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Crise et vitalité du genre romanesque






Ce qui caractérise une époque, c'est aussi les formes dans lesquelles se coulent les idées et les sentiments et qui donnent leur accent propre aux ouvres littéraires du moment. Il nous faudra donc étudier comment les « genres » littéraires (pour user d'une notion controversée mais commodE) ont évolué au cours des années vingt et trente, c'est-à-dire ont renouvelé plus ou moins profondément leurs techniques, tout en modifiant aussi leur esprit. Car les techniques et les moyens d'expression qu'on peut utiliser dans un roman, une pièce de théâtre, un poème, sont liés à la conception qu'on se fait du roman, du théâtre, de la poésie.





La mise en question du roman



Depuis la fin du XIXe siècle, au lendemain du naturalisme, on parle de « crise du roman ». La génération symboliste, profondément subjecliviste, s'insurge contre l'esthétique naturaliste, ses partis pris et ses excès, mais plus largement on s'interroge sur la validité même du genre. On sait que Valéry se refuse à écrire « La marquise sortit à 5 heures », c'est-à-dire qu'il rejette un genre voué à l'anecdotique alors que la poésie vise à l'essence des choses. Après la guerre, Breton, proche en cela de Valéry, attaquera encore un genre qui se complaît dans la description et enregistre les « moments nuls » de la vie (Manifeste du surréalismE). Nadja sera tout le contraire d'un roman : l'histoire est vraie et les descriptions traditionnelles du roman sont remplacées par des photographies.

La « crise du roman » est en grande partie une crise du « réalisme » lui-même, auquel s'était identifié l'art romanesque au cours du XIXe siècle. On croit de moins en moins à la possibilité d'expliquer objectivement la réalité. La nouvelle psychologie', par exemple, insiste sur la complexité et l'ambiguïté de l'être humain. Mauriac, dans Le Romancier et ses personnages (1933). va jusqu'à affirmer que ses créatures lui échappent. Ce mythe de l'autonomie du personnage romanesque est caractéristique de la « crise du roman ». Gide, dans Les Faux-Monnayeurs. joue avec cette idée « pirandellienne ». lorsque le narrateur se met à juger ses personnages : il les présente comme des êtres qui le surprennent ou le déçoivent. C'est de la part de Gide une manière d'ironiser sur la « création » romanesque, qui se targue de singer la réalité. Cette ironie devient fantaisie bouffonne chez Queneau avec Le Chiendent, où les personnages sont présentés comme les créatures d'un romancier. Pierre Le Grand, lui-même personnage du roman, ou chez Aymé avec Derrière chez Martin (1938), où l'on assiste à la révolte d'un personnage, qui sort du livre pour devenir réalité.



Le XXe siècle est l'« ère du soupçon » à l'égard du roman. On tend assez souvent à ne plus faire crédit naïvement au romancier et le romancier lui-même remet son art en question. En effet, on observe un développement important de la conscience critique, qui s'installe au cour même de la création. Ainsi, certains romans sont des « romans du roman », c'est-à-dire mettent en scène un romancier en train d'écrire un roman et réfléchissant sur son art. C'est le cas dans Les Faùx-Monnayeurs. Le romancier Edouard, double de Gide, préoccupé par le conflit entre le réel et sa représentation romanesque, veut trouver ce qui fait l'essence du roman, indépendamment de sa référence à la réalité. Mais, obsédé par l'idée du « roman pur », il n'arrive pas à écrire lui-même ses Faux-Monnayeurs et il est l'objet de l'ironie de Bernard, autre double de Gide. Ici, la mise en aby-me est aussi une mise à distaaçe. Mais Gide, comme Edouard, se regarde écrire son roman : il publie en 1926 Le Journal des Faux-Monnayeurs.



Cette conscience critique aiguë n'empêche pas l'entre-deux-guerres d'être une époque richement créatrice, où le roman, sous des formes traditionnelles ou non. foisonne et s'impose comme le genre prédominant et le plus prestigieux. Il obtient les suffrages du grand public (les prix littéraires concernent essentiellement le romaN) ainsi que la faveur de l'élite représentée par La NRF, qui lui accorde une particulière importance.

