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George Sand






George Sand, elle aussi, et cela longtemps avant Théophile Gautier, nous apparaît comme un être « pour qui le monde visible existe ». Seulement, devant son regard, le monde contemplé ne se montre que rarement à son maximum de visibilité.



A la différence de Gautier, et plus romantique par là que parnassienne, il faut toujours qu'entre son oil et l'objet sur lequel il se pose, le rapport ait quelque chose d'embrumé. Presque toujours, une vapeur, une ombre, un brouillard, y dissimule les formes, arrondit les angles, éteint l'éclat trop vif des couleurs. Si on relit en effet les très nombreux passages descriptifs que George Sand a introduits un peu partout dans ses écrits l'on constate que, dans la grande majorité des cas, le paysage qu'elle choisit de dépeindre évite de se présenter paré de couleurs trop voyantes, ou dessiné avec une précision trop méticuleuse. George Sand, en effet, préfère infiniment tempérer le détail des choses en les couvrant d'un voile. Pour elle, la parole écrite n'a pas pour devoir de mettre en relief les formes. Elle doit se contenter de les laisser transparaître à travers une brume : « Les formes s'adoucissent dans la vapeur, écrit-elle, comme derrière une gaze bleuâtre. » Ou encore :





« Elles flottent, vagues, vaporeuses, dans le mystère de la nuit. »

Gtons encore :



« Des figures à moitié nettes flottent autour de moi derrière un voile. » Elle va jusqu'à dire : « Ces vapeurs mangent le contour des choses. » On dirait que pour elle le voile qui revêt les objets n'a pas seulement pour mission de servir d'écran aux formes parfois trop distinctes, présentées dans une lumière crue, mais de les transposer dans un milieu différent, disons même dans un monde étranger où, dans le mystère, elles subissent une mutation comparable à celle qui affecte forêts, montagnes et rochers dans les contes de fée. Le plus souvent d'ailleurs, cette mutation ne constitue pas un changement définitif. Elle révèle seulement l'état instable où se trouvent les choses en cours de transformation. La brume paraît alors investie d'un pouvoir créateur. Elle ne joue plus simplement l'office d'un rideau de théâtre s'ouvrant et se fermant sur un spectacle déterminé. Elle devient l'élément transformateur lui-même, en train de réaliser ses métamorphoses. Nous assistons à la scène, nous en faisons même partie intégrante. Grâce à son intervention, nous pénétrons à l'intérieur d'un milieu qui devient nôtre, sans rien perdre de son étrangeté.



Toutes les descriptions dans l'ouvre de George Sand n'ont pas ce caractère magique, mais toutes, ou presque toutes, nous introduisent avec une certaine solennité dans les mystères de la brume, comme dans les mystères du soir ou de la nuit. On peut y trouver des « nocturnes » poétiques, comparables à ces nocturnes musicaux que tant de fois Chopin a dû jouer devant George Sand à Nohant. Un exemple de ces nocturnes écrits par George Sand représente celle-ci à la tombée de la nuit, regardant dans la brume la silhouette de son amie, Marie d'Agoult, en train de se promener dans le jardin de Nohant, cependant que Liszt joue du Schubert à quelque distance. Le passage mérite d'être cité en son entier, pour mieux nous faire sentir avec quelle justesse de ton George Sand unit dans les demi-teintes de son style deux formes d'art imprégnées l'une et l'autre par le même caractère incertain et troublant que la musique de Chopin lui-même :



Lorsqu'elle traversait lentement le rayon de la lampe, son voile blanc dessinait sur le fond noir du tableau des contours fins et déliés, tandis que le reste flottait vague et vaporeux dans le mystère de la nuit ; puis elle approchait de nous comme si elle eût voulu se poser sur le lilas blanc, mais insaisissable comme les ombres, elle s'effaçait lentement. L'obscurité semblait la prendre et l'entraîner dans ses profondeurs en épaississant autour d'elle des rideaux de ténèbres. Au bout de la terrasse, elle était à peine visible ; puis elle se perdait tout à fait dans les sapins.



