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Essais littéraire

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Albert Aurier « Le Symbolisme en peinture - Paul Gauguin» Mercure de France (février 1891)






Le jeune critique Albert Aurier, qui devait mourir à 27 ans, fut l'un des fondateurs du Mercure de France, dont il devint le critique d'art, apprécié pour son indépendance, et écouté pour la sûreté de son jugement. Il donne ici la définition la plus forte et la plus profonde du Symbolisme pictural. Après une évocation de La Lutte de Jacob avec l'ange de Paul Gauguin, Aurier oppose le Symbolisme à l'Impressionnisme (celui-ci étant perçu comme une simple variante, seulement plus subtile, du RéalismE). Cette opposition lui permet de dégager ensuite les caractéristiques de ce qu 'il nomme aussi l'art «idèiste» ou l'art «synthé-tiste» : l'expression de l'Idée; la recherche, non de l'illusion rèfërentielle ou de l'exactitude mimétique, mais d'un langage proprement pictural de signes agencés entre eux en fonction de l'organisation interne de la toile; la valorisation de la vision subjective; la dimension « décorative » de l'ouvre d'art, - à quoi doit s'ajouter encore, chez l'artiste, « cette transcen-dantale émotivité, si grande et si précieuse, qui fait frissonner l'âme devant le drame ondoyant des abstractions».





[...] Aujourd'hui qu'en littérature nous assistons - cela commence à devenir évident - à l'agonie du naturalisme, alors que nous voyons se préparer une réaction idéaliste, mystique même, il faudrait s'étonner si les arts plastiques ne manifestaient aucune tendance vers une pareille évolution. La Lutte de Jacob avec l'Ange, que j'ai tenté de décrire en exorde de cette étude, témoigne assez, je crois, que cette tendance existe, et l'on doit comprendre que les peintres engagés dans cette voie nouvelle ont tout intérêt à ce qu'on les débarrasse de cette absurde étiquette d'« impressionnistes », qui implique, il faut le répéter, un programme directement contradictoire du leur. Cette petite discussion sur les mots, ridicule peut-être en apparence, était pourtant, j'estime, nécessaire : le public, suprême juge en matière d'art, ayant l'incurable habitude, qui ne le sait? de ne juger les choses que sur leurs noms. Donc, qu'on invente un nouveau vocable en « -iste » (il y en a tant déjà qu'il n'y paraîtra point !) pour les nouveaux venus, à la tête desquels marche Gauguin : synthétistes, idéistes, symbolistes, comme il plaira, mais surtout qu'on renonce à cette inepte appellation générale d'impressionnistes, et qu'on réserve strictement ce titre aux peintres pour lesquels l'art n'est qu'une traduction des sensations et des impressions de l'artiste. [...]



Il est évident - et l'affirmer est presque une banalité -qu'il existe dans l'histoire de l'art deux grandes tendances contradictoires qui, incontestablement, dépendent, l'une, de la cécité, l'autre de la clairvoyance de cet «oil intérieur de l'homme» dont parle Swedenborg, la tendance réaliste et la tendance idéiste (je ne dis point idéaliste, on verra pourquoI).

Sans doute, l'art réaliste, l'art dont l'unique but est la représentation des extériorités matérielles, des apparences sensibles, constitue une manifestation esthétique intéressante. Il nous révèle, en quelque sorte, par contre-coup, l'âme de l'ouvrier, puisqu'il nous montre les déformations qu'a subies l'objet en la traversant. D'ailleurs, nul ne conteste que le réalisme, s'il fut prétexte à bien des hideurs, impersonnelles et banales comme des photographies, a aussi parfois produit d'incontestables chefs-d'ouvre, qui resplendissent dans le musée de toutes les mémoires. Mais, pourtant, il n'en est pas moins indiscutable qu'à qui veut loyalement réfléchir l'art idéiste apparaît plus pur et plus élevé - plus pur et plus élevé de toute la pureté et de toute l'élévation qui sépare la matière de l'idée. On pourrait même affirmer que l'art suprême ne saurait être qu'idéiste, l'art, par définition, n'étant (nous en avons l'intuitioN) que la matérialisation représentative de ce qu'il y a de plus élevé et de plus vraiment divin dans le monde, de ce qu'il y a, en dernière analyse, de seul existant, l'Idée. Ceux donc qui ne savent ni voir l'Idée, ni y croire, ne sont-ils pas dignes de nos compassions, ainsi que l'étaient pour les hommes libres les pauvres stupides prisonniers de la caverne allégorique de Platon? [...]



