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1848 : tous en scène - La révolution de 1848






La révolution de 1848 et la Seconde République jettent les écrivains dans le combat politique. Des trois historiens de 1847, Lamartine et Louis Blanc vont jouer un rôle capital, le premier surtout, à la tête du Gouvernement provisoire. Mais tous, ou presque tous, s'en mêlent, depuis le jeune Baudelaire faisant le coup de feu aux côtés des insurgés de Février jusqu'à George Sand, employée pendant plusieurs semaines comme propagandiste officielle de la République. Lamennais, Lacordaire, Monta-lembert, Quinet, Leroux, Béranger, Proudhon sont élus députés, de même que Tocqueville qui deviendra ministre des Affaires étrangères en 1849. Au moment de l'épilogue - le coup d'État de Louis Napoléon Bonaparte -, c'est encore un écrivain, Victor Hugo, qui se fera le porte-parole de la protestation et incarnera dans l'exil l'idée inflexible de la revanche républicaine.





Les trois pluvieuses



Dix-huit années après l'efflorescence des trois glorieuses de Juillet éclatent les journées pluvieuses de Février, au bout desquelles, pour la seconde fois, la République est proclamée. Malgré les avertissements de Tocqueville, la révolution de Février est inattendue. C'est que Louis-Philippe, contrairement à son devancier Charles X, s'est muré dans une légalité stricte, appuyé sur une majorité parlementaire. Mais la judicieuse distinction établie naguère par Royer-Collard entre « pays légal » et « pays réel » n'a jamais été aussi flagrante : c'est même un divorce qui oppose depuis le début de 1847 la France profonde à l'oligarchie guizo-tine qui tient les rênes. L'impopularité de Guizot, encore desservi par sa personnalité aride, s'est accrue d'année en année. Sainte-Beuve le souligne : « Ce qui l'a perdu, c'est précisément, avec un esprit si supérieur, de n'être point habile, d'être roide, d'être antipathique [...] ; de n'avoir à aucun degré le sentiment de l'opinion publique et populaire, et de l'irriter sans cesse1. » Son refus de toute réforme a mobilisé contre lui l'ensemble de la moyenne et petite bourgeoisie écartée de la citoyenneté active. Les duretés de la conjoncture économique lui sont imputées et incitent les classes laborieuses à soutenir la campagne des réformes, dont Guizot est la cible. C'est de cette campagne des banquets que vont résulter les journées fatales à la monarchie de Juillet.

Au terme d'un mouvement entretenu tout au long de l'année 1847 par les représentants de la gauche dynastique (Odilon BarroT) et le parti radical (c'est-à-dire le parti républicain d'Alexandre Ledru-Rollin, mais le mot est interdiT), un ultime banquet à Paris doit conclure la série des 70 banquets tenus en province. Celui-ci est prévu à Chaillot le mardi 22 février. Le gouvernement se montre d'autant plus inquiet que les organisateurs ont programmé un défilé des convives depuis la Madeleine jusqu'à Chaillot. Le 21 au soir, banquet et « procession » sont interdits. Les députés de la gauche dynastique s'inclinent, mais Lamartine déclare à qui veut l'entendre qu'il se rendra tout de même au banquet. Du reste, l'interdiction arrive trop tard aux oreilles du gros des participants qui, le lendemain matin, s'attroupent comme prévu à la Madeleine. Une foule sans chefs, quelque peu désorientée, bat le pavé sous la pluie. C'est alors que surgissent les étudiants venus du quartier Latin, entonnant La Marseillaise, Le Chant du départ et le Chour des Girondins. La colonne des manifestants, grossie des gens du peuple, des militants des sociétés secrètes et des rituels badauds, se dirige vers le Palais-Bourbon où elle se heurte à la cavalerie alertée. Des accrochages se produisent plus tard aux Champs-Elysées, sur les boulevards, au Châtelet... Les pierres et les chaises volent, on construit les premières barricades.



