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Essais littéraire

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GIDE






Il apparaît tout de suite que, chez Gide, l'espace, pris sous sa forme la plus générale et la plus nue, n'existe pas. Ou bien il se présente sous l'apparence d'une simple pluralité indéterminée de lieux Ceux-ci, pour Gide, sont le plus souvent rigoureusement séparés ies uns des autres. D'ordinaire la plupart des imaginations humaines conçoivent préalablement à tout le reste l'existence d'un espace extérieur illimité, à l'intérieur duquel se distribuent un certain nombre de lieux. La pensée humaine aime à se figurer par priorité une étendue aussi vaste et aussi indéterminée que possible, où elle situe ensuite la multitude des entités concrètes. Mais il n'en va pas de même chez Gide. Une grande partie de son ouvre initiale, et, en particulier, Les Nourritures terrestres (d'où, pour plus de commodité, nous tirons ici nos exempleS) sont remplies par de longues énumérations de villes, de jardins, d'oasis, de sources, qui ont pour caractéristique principale de ne jamais former un ensemble de lieux liés les uns aux autres et fixés en des points précis sur une étendue les contenant tous. L'espace gidien est une pure collection de localités détachées, placées indépendamment les unes des autres dans la pensée, comme une certaine quantité de portraits de personnes diverses, contenus dans le même album. Ainsi les lieux apparaissent souvent chez Gide comme situés en dehors d'un véritable contexte. Ils existent mais à distance les uns des autres, dans une espèce de vide mental.





En voici des exemples :

- Nathanaël, je te raconterai les plus beaux jardins que j'ai vus : à Florence, on vendait des roses... Je me promenais chaque soir aux Cascine et le dimanche aux jardins Boboli sans fleurs.

- A Scville, il y a près de la Giralda, une ancienne tour de mosquée : des orangers y poussent par places...

- Que te dirais-je de l'Alcazar ? Jardin semblant de merveille persane...

- C'est dans les jardins royaux de Munich que j'allai, un printemps, goûter les glaces à l'herbe de mai, près d'une obstinée musique militaire...

- J'aurais voulu, la nuit, rôder dans les jardins Farnèse.

- A Naples, il y a des jardins bas qui suivent la mer, comme un quai et laissent entrer le soleil...

- A Montpellier, le jardin botanique. Je me souviens qu'avec Ambroise, un soir, comme aux jardins d'Acade-mius, nous nous assîmes sur une tombe ancienne, qui est tout entourée de cyprès...

Pure énumération de lieux de plaisance, dispersés selon les caprices de l'association des idées, ou plutôt de l'assodation des humeurs, puisque à chacun de ces lieux se trouve liée une expérience sensible ou une jouissance.

Il en va de même chez Gide pour les villes, les édifices, les chambres d'hôtel, les fontaines. Constamment, chez lui, on trouve des développements qui commencent, par exemple, de la façon suivante : « J'aimais dans les auberges de Bretagne... »; ou encore : « Il y a des sources qui jaillissent des rochers, il y en a qu'on voit sourdre sous les glaciers; il y en a de si bleues qu'elles en ont l'air plus profondes. »

On voit le procédé. Dans une telle topographie, ce qui importe, ce n'est nullement le trajet accompli pour arriver aux sites dont on parle. Point de distance visiblement franchie, au bout de laquelle se découvre l'objet terminal. Au contraire, ce qui importe ici, c'est en l'absence de tout déplacement physique, de tout itinéraire traçable, la présence d'un point du monde où l'on se découvre tout d'un coup, sans transition, sans espace intermédiaire, un peu comme est représentée, dans la pensée scolastique, l'apparition des anges en quelque lieu terrestre. Florence, Séville, Munich, Rome, Naples, Montpellier ne constituent pas les étapes d'un voyage réel, mais plutôt une évocation non coordonnée de résidences imaginaires, qui, comme les plaques mobiles d'une lanterne magique, se trouvent substituées les unes aux autres, au cours d'une même rêverie. Rêverie faite de lieux disparates disponibles, interchangeables, présentant chacun un plaisir distinct et autonome. Ainsi ce qui domine chaque fois, c'est le caractère premier, toujours inédit, de chaque lieu. Chaque site semble surgir, en effet, dans la pensée, non comme la prolongation ou l'achèvement d'un mouvement continu, mais comme une entité sui generis, absolument indépendante, sans rapport avec aucune autre, même voisine : « A chaque auberge, écrit Gide, me saluait une faim, devant chaque source m'attendait une soif - une soif, devant chacune, particulière. »



