sa fortune et l'amène à des mouvements « d'atroce énergie », mais éclairés par ce qui les justifie : l'espoir de créer, la tentation démiurgique qui le possède, au sens fort du mot.

C'est là, si l'on veut, le mythe central de Balzac et qui explique, selon Albert Béguin et Gaétan Picon le sens de sa tentative : l'écrivain passionné par les spéculations les plus abstraites (SwedenborG), faisant l'effort vers la transcendance (SeraphîtA), reviendrait dans le monde de l'incarnation tout en se souvenant de cet au-delà présent dans les descriptions les plus matérielles. La matière animée par l'esprit et par la vision : on pense aux Esclaves de Michel-Ange se détachant péniblement de leur gangue de roche, matière brute et idéale. On pense aussi à Rodin, à ces formes brutes et fortes qui font vivre son Balzac, précisément.

« Secrétaire » de son époque, homme parmi les autres hommes, Balzac ne nous offre pourtant pas le miroir d'un monde réel. Il n'est pas ce sculpteur paresseux qui « serait quitte de tous ses travaux en moulant une femme » (le Chef-d'ouvre inconnU) comme Rodin, d'ailleurs, en fut injustement accusé. Cette impression de réalité qu'ils donnent tous deux tient au contraire à l'originalité de « leur » monde, ouvre de l'esprit, acte créateur. En ce sens, l'art n'est pas le souvenir d'un moment passager et spécifique : la Comédie Humaine n'est pas une histoire de la Restauration, c'est un poème en même temps qu'une anthropologie.






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