Le mercredi 23 février, jour de vent et de pluie, la situation est jugée assez sérieuse pour que le gouvernement demande à la troupe d'occuper les principaux points stratégiques de la capitale et mobilise la garde nationale. Fâcheuse décision : la garde nationale est une milice bourgeoise composée largement de boutiquiers et d'artisans, malmenés par la crise et écartés des urnes faute de payer les 200 francs de contribution directe requis. En de nombreux endroits, loin d'assister la troupe et la gendarmerie, elle manifeste sous son uniforme aux cris de : « Vive la Réforme ! », « A bas Guizot ! », et s'interpose entre les forces de l'ordre professionnelles et les insurgés qui, en cette journée du 23 février, ont considérablement renforcé leurs rangs. Cette fois, le roi, pressé par la reine Marie-Amélie, se décide à se séparer de Guizot avant qu'il ne soit trop tard. C'est chose faite dans l'après-midi : Guizot vient annoncer sa démission à la Chambre, tandis que Louis-Philippe confie au comte Mole le soin de constituer un nouveau gouvernement. Pourtant, si cette décision rassure une partie de la garde nationale et la bourgeoisie hostile à Guizot, elle ne suffit pas à désarmer des manifestants qui prennent conscience de leur force à l'est de Paris. Les chefs des insurgés n'ont rien prévu ; échaudés qu'ils sont par les émeutes sans issue des années 1830, ils ne pensent pas les conditions réunies pour tenter un coup de force. L'explosion spontanée du peuple de Paris les remet en selle ; ils vont tenter de canaliser le mouvement à leurs fins. Un drame va soudain servir leurs desseins : une colonne de manifestants venant de la Bastille et se dirigeant vers la place de la Concorde est arrêtée, boulevard des Capucines, par un bataillon de ligne, d'où part un coup de fusil sans qu'aucun ordre ait été donné. La panique s'ensuit ; on tire dans tous les sens. Bilan terrible : on relève une soixantaine de morts et plus encore de blessés. Alors les meneurs, les professionnels de la révolte prennent l'initiative : ils réquisitionnent un tombereau, y entassent une partie des cadavres et s'en vont en procession, éclairant le convoi funèbre de leurs torches, vers l'est de Paris. « Vengeance ! Vengeance ! On égorge le peuple ! » Ébranlée par le massacre, la garde nationale se refuse à exercer même un rôle d'arbitre entre les troupes et les insurgés.



Sur ces entrefaites, Mole renonce et conseille au roi d'appeler Thiers, homme du centre gauche, jouissant d'une certaine popularité. Mais Thiers, consulté, exige du roi la dissolution de la Chambre, qui lui garantirait de rester au pouvoir au lieu de jouer les utilités. Exit Thiers. Le pouvoir est vacant. Le roi résiste. Pour faire tête à l'insurrection, il appelle au commandement des forces de l'ordre le maréchal Bugeaud, par ailleurs député de la Dordogne, en remplacement du général Jacqueminot. C'est une déclaration de guerre aux insurgés, car Bugeaud l'Algérien - comme on l'appelle depuis sa campagne d'Algérie - est surtout, pour les Parisiens, l'homme de la rue Transnonain, celui qui a commandé la répression de 1834 et le massacre des habitants de tout un immeuble - tragique épisode immortalisé par une lithographie de Daumier.



La contre-offensive est déclenchée avant l'aube du troisième jour, le jeudi 24 février. Dans la nuit, le centre de Paris s'est couvert de barricades, on en comptera près de 1 500. Les Tuileries sont encerclées. Bugeaud lance, à partir du Carrousel, quatre colonnes en vue de dégager les principales artères de la capitale, de tenir les points stratégiques : la Bastille, l'Hôtel de Ville, le Panthéon, la Madeleine. Mais les barricades les arrêtent ; Bugeaud, qui a sous-estimé le mouvement insurrectionnel, doit ordonner la retraite de ses troupes sur la Concorde et le Carrousel. Jugeant la situation dramatique, le roi décide de charger du gouvernement Odilon Barrot, chef de la gauche dynastique. Flanqué du général Lamo-ricière que Bugeaud a nommé à la tête de la garde nationale, Barrot se précipite, non sans courage, dans les rues de Paris pour annoncer la nouvelle et calmer les passions. Mais devant la barricade de la porte Saint-Denis, surmontée du drapeau rouge, il comprend, sous les injures, que l'ultime solution orléaniste a vécu. Les insurgés ont pris la situation en main. Au milieu de la journée, Louis-Philippe se résout à signer son acte d'abdication en faveur de son petit-fils, le comte de Paris. En compagnie de la reine, il fuit Paris pour le château de Saint-Cloud ; de là il gagnera la Normandie, d'où il s'embarquera pour l'Angleterre.