En fait, s'interroger sur le roman, c'est peut-être en faire la critique, mais c'est aussi en apprécier les ressources ; le parodier, c'est encore en utiliser les moyens. Malgré l'hostilité de ses amis envers le roman, on voit Aragon lui rester fidèle et braver les interdits. Dans Anicet. il se moque de la vraisemblance romanesque, mais le titre Anicet ou le Panorama roman constitue-t-il une ironie envers le genre ou bien un défi à ceux qui le méprisent ? Plutôt qu'un anti-roman, Les Faux-Monnayeurs sont le premier et le seul vrai roman de Gide. C'est quelque chose, dit-il, comme « l'art de la fugue », qui permet au romancier de déployer sa virtuosité et au roman de manifester ses « puissances ». Dans cet esprit de création, Brasillach rédige Les Sept Couleurs avec sept procédés de narration différents. De même, Léon Bopp dans Jacques Arnaut ou la Somme romanesque (1933) fait la somme des procédés du roman, mais moins pour en dénoncer les artifices que pour en dévoiler les sortilèges.

De telles recherches se pratiquent surtout dans la première décennie, plus préoccupée d'esthétique, alors que la seconde s'oriente davantage vers l'éthique et la politique et voit un retour du réalisme. Cependant, même un roman « engagé » comme L'Espoir en porte la trace à sa façon. Ici. le double dej'auteur n'est pas un romancier, mais un intellectuel préoccupé d'action. Pourtant le nécessaire décalage entre la réalité et sa représentation est suggéré par la présence du journaliste et de son reportage sur les bombardements de Madrid, juxtaposé à la description romanesque (« Sang de gauche », chapitre X). Malraux n'oublie pas qu'il est romancier et que l'art est une métamorphose.



Formes traditionnelles et techniques nouvelles : du monologue intérieur au roman-fleuve



Du fait qu'il est sans lois, le roman est doté d'une grande plasticité. Celui de l'entre-deux-guerres se montre très éclectique, empruntant souvent des voies assez traditionnelles mais enrichissant ou diversifiant ses techniques. Ainsi beaucoup de romanciers (Larbaud, Lacretelle, Arland. Schlumbcr-ger, Radiguel, Mauriac. MauroiS) poursuivent la tradition du roman d'analyse, tout en profitant des leçons de Proust. Joyce ou Freud.

Parmi ces techniques nouvelles, la plus spectaculaire et la plus controversée est le « monologue intérieur ». On sait que ce procédé d'écriture, qui consiste à laisser s'exprimer librement le tout-venant de l'esprit, avait déjà été utilisé par Edouard Dujardin dans Les lauriers sont coupés (1887). Repris par Joyce dans Ulysses, - paru en France en 1922, puis traduit en 1929 -, le monologue intérieur est caractéristique de la période des lendemains de la guerre, période où le sujet tend à s'imposer au détriment du monde extérieur. Accueilli par certains avec ironie (par exemple par Giraudoux qui s'en moque dans Juliette au pays des hommeS), il est cependant parfois utilisé à la place de l'analyse psychologique traditionnelle, quoique sous des formes plus clarifiées, plus cohérentes que chez Joyce, c'est-à-dire sous des formes mieux adaptées au goût français. 11 en est ainsi dans certaines nouvelles de Valéry Larbaud - introducteur d'Ulysses en France - (Amants, heureux amants..., 1923), de Schlumberger (Les Yeux de dix-huit ans, 1928), de Morand (« La nuit de Babylone », dans Ouvert la nuiT), ouvres brèves par définition, où la concentration des effets corrige le décousu de la narration. Dans des ouvres plus longues, le monologue ultérieur vient relayer le récit du narrateur : chez Jouve (Paulina 1880). Cohen (SolaL), Schlumberger (Saint-SaturniN), Gide (Les Faux-MonnayeurS). Utilise ainsi, le monologue intérieur ne supprime pas l'instance narrative extérieure ni le cours du récit, mais permet d'enrichir la narration par des perspectives variées. Il va dans le sens de l'« autonomie » du personnage (à la différence du discours indirect libre, couramment employé depuis la fin du XIXe sièclE) et dans celui de la relativisation des points de vue. dont le roman anglo-saxon donne l'exemple (ainsi que la technique cinématographique, toujours liee à un angle de visioN) ; à cela les théories d'Einstein sur la relativité apportent une sorte de « caution » scientifique, comme autrefois celles de Geoffroy-Saint-Hilaire ou Claude Bernard à Balzac ou à Zola2.