Isolé en lui-même et vu la joie spéciale qu'il contient et présente, chacun des lieux dont il est parlé ici révèle à son tour le don particulier qui est le sien, le désir propre qu'il est en son pouvoir de susciter, après quoi il fait place à un autre. Chaque source est différente de toute autre source, et n'est jamais le poirft de départ de quelque fleuve, de quelque route, qui parcourrait l'étendue. C'est en vain qu'on voudrait en suivre les méandres et passer ainsi de point de vue en point de vue. Chaque source est une fontaine au milieu des sables, et dont l'eau est bue par le sol dès qu'elle franchit les limites de l'endroit où elle a jailli. Pluralité donc d'oasis perdues à longues distances les unes des autres dans le même désert. Aussi ne doit-on pas s'étonner si les paysages de Gide se trouvent si souvent circonscrits par des déserts. C'est que ceux-ci ont pour fonction expresse àejajre hiatus entre les îlots de verdure qui seuls importent. Tout se passe comme si chez Gide les lieux, de même que les temps, et finalement les expériences humaines, étaient toujours incomparables les uns aux autres et offraient chacun une valeur absolue. En quelque endroit que l'être gidien se découvre ou s'imagine, le voilà prêt à goûter en cet endroit le maximum de contentement qu'il comporte, à en jouir comme si c'était là le seul bonheur qu'il y eût au monde et le seul lieu. De sorte que le bonheur offert par chaque entité topographique semble moins le bonheur relatif, imparfait et limité, dont l'homme a d'ordinaire l'expérience, qu'un bonheur total, extrême, sans mesure, qui semble être l'apanage d'un dieu : « Sentiment d'une plénitude de vie », « sensation d'une présence infinie », telles sont quelques-unes des expressions employées par Gide pour caractériser ce bonheur fait de concentration du sentiment sur un point isolé de l'existence, et non sur une étendue perçue dans son développement même. A ce degré de rétrécissement, l'expérience acquiert une intensité exceptionnelle, et le site même où elle se manifeste devient investi d'une signification sacrée, presque nouménale, en raison de cette intensité toute particulière. Etre présent en cet endroit, c'est participer à la vie immanente du dieu présent en cet endroit, Et il n'y a aucune raison pour qu'en quelque endroit que ce soit ne se révèle pas la même immanence. Partout se découvre Dieu. D'où, che2 Gide, une combinaison singulière de ferveur et d'indifférence. De ferveur, puisque chaque lieu ainsi distingué, déterminé, est le siège ou la source d'une extase; et d'indifférence aussi, puisque chaque lieu implique une possibilité égale d'extase; de telle sorte que l'existence est comparable dans son ensemble à un collier fait de perles à peu près équivalentes, de l'une à l'autre desquelles la pensée se déplace, comme les doigts touchent successivement les grains d'un chapelet. L'univers est une multiplicité de lieux simultanément offerts, dont chacun recèle une même quantité de plaisir : « Ne souhaite pas, Nathanaël, trouver Dieu ailleurs que partout », « Où que tu ailles, tu ne peux rencontrer que Dieu », « Je ne suis chez moi que partout ».



Etrange ubiquité gidienne, si différente de celle dont la théologie chrétienne fait un attribut de la divinité. Car l'ubiquité du Dieu des scolastiques est la simultanéité actuelle de Dieu dans tous les points de l'espace comme dans tous les moments du temps. Mais pour Gide l'ubiquité est plutôt la possibilité pour l'esprit humain d'accéder à un bonheur divin en quelque point que ce soit de l'espace, comme aussi de la durée. L'espace ou le temps ne sont donc que la possibilité infinie de faire apparaître en quelque point de ceux-ci la même flambée de joie, la même ivresse surhumaine. Tout point de l'espace ou du temps est susceptible de révéler une aussi totale plénitude : « J'ai compris maintenant que toutes les gouttes de cette grande source divine s'équivalent; que la moindre suffit à notre ivresse et nous révèle la plénitude et la totalité de Dieu. »