Le but normal et dernier de la peinture, ai-je dit, comme d'ailleurs de tous les arts, ne saurait être la représentation directe des objets. Sa finalité est d'exprimer, en les traduisant dans un langage spécial, les Idées.

Aux yeux de l'artiste, en effet, c'est-à-dire aux yeux de celui qui doit être l'Exprimeur des Êtres absolus, les objets, c'est-à-dire les êtres relatifs qui ne sont qu'une traduction proportionnée à la relativité de nos intellects des êtres absolus et essentiels, des Idées, les objets ne peuvent avoir de valeur en tant qu'objets. Ils ne peuvent lui apparaître que comme des signes. Ce sont les lettres d'un immense alphabet que l'homme de génie seul sait épeler.

Écrire sa pensée, son poème, avec ces signes, en se rappelant que le signe, pour indispensable qu'il soit, n'est rien en lui-même et que l'idée seule est tout, telle apparaît donc la tâche de l'artiste dont l'oil a su discerner les hypostases des objets tangibles. La première conséquence de ce principe, trop évidente pour qu'il faille s'y arrêter, c'est, on le devine, une nécessaire simplification dans l'écriture du signe. Si ce n'était, en effet, le peintre ne ressemblerait-il point au littérateur ingénu qui penserait ajouter quelque chose à son ouvre en soignant et en ornementant de futiles paraphes sa calligraphie?

Mais, s'il est vrai que, dans le monde, les seuls êtres réels ne puissent être que des Idées, s'il est vrai que les objets ne sont que les apparences révélatrices de ces Idées et, par conséquent, n'ont d'importance qu'en tant que signes d'Idées, il n'en est pas moins vrai qu'à nos yeux d'hommes, c'est-à-dire à nos yeux d'orgueilleuses ombres d'êtres purs, d'ombres vivant dans l'inconscience de leur état illusoire et dans l'animée duperie du spectacle des fallacieuses tangibilités, il n'en est pas moins vrai qu'à nos myopes yeux les objets apparaissent le plus souvent comme objets, rien que comme objets, indépendamment de leur symbolique signification - au point que, parfois, nous ne pouvons, malgré de sincères efforts, les imaginer en tant que signes.



Cette néfaste propension à ne considérer, dans la vie pratique, l'objet que comme objet est évidente et, l'on peut dire, quasiment générale. L'homme supérieur, seul, illuminé par cette suprême vertu que les Alexandrins nommaient si justement l'extase, sait se persuader qu'il n'est lui-même qu'un signe jeté, par une mystérieuse préordination, au milieu d'une innombrable foule de signes ; lui seul sait, dompteur du monstre illusion, se promener en maître dans ce temple fantastique :



Où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles... alors que l'imbécile troupeau humain, dupé par les apparences qui lui feront nier les idées essentielles, passera éternellement aveugle :



A travers les forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers.



L'ouvre d'art ne doit point, même pour l'oil du populaire bétail, prêter à pareille équivoque. Le dilettante, en effet (qui n'est point artiste, et qui, par conséquent, n'a point le sens des correspondances symboliqueS), se trouverait devant elle dans une situation analogue à celle de la foule devant les objets de nature. Il n'en percevrait les objets représentés qu'en tant qu'objets - ce qu'il importe d'éviter. Il faut donc que, dans l'ouvre idéiste, cette confusion ne puisse se produire, il faut donc que nous soyons mis en état de ne pouvoir douter que les objets, dans le tableau, n'ont aucune valeur en tant qu'objets, qu'ils ne sont que des signes, des verbes, n'ayant en eux-mêmes nulle autre importance.