Le double point de vue de Climats chez Maurois, le journal d'un mari trompé en quoi consiste Eva ou le Journal interrompu de Chardonne, donnent des visions fragmentaires et subjectives d'une réalité que personne ne vient expliquer objectivement. Arland confie parfois le récit à un témoin qui n'était qu'un enfant au moment des faits (Terres étrangères, AntarèS), ce qui accentue le caractère partiel et particulier de la vision. La Vie inquiète de Jean Hermelin de Lacretelle est donnée comme un examen de conscience, suivi d'un journal. Mais même dans La Bonifas, récit à la troisième personne, l'auteur n'éclaire son personnage que d'une « clarté diffuse ». Mauriac lui-même, si violemment attaqué par Sartre pour son « omni-science » quasi divine3, n'« explique » pourtant pas Thérèse Desqueyroux et c'est le plus souvent à travers la conscience du personnage (malgré le récit à la troisième personnE) que le lecteur prend connaissance de l'histoire. Chez Jouve, on saute du monologue d'un personnage à celui d'un autre, ou bien tout un jeu de parenthèses imbrique l'un dans l'autre plusieurs plans de la réalité.



Le narrateur désormais, quelle que soit sa nature (hétérodiégétique ou autodiégétiquE), est souvent moins celui qui sait et qui explique, que celui qui s'interroge et cherche à comprendre. Le « réalisme subjectif » chez Stendhal ou chez Flaubert, visait à mieux rendre la réalité de la situation, c'était surtout un « réalisme », alors que pour les romanciers de l'entre-deux-gucrrcs. il est surtout « subjectif », c'est-à-dire qu'il rend compte de l'impossibilité pour le romancier d'expliquer objectivement ses personnages. Une même technique peut avoir selon les époques des sens différents. Le récit à la première personne n'est pas un procédé nouveau, mais, alors qu'il pouvait plutôt servir autrefois à authentifier l'histoire, il tend désormais à la relativiser et dans certains cas à donner le sentiment du surnaturel : dans L'Âne Culotte de Bosco, où trois visions se succèdent, ou dans Le Voyageur sur la terre de Green. où divers « témoignages » et « documents » se superposent, sans que les faits soient totalement éclairés. Chez Proust, ce qui compte, c'est moins le déroulement objectif d'une histoire que la manifestation d'une conscience avec ses découvertes partielles et progressives, sa quête de la vérité.



La narration du roman traditionnel se plie généralement à l'ordre chronologique objectif. Mais la narration subjective entraîne aussi une restructuration du temps. Dans le « roman » de Proust, le présent du Narrateur vient interférer avec le passé bien que le récit suive pour l'essentiel l'ordre chronologique. Ailleurs, l'ordre des événements sera bouleversé par la narration : là narratrice des Enfants gâtés se demande par où commencer son récit. Même un récit à la troisième personne comme Le Désert de l'amour de Mauriac repose sur une rupture temporelle, un retour en arrière qui s'opère dans la conscience du protagoniste.

Traditionnellement, le roman français est un récit qui met de l'ordre dans la confusion du réel, en se calquant souvent sur le déroulement de l'action dramatique (exposition, noud, dénouemenT). C'est ce contre quoi Rivière invitait à réagir en 1913 en proposant l'exemple du roman étranger. Entre les deux guerres le roman tendra à se débarrasser de la cohérence artificielle de l'intrigue pour rendre sensible, soit l'uniformité des jours, soit l'illogisme et le désordre de la vie. Le procédé du journal morcelle le temps au fil des jours, nous introduit au cour de l'incohérence de la vie et brise l'ordonnance logique du roman. Il excelle à montrer les tâtonnements ou les interrogations de personnages anxieux, tourmentés : le maniaque Salavin de Duhamel, le mari trompé de Chardonne, le pasteur complexé de La Symphonie pastorale, le curé de campagne tourmenté de Bernanos, le héros angoissé de La Nausée, ou le rationaliste Antoine au bord de la mort dans l'Épilogue des Thibault.