Et dans un autre passage, où il s'agit du désert et de l'équivalence des grains de sable qui le composent : « Je t'aurai passionnément aimé, désert de sable. Ah ! que la plus pedte poussière redise en son seul lieu une totalité de l'univers ! »

Sous une forme exclamative, ce que Gide réussit à exprimer dans ce dernier passage, c'est l'expérience d'une plénitude infinie, condensée en l'espace le moins vaste, la saisie d'un mortde enfermé dans l'enceinte d'une minuscule perfection sphérique. Car tel est le grain de sable, Heu sans dimension, totalité dans la nullité. L'on songe au vers de Blake, tant prisé par Gide :



To see a world in a grain of sand, que suivait d'ailleurs le vers suivant :



To see eternitj in an hour...



Le monde est donc tout ender dans le grain de sable, le macrocosme est dans le microcosme, la sphère est dans le point, l'infini dans l'infinitésimal. Totalité du lieu où l'expérience se concentre. Mais totalité aussi du moment de vie où s'expérimente cette concentration. « Comprends qu'à chaque instant du jour, écrit Gide, tu peux posséder Dieu dans sa totalité ». Et autre part : « A chaque petit instant de ma vie, j'ai pu sentir en moi la totalité de mon bien. »

L'on voit que Gide use exactement des mêmes termes pour caractériser l'aspect local de ses extases et leur aspect temporel. Il y a une totalité de joie qui se situe dans tel ou tel lieu, et, finalement, virtuellement, dans l'infinité des lieux. De même, il y a une totalité de bonheur qui jaillit dans tel moment, ou dans tel autre, et finalement, virtuellement, dans tous les moments d'une même existence. Non que celle-ci cependant, dans l'endèreté de sa durée, puisse s'appréhender jamais comme une seule joie totale, où les joies de chaque moment se réuniraient, s'addition-neraient, se fondraient; pas plus que les innombrables points de l'espace ender ne peuvent jamais flamber simultanément, comme-une infinité de feux s'allumant d'un coup sur le champ condnu d'une même étendue déployée. Si nombreuses qu'elles soient, si strictement équivalentes les unes aux autres qu'elles puissent être, les extases gidiennes restent inexorablement isolées. Et cet isolement, cette dispersion des joies donne malgré tout à celles-ci quelque chose d'inquiet et presque de douloureux : « Et je pris ainsi l'habitude de séparer chaque instant de ma vie, pour une totalité de joie, isolée; pour y concentrer subitement toute une particularité de bonheur... »

Et ailleurs : « Instants ! Tu comprendras, Myrtil, de quelle force est leur présence ! Car chaque instant de notre vie est essentiellement irremplaçable. »



II



Mais si chez Gide il y a des instants et des lieux, il y a aussi chez lui le passage incessant d'un instant à un autre instant, d'un lieu à un autre lieu. S'il est bien, par un certain côté, celui qui choisit toujours de s'installer avec enivrement dans chacune de ces petites entités séparées constituées par les instants et les lieux, il est aussi celui qui appréhende avec une netteté extraordinaire le mouvement par lequel son être se détache des instants et des lieux. Personne plus intensément que lui n'expérimente ce qu'on pourrait appeler le pathétique exaltant des départs :

Départs horribles dans la demi-clarté d'avant l'aube. Grelottement de l'âme et de la chair. Vertige. On cherche ce qu'on pourrait bien emporter encore. Qu'aimes-tu tant dans les départs, Ménalque ?

Chambres quittées ! Merveille des départs que je n'ai jamais voulu tristes.

La diligence est prête. Partons ! Que tout ce que je viens de penser se perde comme moi dans l'étourdissement de la fuite.

Combien souvent, en effet, les départs gidiens ressemblent-ils à des fuites. Fuite de l'enfant prodigue hors du domicile familial; fuite d'Alissa, de Jérôme, de Lafcadio, d'Edouard, et, à vrai dire, de tous les personnages gidiens, à commencer par le héros de Paludes; fuite de Gide lui-même, depuis l'époque où il se soustrayait à la domination maternelle et prenait le bateau pour Alger :



Départ de Marseille.

Vent violent ; air splendide.

Tiédeur précoce ; balancement des mâts.