La scène est admirable. Elle est admirable surtout en ce qu'elle décrit des réalités mouvantes à peine définissables. On ne peut imaginer de « paysage » plus différent de ceux généralement décrits par Théophile Gautier, ou les parnassiens qui ont suivi. Ici, aucune volonté de netteté, de précision, de pleine clarté. Aucune « détermination », mais l'inverse, le désir de présenter les formes, non dans ce qu'elles étalent devant le regard, mais dans ce qu'elles dérobent à la vue, et dans le mouvement, par conséquent, qui les fait glisser du déterminé à l'indéterminé. « Les formes s'effacent », constate souvent George Sand, ajoutant que leur effacement s'accomplit « dans le vague de l'air ». Ailleurs, parlant d'un autre paysage, elle y introduit sa propre personne « se plaisant à une contemplation dont le sujet s'évanouissait chaque fois qu'une brise légère ridait la surface de l'eau ». Ailleurs encore, elle évoque des objets « portés sur une mer sans rivage au milieu des brumes ».



Si le mot « brume » revient si souvent dans ses descriptions, ce n'est donc pas par hasard. Elle aime que les formes soient « flottantes, vagues, vaporeuses ». La brume, selon elle, ne transforme pas seulement le monde environnant en le recouvrant de voiles, elle fait subir aux objets qu'elle y trouve une opération essentiellement négative. Elle les immerge dans le vague, les dissout dans le brouillard, ou les force à se perdre dans le lointain. Sans doute, de telles expressions se rencontrent dans tous les écrits descriptifs, où elles ont pour fonction de décrire un phénomène communément répandu, celui par lequel l'approche du soir et la combinaison des conditions atmosphériques ont pour résultat d'estomper les couleurs, de rendre les contours plus indistincts et les profondeurs plus mystérieuses. « Ce sont là les instants, écrit George Sand, où j'aime à regarder au loin... quand les formes s'effacent, quand les objets semblent trembler dans la brume... »

Ainsi un des effets les plus importants de la brume est sa capacité de faire passer les objets qui s'en trouvent affectés de la présence à l'absence. Mais cette réduction de la vision a une autre conséquence, peut-être plus troublante encore. Tout ne se borne pas à un éloignement, à un obscurcissement, voire à une disparition. En éliminant la netteté, tant prisée plus tard par des écrivains du type de Gautier, insistant pour placer les formes en pleine lumière, George Sand réduit le rôle de ces formes, ou même l'annule, elle leur enlève leur individualité, leur actualité, toutes les déterminations qui d'ordinaire les caractérisent. Ce ne sont pas seulement leurs contours que la brume efface, c'est le pouvoir qu'ont les formes de s'imposer à nous dans leur structure, comme si elles étaient inaltérables. La brume ne leur permet plus de s'étaler sous nos yeux dans la clarté. A peine tombent-elles sous l'influence dissolvante des voiles, des brouillards ou des pénombres, que, comme les objets mystérieusement subtilisés par quelque magicien de théâtre, elles acquièrent, en vertu de leur disparition, une nouvelle sorte d'existence. Existence d'autant plus émouvante qu'elle est, en partie du moins, négative. Aux yeux de George Sand, qui n'aime jamais tant les choses que lorsque celles-ci s'évanouissent dans le vague, elles ont maintenant un avantage inappréciable. Elles se voient libérées du caractère étriqué qu'elles sont contraintes de prendre dans la lumière. Car en plein jour, qu'elles s'y efforcent ou non, elles sont obligées de se montrer distinctes les unes des autres. La brume, la pénombre, le vague leur permettent de se fondre, échappant ainsi à cette contrainte.