De La Jeunesse de Théophile aux Chroniques maritales, les récits de Jouhandeau sont sans crise, sans péripéties, sans intrigue. Constitués d'une suite de scènes, d'anecdotes, de portraits, de réflexions, ils ne racontent pas vraiment une histoire, ils sont plutôt un tableau ou une « chronique » de la vie. Lors de sa parution, le premier roman de Chardonne, L'Épithalame, fit sensation. On n'y reconnaissait pas le schéma habituel des romans français mais on y sentait plutôt le caractère foisonnant du roman anglais ou russe. La narration nous met en effet directement en présence des personnages, sans explications préalables. C'est une suite de tableaux dépourvus de commentaires et d'analyse, formant un récit discontinu, qui a pu faire songer à la technique du cinéma.



Gide trouve le roman de Chardonne « trop foisonnant4 ». Pourtant, lorsqu'il entreprend lui-même Les Faux-Monnayeurs, c'est en voulant rompre avec ses « récits » antérieurs, trop simples. Il souhaite un récit déconcentré, apte à traduire toute la richesse de la réalité, un roman sans véritable début et sans véritable fin (« J'ai hâte de connaître Caloub », telle est la dernière phrase du livrE), donc une ouvre ouverte, emportée par le courant inépuisable de la vie. Ce faisant, il ne vise pas au réalisme. Bien au contraire. Il écrit dans le Journal des Faux-Monnayeurs : « Ce qui me tente, c'est le genre épique. Seul le ton de l'épopée [...] peut sortir le roman de son ornière réaliste5. »



C'est ce que font à leur manière les romans de Malraux, avec leur début abrupt, jetant le lecteur dans une situation d'abord obscure, alors que, comme on l'a fait remarquer6, le roman traditionnel s'appliquait généralement à l'expliquer tout de suite. L'écriture se fait elle-même elliptique, heurtée, de manière à traduire l'impression d'une réalité brutale, compîexe et angoissante7. Les romans de Malraux sont de plus en plus longs et touffus. L'Espoir est fait d'une succession de tableaux où changent constamment personnages et points de vue, rompant ainsi avec la ligne claire et continue du roman traditionnel français.

Le passage du roman « dramatique » au roman « épique » va se manifester par la vogue du roman-fresque, roman long, touffu, suivant les personnages sur le fleuve du temps, comme le Jean-Christophe (1904-1912) de Romain Rolland, premier « roman-fleuve » français8. Thibaudet propose de parler de « roman-cycle », par référence aux cycles épiques. Les « romans-fleuves » sont en effet des romans qui rejoignent l'épopée puisque l'aventure individuelle y est souvent englobée dans le cadre plus vaste formé par plusieurs générations, ainsi que dans le mouvement général de la société et de l'histoire. L'esthétique de la totalité y remplace celle de l'unité qui caractérise le roman classique.

Avec le retour du réalisme qui marque les années trente, plusieurs romanciers, jusque-là plutôt intéressés par la psychologie de l'individu, vont tenter d'embrasser la réalité sociale, en usant du prisme de la famille : Duhamel avec La Chronique des Pasquier, Martin du Gard avec Les Thibault, Lacretelle avec Les Hauts-Ponts, Chardonne avec Les Destinées sentimentales. Tous montrent comment les individus se trouvent entraînés dans le mouvement d'une société qui change. Mais seuls Les Thibault débordent vraiment le cadre familial, pour faire sentir l'écroulement d'un monde



Pour Aragon la conversion au réalisme, et même au « réalisme socialiste », a signifié aussi la conversion au roman. Il commence en 1934 le cycle du Monde réel où il évoque la marche de la société depuis la Belle Epoque jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Mais il s'agit là d'un « cycle » plutôt que d'un « fleuve ». Chaque volume conserve son autonomie, malgré le retour de certains personnages. On est assez proche des grands cycles du xix' siècle. La Comédie humaine ou Les Rougon-Macquart.

