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Essais littéraire

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Emily Dickinson






C'est le jeu d'un simple instant,

C'est une douce embuscade,

Juste assez pour que la joie

Tire profit de sa surprise.



Le moment dont parle ici Emily Dickinson n'a rien à voir avec sa vie antérieure de jeune fille. C'est un moment de surprise absolue qui la détache de sa vie, la dérobe aux parents, aux amis, aux rivages coutumiers, pour la jeter en pleine mer :



L'exultation, c'est le départ

D'une âme terrestre en pleine mer,

Loin des maisons et loin des plages,

Dans la profonde éternité.







Mais ce moment qui est sans passé, est aussi sans futur. Ou plutôt il n'a d'autre futur qu'une récession immédiate, la perte instantanée de ce qu'il avait promis de donner :



Perdue quand je me croyais sauvée

J'ai senti tout s'évanouir !

Plus loin en un instant

Qu'une aurore à Tombouctou.



L'instant d'extase est donc aussitôt remplacé par un autre instant, qui est celui de la disparition de l'extase. Rien n'est plus grave dans la vie d'Emily que l'apparition, coup sur coup, de ces deux moments, dans l'un desquels tout est donné, dans l'autre, tout retiré. Peu importe que par la suite cette double expérience se soit peut-être bien des fois répétée. Ce qui importe, c'est que chaque fois qu'Emily réfléchit sur son existence, elle la voit débuter par une grande victoire, immédiatement suivie par une grande défaite. Toute sa vie spirituelle et toute sa poésie ne se comprennent que dans la détermination qui chaque fois leur fut donnée par deux moments initiaux dont l'un est démenti par l'autre, un moment où on possède l'Eternité et un moment où on la perd :



Les grands moments de triomphe

Qui surviennent dans l'âme

Et qui la laissent la proie d'un désappointement

Trop vif pour qu'on en puisse parler.



Dans l'existence qui commence à partir de cette perte, ce qui frappe d'abord, c'est la persistance du regret, la fraîcheur constante de la blessure. Il semble que le temps se compose d'une douleur répétée, et qu'en chacun de ses moments, l'on se» trouve frappé comme la première fois :



Jour après jour, je le sentais.

La brûlure était aussi actuelle,

Comme si le nuage en cet instant se fendait

Pour laisser passer le feu au travers.



« Jamais le temps n'adoucissait la souffrance », constate le poète. Il la renforce au contraire. Et la douleur alors s'étend et, en s'épandant, épand le temps lui-même, en sorte qu'il semblait à celle qui vivait cette épreuve, que « les âges se lovaient dans l'étroite circonférence d'un simple cerveau »; parfois, au contraire, la douleur paraissait réduite à un instant de souffrance recommencée, mais qui va se répétant pendant des éternités.



La douleur épand le temps,

Mais la douleur aussi le contracte

Elle le crible de menus plombs.

Mille sortes d'éternités

Sont comme si elles n'étaient pas.



Plus l'on souffre, plus se fait cruel le contraste entre l'extase passée et le présent qui souligne précisément la privation de cette extase :



Le paradis est cette vieille demeure

Où demeurèrent bien des gens -

Occupée par chacun un instant,

Puis la porte se retrouvait close...



Toute la durée se ramène à n'être plus que l'exclusion perpétuelle de chaque moment chassé à son tour d'une éternité en elle-même instantanée. Quand on rapproche ces deux termes si dissemblables, on mesure l'ampleur et l'intensité des douleurs dont se compose l'existence, celle-ci étant occupée à payer sou par sou la rançon d'une seule joie depuis longtemps dépensée :



Pour chaque moment d'extase

Nous devons payer en angoisse

Une douleur proportionnée

A l'extase vécue.



Tel est le sort d'Emily Dickinson : condamnée à rembourser durant toute son existence le prix de chaque instant de bonheur. Or, ce qui frappe dans son cas, ce n'est pas qu'elle se révolte, qu'elle trouve son sort injuste. Au contraire, souffrant toujours, elle se reprocherait plutôt d'essayer d'oublier sa peine dans la délectation de son bref triomphe. C'est ce qu'elle appelle remords :



Le remords, c'est la mémoire éveillée,

- chaque parcelle d'existence est à vif

- C'est une présence faite de moments vécus,

Toujours à la fenêtre ou au seuil.