Il y a, en effet, dans la pensée, ou plutôt dans la nature profonde de George Sand, un trait qui se retrouve chez d'autres natures féminines : il consiste à atténuer, voire même à effacer, autant qu'il est possible, les différences formelles existant dans le monde des choses, comme dans celui des êtres. C'est ainsi que George Sand, quand elle veut représenter les choses de la nature, ne cherche nullement à les représenter isolément. Elle aime, au contraire, à les présenter, autant qu'il se peut, confondues dans l'ensemble qu'elles forment, ou encore dans les échanges emmêlés et incertains qui se créent entre elles et le spectateur. On sait l'immense place occupée par les choses de la nature externe dans la vie de George Sand. Or, il est de fait que cette place est remplie dans son esprit - et dans son cour - bien moins par des formes déterminées que par un mélange confus de sensations et de sentiments, où elle-même ne trouve pas toujours le moyen de démêler ce qui appartient à l'objet réel et ce qui est un don de l'imagination pure.



Or, si cela est vrai en ce qui concerne les objets extérieurs, ce l'est, forcément, encore bien plus, en ce qui regarde les objets mentaux, c'est-à-dire les images, les souvenirs, les sentiments, les expériences intimes, que l'intériorité des êtres entretient au fond d'eux-mêmes. Il est vrai que chez la plupart des auteurs qui sont souvent des observateurs presque professionnels, ces expériences sont souvent arrangées de telle sorte que leurs caractères distinctifs sont, avant tout, protégés, c'est-à-dire tenus isolés soigneusement les uns des autres. Il n'en va évidemment pas de même avec George Sand. Certes, sa nature et ses pouvoirs analytiques sont si grands qu'elle peut se faire une large moisson d'observations séparées. Mais, d'autre part, ce qu'il y a peut-être de plus fondamental en elle, c'est le don qu'elle possède de se saisir et de saisir la réalité externe dans un seul et même mouvement - donc dans un mouvement où ces deux parties de sa perception se fondent et s'embrassent. Ainsi l'espèce d'effacement, de disparition même des objets isolés qu'enveloppe sa vision ne l'empêche jamais de saisir les choses - et elle-même - liées entre elles dans l'ensemble qu'elles forment. Elle ne peut pas saisir ce qu'elle perçoit et ce qu'elle sent autrement. Dans les descriptions, par exemple, qu'elle nous donne, en vertu du rôle secondaire que jouent le plus souvent leurs aspects particuliers, les réalités externes - et internes - peuvent être mieux perçues dans leur aspect global. Il y a là, chez George Sand, une façon de sentir et de penser qui lui est profondément naturelle, et dont elle se sert, non seulement pour embrasser les grandes formes de la nature, mais aussi pour favoriser le synthétisme spontané de sa pensée. C'est là, chez elle, un penchant auquel elle s'abandonne sans réserve. Or, n'a-t-il pas pour effet de ramener chaque fois à une totalité indéterminée (la famille, le peuple, la foule, la communauté des êtreS), ce qui, chez d'autres, normalement, se distribue dans l'examen d'une série de cas déterminés ?

Au contraire, presque toutes les descriptions de l'auteur, presque toutes les rêveries auxquelles s'abandonne sa pensée, se fondent dans un ensemble, où sa propre pensée aime à se perdre. Pensée qui, dit-elle, aime à « se dissoudre en une multitude d'êtres, comme on se perd au loin dans un vague sans bornes ».



Ne voyons pas là une défaite, l'aveu d'une déperdition. A cette dissolution des formes isolées correspond quelque chose comme une unification des choses prises dans leur collectivité. Cette unification est le plus souvent confuse, mais elle est universelle. Dès que, chez George Sand, les distinctions particulières commencent à s'effacer, une sorte de présence collective tend à s'y substituer. Cela est vrai chez elle, en ce qui regarde sa compréhension de la nature; cela est vrai aussi pour sa compréhension de la réalité historique. George Sand perçoit partout dans le passé les liens qui existent entre les êtres, entre les temps. C'est avec une sorte d'exaltation qu'elle s'abandonne à ces unions qui relient les temps et les espaces : « J'ai souvent confondu écrit-elle, le passé avec le présent, au point de ne pouvoir distinguer l'un de l'autre. »