Ce sont Les Hommes de bonne volonté qui, avec Les Thibault, constituent l'entreprise la plus puissante, et qui, du point de vue de la technique romanesque, montrent le plus d'originalité. Jules Romains y fait passer dans le roman sa conception de l'unanimisme : il y peint des êtres collectifs, Paris, la France, l'Europe, dans de vastes tableaux synthétiques (par exemple « Présentation de Paris à 5 heures du soir » ou « Présentation de l'Europe le 2 août 1914 ») et, grâce à une technique simultanéiste. il fait s'entrelacer de multiples destinées individuelles, de façon à donner de la réalité sociale entre 1908 et 1933 une vision complexe et globale.

Dans chacun des volumes, Jules Romains ne dessine pas d'intrigue suivie mais passe constamment d'un personnage à un autre, d'un lieu à un autre. En rompant avec la continuité linéaire du récit traditionnel, le romancier, qui d'ailleurs s'intéresse aux techniques du cinémag, manifeste sa modernité : il pratique une esthétique du morcellement, de la discontinuité, de la simultanéité. Mais grâce à une série de symétries, de correspondances, de contrastes, il relie les divers épisodes les uns aux autres et assure l'unité et l'harmonie de ce vaste ensemble.

Il parvient aussi, notamment par l'usage du « monologue intérieur » à la française, à nous faire pénétrer dans l'intimité de beaucoup de ses personnages et en particulier dans celle de Jallez et de Jerphanion, les deux figures centrales, que le romancier nourrit de son expérience et de sa personnalité, le premier représentant ses penchants idéalistes et le second sa tendance au réalisme pragmatique.



Aux frontières du genre



La plasticité du genre romanesque lui a permis de s'étendre aux confins d'autres genres, au point que, devant certains romans nouveaux, les critiques s'écriaient : « Ce n'est pas un roman. » Comme l'a remarqué Paul-han dans Les Fleurs de Tarbes, l'interpénétration des genres est une caractéristique majeure de notre temps. Les principales tentations du roman ont été l'essai, l'autobiographie et la poésie, les trois souvent mêlés. Cela tient sans douté, comme le suggère Gaétan Picon, au fait que le roman moderne tend à devenir ouvertement expression de soi, plutôt que simple représentation du monde.

Le roman moderne privilégie le « discours » de l'auteur alors que le roman traditionnel tendait à l'effacer ou du moins à le subordonner à l'histoire racontée. C'est particulièrement net chez des auteurs comme Céline ou Bernanos, chez qui le ton, la « parole », comptent au moins autant que la fiction. Ils ne cessent de faire entendre une voix qui ricane, s'indigne, s'apitoye, accuse, apostrophe violemment le lecteur, prend le monde entier à partie. .De même. Montherlant ou Malraux ne font pas que « raconter », ils incluent dans leurs récits des développements de toutes sortes, qui ne sont pas de nature « documentaire » comme c'était souvent le cas dans les romans du xix' siècle, mais idéologique : ils argumentent, ils invectivent, ils « prêchent ». Les récits de Malraux sont autant des essais que des romans.



La méditation vient y rompre le rythme de la narration. Les discussions de La Condition humaine ou de L'Espoir sont des sortes d'essais dialogues, à la manière de La Tentation de l'Occident, qui est un échangé de lettres. » À la recherche du temps perdu, Voyage au bout de la nuit, tout comme Gilles, sont des romans-sommes, où, à travers une fiction plus ou moins transparente, l'auteur livre la totalité d'une expérience en suivant de près son itinéraire personnel. Pour certains comme Drieu, les échanges sont constants entre autobiographie, essai, roman. Mesure de la France (1922) est un essai politique contenant des éléments autobiographiques, tandis que État civil semble hésiter entre autobiographie et roman.

Chez un écrivain comme Léautaud, le * genre » n'a plus aucune importance : il n'existe pour lui plus de frontière entre récits, articles, pages de journal (Passe-Temps, 1929). Il ne s'agit plus d'écrire un roman ou quoi que ce soit, il s'agit de s'exprimer soi-même. Chez Colette, à côté de la veine proprement romanesque, se développe un genre mixte où la fiction s'amenuise, cédant la place aux souvenirs, confidences, réflexions et favorisant une écriture « poétique » (La Naissance du jour, 1928).