Certes, cette expérience de la fuite est, au premier chef, une façon de tourner le dos au passé, de se dérober à ce qui a été au profit de ce qui est, et de s'emparer ainsi, comme on l'a mille fois remarquent Gide, lui-même, en premier lieU), d'un moment actuel absolument libre ; mais ce mouvement est, chez Gide, chose si avide, hâtive et précipitée, qu'il semble devancer la marche même du temps, franchir les limites mêmes de l'instant actuel, et devenir ainsi une fuite hors du moment présent, une fuite en avant, c'est-à-dire dans la direction du futur. Alors, de ce point de vue, le caractère du monde gidien semble radicalement changer. D'abord les lieux n'apparaissent plus comme des entités topographiques déterminées, au-delà desquelles il n'y a plus rien. L'être ne se sent plus situé dans un milieu bien délimité de plaisirs, à l'intérieur desquels sa jouissance même l'enferme, et où sa pensée l'absorbe, oublieuse de tout ce qui ne nourrit pas dans le moment présent sa sensualité. Au contraire, le lieu où l'on est, où l'on sent, devient maintenant le heu d'où l'on part, le heu à partir duquel, dans toutes les directions, s'ouvrent des itinéraires possibles. Ainsi Gide rêve à Touggourt de tous les autres lieux qu'en partant de là, dans le sillage de quelque caravane, il pourrait atteindre. Le heu où l'on est devient donc comme un centre de diffusion de la pensée à travers l'espace, comme un point de départ à partir duquel s'écha-faudent et rayonnent mille voyages imaginaires :



Caravanes ! caravanes venues le soir ; caravanes parties le matin ; caravanes horriblement lasses, ivres de mirages, et maintenant désespérées ! Caravanes ! Que ne puis-je partir avec vous, caravanes !



Il y en avait qui partaient vers l'Orient, chercher le santal et les perles, les gâteaux au miel de Bagdad, les ivoires, les broderies.



Il y en avait qui partaient vers le sud chercher l'ambre et le musc, la poudre d'or et les plumes d'autruches.



Il y en avait vers l'Occident, qui partaient le soir, et qui se perdaient dans l'éblouissement dernier du soleil.



Dans de tels textes l'espace gidien nous apparaît comme profondément différent de ce qu'il révélait de lui dans d'autres passages cités auparavant. Ce n'est plus une pluralité de lieux discontinus, se refermant chacun sur lui-même et éparpillés dans un vide : c'est un espace généreusement ouvert et qui, de tous côtés, peut être sillonné : « Mon âme, dit Gide, était l'auberge ouverte au carrefour. »

Espace qui est celui d'une pensée essentiellement nomade et vagabonde; durée correspondante, qui est celle d'une pensée - et d'une sensibilité - continuellement infidèle à elle-même et changeante, continuellement hantée par le pressentiment et l'attirance de la forme nouvelle en laquelle elle se métamorphosera. Car de la même façon que le lieu s'ouvre sur l'espace, l'actuel s'ouvre sur l'avenir. De la détermination, d'ailleurs toute relative, du présent, la pensée glisse à l'indétermination, d'ailleurs toute relative aussi, du futur. Impatiente non plus seulement de ce qui est, mais de ce qui advient, ou pourrait advenir, la pensée anticipatrice, avant-coureuse, de Gide, ne peut plus se contenter d'exister dans le moment, pour le moment, elle va se placer naturellement dans cette partie même du présent, où la réalité déterminée cède la place à son contraire, où l'être qui se place à la proue de son existence, se penche avidement en avant pour voir arriver un incertain futur. Rien de plus fréquent chez Gide que cette attitude :



Et notre vie aura été devant nous comme ce verre plein d'eau glacée, ce verre humide que tiennent les mains d'un fiévreux qui veut boire...



Devant moi, ah ! que toute chose s'irise ; que toute beauté se révèle et se diapré de mon amour.



Nathanaël, je te parlerai des attentes.



Je vivais dans la perpétuelle attente, délicieuse, de réimporte quel avenir.



De la sorte, aiguisant sans cesse le désir qui le consume, Gide tente d'accélérer la venue des lieux neufs et des bonheurs futurs. Ceux-ci se disposent devant lui comme un faisceau de possibilités entre lesquelles il se dispense de choisir, voulant les choisir toutes; de telle façon que le schéma du temps se montre ici, une fois de plus, exactement semblable à celui de l'espace, étant composé par lui, de façon presque amoureusement indécise, d'un éventail de virtualités qui s'ouvrent et divergent, embrassant un vaste champ de plaisirs éventuels, pressentis à partir d'un point de départ.