Si Emily rejette le « remords », c'est que cette « présence des actes disparus » dans l'esprit de l'être qui les contemple empêche celui-ci de se résigner à leur absence. Le dernier sacrifice qui lui semble exigé d'elle, c'est le sacrifice du souvenir même de la joie. Personne ne s'abandonne moins qu'elle à la nostalgie du bonheur perdu et à toute la suite de sentiments délicieux, mélancoliques ou exaspérés qui en découlent. L'image du passé ne doit pas masquer l'amertume du présent, ni en fausser la signification et la valeur. Il ne suffit pas que le bonheur soit perdu, il faut encore que l'esprit en reconnaisse la perte; qu'il desserre les doigts refermés sur la dernière prise, qu'il renonce explicitement à ce qu'il n'a plus. Au regret, au remords, Emily oppose la vertu inverse du renoncement :



La renonciation, vertu déchirante

Qui nous amène à laisser s'en aller

Une présence.



Maintenant il n'y a plus de présence, même plus le faible bien que par le souvenir l'esprit maintenait encore avec cette présence. C'est qu'avoir été tout de suite et pour toujours sauvée, aurait été trop facile. Une éternité donnée une fois pour toutes convient mal à la nature humaine. Celle-ci doit s'accommoder au temps, c'est-à-dire au renoncement, à la conscience de l'absence et de la distance, à la continuité patiente de la douleur.

Douleur maintenant sans atténuation, sans consolation, mais aussi sans espoir*- sans avenir. Car il serait aussi déraisonnable d'espérer un retour de l'extase que de se désoler de l'avoir perdue. Celle-ci n'avait pas d'autre raison d'être que de nous faire voir ce que d'aucune façon nous ne méritons de posséder sur la terre. Sans connaître une fois le bonheur, nous ne pourrions pas nous rendre compte combien il nous convient mal, et combien sa privation nous convient bien. Notre part à nous, c'est le retrait, la défaite. Contentons-nous de celle-ci. Consommons notre résignation par le dés-espoir.

Désespoir qu'il ne faut pas confondre cependant avec le sentiment de révolte qui porte souvent ce nom. Le vrai désespoir est tout simplement une pure absence d'espoir, ou, comme le dit Emily « le lent échange de l'espoir contre quelque chose de plus passif » :



Le service rendu sans espoir

Est, je crois, le plus tendre de tous.



Sans espoir, sans regret, se réduisant des deux côtés, rompant le contact avec le bonheur passé comme avec le bonheur possible, la pensée n'a plus d'attache avec le passé, ni avec l'avenir. Elle se contente de s'identifier tout entière avec la douleur présente :



Dans la douleur il y a une part de vide.

Elle ne peut se souvenir

Quand elle a débuté, ou s'il y eût même

Un temps où elle n'était pas.

Elle n'a pas d'autre futur qu'elle-même,

Elle contient déjà tout l'Infini.

Elle est le passé instruit à percevoir

De nouvelles périodes de douleur.



La douleur chez Emily Dickinson aboutit donc au même résultat que le sentiment du néant chez Mallarmé : elle unifie, disons même : elle uniformise les temps; elle les confond dans la même continuité monotone, en dehors de laquelle, semble-t-il, il n'y a rien qui se puisse voir :



La pensée se fait toute unie - sans mouvement -

Satisfaite comme le regard

Au front d'ua buste

Qui sait qu'il ne peut voir.



Entre les moments il n'y a plus de différence. Tout est nivelé par la même douleur. Et cette étendue perpétuellement semblable à elle-même, qui se retrouve en chaque moment et dans tous les moments, est le symbole d'une éternité faite de la rigoureuse similarité de tous ces moments :



Ce qui est pour toujours est fait d'une suite de présents

Il n'y a pas d'autre temps que celui-là.



Temps jamais différent de lui-même, et pareil à l'espace, puisque, dans son développement continu, il ne cesse de marquer la distance qui le sépare de tout objet perdu. Et la conscience de cette séparation se poursuivrait ainsi indéfiniment, si, tout au bout, à l'extrémité du futur comme à l'extrémité du passé, il n'y avait pas un instant suprême, celui de la Mort.

Sur le visage d'un mourant Emily perçoit l'arrivée de cet instant qui tout termine et tout commence :



C'était le moment critique.

Tout au long jusqu'alors

Avait eu lieu un temps atone, un temps muet...

Alors la seconde hésita, stoppa, frappa son dernier coup.

Une autre avait commencé

Et simultanément une âme

Etait partie sans qu'on la vît.

C'est sur un fond de nullité, d'absence, de vide, que l'événement, chez Emily Dickinson, se détache.



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