Conséquemment, certaines lois appropriées devront régenter l'imitation picturale. L'artiste, de toute nécessité, aura la tâche de soigneusement éviter cette antinomie de tout art : la vérité concrète, l'illusionnisme, le trompe-l'oil, de façon à ne point donner par son tableau cette fallacieuse impression de nature qui agirait sur le spectateur comme la nature elle-même, c'est-à-dire sans suggestion possible, c'est-à-dire (qu'on me pardonne le néologisme barbarE) idéi-cidement.

Il est logique de l'imaginer fuyant, afin de se garder de ces périls de la vérité concrète, l'analyse de l'objet. Chaque détail, en effet, n'est, en réalité, qu'un symbole partiel, inutile le plus souvent à la signification totale de l'objet. Le strict devoir du peintre idéiste est, par conséquent, d'effectuer une sélection raisonnée parmi les multiples éléments combinés en l'objectivité, de n'utiliser en son ouvre que les lignes, les formes, les couleurs générales et distinctives servant à écrire nettement la signification idéique de l'objet, plus les quelques symboles partiels corroborant le symbole général.

Même, il est aisé de le déduire, ces caractères directement significateurs (formes, lignes, couleurs, etc.), l'artiste aura toujours le droit de les exagérer, de les atténuer, de les déformer, non seulement suivant la vision individuelle, suivant les moules de sa personnelle subjectivité (ainsi qu'il arrive même dans l'art réalistE), mais encore de les exagérer, de les déformer, suivant les besoins de l'Idée à exprimer.



Donc, pour enfin se résumer et conclure, l'ouvre d'art, telle qu'il m'a plu la logiquement évoquer, sera : 1° idéiste, puisque son idéal unique sera l'expression de l'Idée;

2° symboliste, puisqu'elle exprimera cette Idée par des formes ;

3° synthétique, puisqu'elle écrira ces formes, ces signes, selon un mode de compréhension générale ; 4° subjective, puisque l'objet n'y sera jamais considéré en tant qu'objet, mais en tant que signe d'idée perçu par le sujet;



5° (C'est une conséquencE) décorative - car la peinture décorative proprement dite, telle que l'ont comprise les Égyptiens, très probablement les Grecs et les Primitifs, n'est rien autre chose qu'une manifestation d'art à la fois subjectif, synthétique, symboliste et idéiste. [...]

Mais est-ce encore tout? Ne manquerait-il point encore quelque élément à l'art ainsi compris pour être vraiment l'art?

Cet homme qui, grâce à son génie natif, grâce à des vertus acquises, se trouve devant la nature, sachant lire en chaque objet la signification abstraite, l'idée primordiale et supplanante, cet homme qui, par son intelligence et par son adresse, sait se servir des objets comme d'un sublime alphabet pour exprimer les Idées dont il a la révélation, serait-il vraiment, par cela même, un artiste complet ? Serait-il l'Artiste? [...]

Il lui faudra, pour être réellement digne de ce beau titre de noblesse - si pollué en notre industrialiste aujourd'hui - joindre à ce pouvoir de compréhension un don plus sublime encore, je veux parler du don $" émotivité, non point certes cette émotivité que sait tout homme devant les illusoires combinaisons passionnelles des êtres et des objets, non point cette émotivité que savent les chansonniers de café-concert et les fabricants de chromo -mais cette transcendantale émotivité, si grande et si précieuse, qui fait frissonner l'âme devant le drame ondoyant des abstractions. Oh ! combien sont rares ceux dont s'émeuvent les corps et les cours au sublime spectacle de l'Être et des Idées pures ! Mais aussi cela est le don sine qua non, cela est l'étincelle que voulait Pyg-malion pour sa Galatée, cela est l'illumination, la clef d'or, le Daimôn, la Muse...

Grâce à ce don, les symboles, c'est-à-dire les Idées, surgissent des ténèbres, s'animent, se mettent à vivre d'une vie qui n'est plus notre vie contingente et relative, d'une vie éblouissante qui est la vie essentielle, la vie de l'Art, l'être de l'Être.



Grâce à ce don, l'art complet, parfait, absolu, existe enfin.



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