Point de départ vers le neuf, comme dirait Rimbaud, élan anticipateur de l'esprit qui, laissant tomber ce qui est, ce qui est vieux, ce qui est limité, souillé et intolérable-ment déterminé, rêve de s'emparer de l'avenir comme du champ illimité où se déploient toutes les palingénésies :



Il semblait que tout mon être eût comme un immense besoin de se retremper dans le neuf. J'attendais une seconde puberté. Ah I refaire à mes yeux une vision neuve, les laver de la salissure des livres, les rendre plus pareils à l'azur qu'ils regardent... !



Que ta vision soit à chaque instant nouvelle.



Palingénésies merveilleuses ! Je savourais souvent, dans mes courses du matin, le sentiment d'un nouvel être, la tendresse de ma perception.



Dans de tels textes, l'expectation, plus encore, la revendication anticipée de la nouveauté, paraissent choses si intenses, si brûlantes, qu'elles sembleraient devoir aboutir, comme chez Rimbaud, à la création même de ce neuf, à la détermination indubitable de ce que l'on cherche.



Qu'on se rappelle à ce propos les vers de Rimbaud consacrant la transformation magique du présent passé en un présent futur :



Elle est retrouvée.

Quoi ? L'Eternité.

C'est la mer allée

Avec le soleil.



Et pourtant, chez Gide, constatons-le, cette transformation magique, cette détermination ultime, n'aura pas lieu. Jamais, chez lui, dans un futur miraculeusement actualisé, la mer ne se mêle avec le soleil. Jetée en avant, ou essayant en vain de réaliser cette projection, l'imagination gidienne ne trouve rien en avant - ou rien d'irrésistiblement actuel, en tout cas. Dévoré du désir d'avoir un futur, elle n'est pas capable de donner une réalité à ce futur. Et l'on comprend les raisons de cette impuissance. Répugnant à choisir entre les mille possibilités de futur qui s'ouvrent devant elle, la pensée de Gide ne sort pas de l'informe, elle se condamne elle-même à cette sorte d'indétermination qui est la rançon de la pure virtualité, la virtualité délicieuse où, comme dans les délices de Capoue, se termine si facilement l'aventure d'être. Faisant table rase, se vidant à chaque instant de ses expériences antérieures, ne gardant jamais d'elles dans sa mémoire que la trace la plus faible, la pensée de Gide ne saurait s'aider de son passé pour concevoir son futur. Mais elle ne saurait non plus faire son futur. Celui-ci reste informe et vide, donc inimaginé. Et l'extraordinaire impatience avec laquelle Gide guette son arrivée a pour seule conséquence de lui faire percevoir avec une netteté accrue la pure fuite du temps, par laquelle les instants sans trêve cèdent la place les uns aux autres. La pensée de Gide devient alors, simplement, le constat du passage éternel du temps dans la conscience, l'accompagnement en sourdine de la fuite du temps par la fuite des paroles : « Partons ! que tout ce que je viens de penser se perde comme moi dans l'étourdisse-ment de la fuite. » Mais en se confondant ainsi avec le flux évanescent de la durée, la pensée de Gide ne se rend nullement capable de penser la durée. Elle reste simple conscience d'une fuite, pure perception de l'évanouissement des perceptions. Pas plus que les lieux, les instants ne s'amalgament en une unité quelconque : et ils sont moins vécus dans la joie de leur arrivée que dans la trouble désillusion de leur dérobade.



GIDE : TEXTES



Me voici tout contraint par mon passé. Pas un geste, aujourd'hui, que ce que j'étais hier ne détermine. Mais celui que je suis en cet instant, subit, fugace, irremplaçable, échappe.

Je m'échappe facilement à moi-même.

Je m'évade de moi.

Passe outre.

C'est du parfait oubli d'hier que je crée la nouvelleté de chaque heure.

Mon âme était l'auberge ouverte aux carrefours.

Et je pris l'habitude de séparer chaque instant de ma vie, pour une totalité de joie isolée.

Partons ! que tout ce que je viens de penser se perde comme moi dans l'étourdissement de la fuite.






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