Ne plus rien distinguer, ni les formes, ni les êtres, ni les lieux, ni les temps. Ou, tout au moins, ne plus rien prendre à part, isolément, faire que les courants de l'esprit se transfèrent sans entrave, à travers les cloisons apparentes, d'un lieu aux autres lieux, comme d'un temps aux autres temps. Si les différences s'effacent, si les lieux et les temps finissent par se confondre, il n'y a pas de séparation définitive. Une « vague sympathie», pour employer l'expression de George Sand, relie le tout. Elle est inspirée par les similarités, ou même les identités, que les êtres se découvrent entre eux à travers les barrières apparentes. Les pays, les âges, les tempéraments, les générations se confondent. Pour une grande part donc, l'union universelle des êtres est l'effet direct de l'évanouissement naturel des différences. Par-delà l'effacement de ce qui sépare, se développera une conscience commune de ce qui unit. Il y a aussi une mémoire proprement prophétique qui, de façon confuse et diffuse à la fois, joint dans un même temps indéterminé les êtres appartenant à des époques parfois infiniment séparées les unes des autres. George Sand rêve d'une « grande mémoire » qui ferait en sorte que tous les stages du passé, du présent, et même du futur, se découvrent contemporains les uns des autres : « Mémoire surnaturelle, écrit-elle encore, dont on a des lueurs vagues et fugitives. » Elle ne renonce donc nullement à sa prédilection pour la pensée vague. A cette mémoire sans rien de distinct, mais qui se souvient de tout, elle attache la plus grande importance. Les brumes, les tâtonnements, les incertitudes, les lacunes mentales sous toutes leurs formes ne sont pas des défaites de l'esprit. Tous ensemble, ils constituent un milieu mental, trouble mais puissant, par le truchement duquel il sera possible, un jour, de mieux comprendre la réalité collective où nous nous sentons vivre. Tel est le rêve de celui qui fut le maître à penser de George Sand, Pierre Leroux. L'humanité est un être collectif dont tous les membres sont solidaires. La pensée confuse est plus importante que toute, parce qu'elle est celle qui dans tous les temps et dans tous les lieux unit le mieux.



GEORGE SAND : TEXTES



Apercevant à travers des voiles...

Formes s'adoucissant dans la vapeur comme derrière une gaze...

Formes nageant dans une brume mouvante...

Vapeurs mangeant le contour des choses...

Flottant, vagues, vaporeux dans le mystère de la nuit

Figures à moitié nettes flottant autour de moi derrière un voile...

Porté sur une mer sans rivage au milieu des brumes...

Formes se perdant au loin dans un vague sans borne

Perdu dans une immense incertitude

Plus rien qu'un voile où la rêverie se perd

Rêvant de se dissoudre en une multitude d'êtres

Ne saisissant plus la ligne d'horizon

Comme l'adieu d'un être perdu dans l'espace

Les soleils de l'infini, je les vois à travers les voiles dont la terre est accablée.



Mon cour se précipite vers un bonheur sans forme.

Je ne peux me faire une idée nette de mes émotions.

Il y a dans l'âme quelque chose de plus que dans la forme. ...

Une effusion du cour sans paroles, sans phrases et même sans idées.

Les jours de ma vie passée s'effacent et se confondent en un seul.

Le passé n'est point un rêve qui s'efface en moi, et vous savez que je l'ai souvent confondu avec le présent au point de ne plus distinguer l'un de l'autre.

Pourquoi cette vive sympathie pour des existences effacées ? pourquoi ces regrets et cet amour pour des êtres qui n'ont laissé qu'un nom dans l'histoire des hommes ?

N'est-ce pas peut-être de la mémoire qui s'ignore ?

Les lueurs s'éteignaient quand je croyais les atteindre et reparaissaient bien loin, perdues dans un vague sans bornes.

Peut-être n'avons-nous la notion nette ou confuse des choses passées qu'en raison du plus ou moins d'émotion qu'elles nous ont causée ?

Les soleils de l'infini brillent là-haut dans leur splendeur

éternelle, et je les vois à peine à travers les voiles dont la terre est accablée.

Combien de fois, à l'entrée de la nuit... n'ai-je pas senti mon cour se précipiter vers un but inconnu, vers un bonheur sans forme et sans nom... ?

Je crois à un engendrement perpétuel des âmes...





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