C'est en effet aussi aux frontières de la poésie que peut toucher le roman. Déjà en 1913, Le Grand Meaulnes, tout comme Comhray, fondés sur une expérience de nature poétique, témoignaient de la tentation exercée par la poésie sur certains romanciers.

La poésie peut investir le roman même lorsqu'il sait imposer la présence de la réalité et donner l'illusion de la vie. Les métaphores jouent un rôle essentiel chez Proust ; le Narrateur est sensible à la magie des mots, des noms propres. Les images, les développements lyriques donnent une allure de poème à certaines pages des Jeunes Filles de Montherlant comme aux romans de Bernanos ou à ceux de Mauriac. Bien des passages des Hommes de bonne volonté sont de nature poétique, notamment ceux qui concernent Paris : le Paris unanimiste du début de l'ouvre, le Paris associé à la rêverie de Jallez ou à celle de petit Louis Bastide, descendant de Montmartre avec son cerceau.

Mais surtout on est entré dans l'ère du « récit poétique », qui à rencontre du roman traditionnel se désintéresse du réalisme, de la psychologie et de l'action pour privilégier, comme le poème, les structures non linéaires, les échos, les parallélismes, les symboles, la fonction poétique du langage.



Dans les récits de Breton (NadjA) ou d'Aragon (Le Paysan de PariS) comme dans ceux de Mac Orlan (Mademoiselle BambU) ou de Giraudoux (BellA), on préfère, à la progression linéaire d'une « intrigue », le rythme hasardeux des promenades, des rencontres, des rêveries, des « divagations" ». Les proses du Paysan de Paris sont plutôt des épanchements lyriques. Les romans de Giraudoux constituent une série de variations « musicales » sur un thème unique, celui des rapports entre l'homme et le cosmos par exemple (Suzanne et le PacifiquE).

Le narrateur-poète joue parfois, comme Proust, sur les correspondances entre certains personnages, certaines situations, sur les reprises de thèmes qui font « rimer » certaines parties du récit. Dans Les Enfants terribles. Cocteau crée un écho entre la boule de neige du début et la boule de poison de la fin. Le récit a donc une structure circulaire, tout comme Le Chiendent, qui a été organisé par Queneau en fonction d'une combinaison stricte de nombres et selon des règles aussi contraignantes que celles du sonnet. Il déclare avoir voulu créer un rythme sans se soucier d'illusion réaliste ou de vérité psychologique. Jouve morcelle son récit en moments intenses (intensité traduite parfois par l'irruption du présenT), évacuant ainsi ces « moments nuls de la vie », auxquels, selon Breton, le roman se complaît.

Dans de tels récits, comme dans la poésie, le langage compte plus pour sa valeur métaphorique que pour sa valeur référentielle. C'est ainsi que le dernier chapitre du Monde désert se réduit à une phrase : « Une fleur bleue dans la montagne », image suggérant peut-être cet absolu à la poursuite duquel le héros s'épuise, jusqu'à ce qu'il se donne la mort. Les décors, ici ceux de la montagne, tiennent une grande place, mais la description n'est pas réaliste, elle est symbolique. C'est aussi la valeur du « château ». de la forêt et de la mer. dans le premier roman de Julien Gracq, ou celle de la chambre dans Les Enfants terribles, ou celle de l'île dans Suzanne et le Pacifique.

Car le récit poétique, comme la poésie elle-même, ne vise pas à l'anec-dotique mais à l'essentiel. Il refuse la contingence, qui est le lot du roman ordinaire. Les personnages n'ont pas de psychologie avec ce que cela comporte d'individuel et de limité. Ils peuvent avoir une valeur allégorique, comme dans les récits du Moyen Age, auxquels Giraudoux par exemple se réfère de préférence au roman classique. C'est bien le cas chez Ramuz ou Giono, où l'humain est confronté aux grandes forces de la Nature. Sous le quotidien, le récit poétique cherche à saisir l'éternel.








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