Lamartine au pouvoir



Lamartine a été, comme on l'a vu, de ceux qui ont voulu maintenir le banquet du 22 février, malgré l'interdiction gouvernementale : « La place de la Concorde dût-elle être déserte, tous les députés dussent-ils se retirer de leur devoir, j'irai seul au banquet avec mon ombre derrière moi2. » Défense du droit de réunion par un représentant du peuple. Ni plus ni moins. Dans les jours qui suivent, Lamartine ne bouge pas. Mais bien des insurgés pensent à lui : « Il y a en ce moment un homme, écrit Victor Hugo, dont le nom est dans toutes les bouches et la pensée dans toutes les âmes ; c'est Lamartine. Son éloquente et vivante Histoire des Girondins vient pour la première fois d'enseigner la Révolution à la France. Il n'était jusqu'ici qu'illustre, il est devenu populaire, et l'on peut dire qu'il tient dans sa main Paris. »



Quand il arrive à la Chambre des députés, le 24 février, il est tout de suite sollicité par nombre de républicains, dont Marrast, qui le consultent sur la conduite à tenir : régence provisoire de la duchesse d'Orléans ou proclamation immédiate de la République ? Son siège est fait : aucun gouvernement n'aura de force qu'un gouvernement républicain. La régence serait vouée à la fronde populaire ; la République seule a de l'avenir, car seule capable de gagner les suffrages du peuple : « C'est - écrivait-il dans son Histoire des Girondins - le gouvernement de la passion, c'est le gouvernement des crises, c'est le gouvernement des révolutions. » Dans la salle des séances, bientôt envahie par les manifestants, et alors que la duchesse d'Orléans et son fils s'enfuient par une porte dérobée, Lamartine réclame un « gouvernement d'urgence », en attendant l'appel aux urnes de tous les citoyens : « Il importe au peuple, à toutes les classes de la population, à ceux qui ont versé quelques gouttes de leur sang dans cette lutte, de cimenter un gouvernement populaire, solide, inébranlable enfin. » Le principe du suffrage universel, jugé impossible par Guizot un an plus tôt, est revendiqué par Lamartine avec éclat. Il n'a pas fini son discours que surgit une nouvelle vague d'émeu-tiers, hommes du peuple et gardes nationaux mêlés, aux cris : « A bas la Chambre ! Pas de députés ! » L'un des émeutiers a poussé le canon de son fusil dans la direction du bureau. « Ne tirez pas ! Ne tirez pas !, crie-t-on de toutes parts, c'est M. de Lamartine qui parle ! » L'homme abaisse son fusil, mais le chahut ne cesse pas. Le président Sauzet, resté à son fauteuil, dans l'incapacité d'imposer le silence, déclare la séance levée et se retire. Lamartine, resté à la tribune, propose que Dupont de l'Eure, vieux briscard, membre de l'opposition de gauche, prenne la présidence de l'Assemblée. C'est à lui que revient la tâche de lire la liste du Gouvernement provisoire que lui a préparée Lamartine, soit 7 noms, dont le plus à gauche est celui de Ledru-Rollin (il a écarté celui de Louis BlanC). La révolution, oui, mais en douceur : se méfier des socialistes. L'historien des Girondins, inspiré, convaincu de sa mission, est déterminé à mettre en place un régime dont la légitimité soit indiscutable : ce serait la République, assise sur le suffrage universel. Il n'a pas voulu la révolution, il l'assume. Il ne veut pas du socialisme ; il en exorcise la menace par la République.



Mais le pouvoir populaire est ailleurs : il faut aller à l'Hôtel de Ville où les équipes de La Réforme et du National sont elles-mêmes en train d'élaborer une liste gouvernementale. Du Palais-Bourbon à l'Hôtel de Ville, Lamartine est acclamé ; devant la caserne du quai d'Orsay, il s'arrête pour demander aux soldats un verre de vin, symbole de paix, de réconciliation, de fraternisation, après les fusillades. C'est sous la surveillance des manifestants massés aux abords de l'Hôtel de Ville, dans les cris et le tumulte, que la liste définitive du Gouvernement provisoire est dressée et qu'aux 7 membres déjà nommés à la Chambre s'ajoutent 4 autres noms, et notamment ceux de Blanc et d'Albert, censés représenter le socialisme et les masses populaires. Au cours de cette scène tumultueuse, Lamartine oppose aux partisans du drapeau rouge comme emblème de la République le drapeau tricolore, dans une formule que retiendra la légende : « Le drapeau rouge que vous nous rapportez n'a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie. » Par son ascendant, son éloquence, son courage aussi, Lamartine, en dépit des excès de la foule, a réussi à imposer la formation d'un gouvernement modéré, soumis à la ratification des urnes. Il a le sentiment aigu d'avoir sauvé l'ordre social menacé par la rue, en confiant l'avenir du pays au peuple souverain. Il écrira plus tard, dans sa Critique de l'« Histoire des Girondins», en 1861 : «C'était un sauvetage qu'il fallait organiser, sous le nom de République. » Le lendemain, vendredi 25 février, Le Moniteur universel publie une « Proclamation du Gouvernement provisoire au peuple français » : « Un gouvernement rétrograde et oligarchique vient d'être renversé par l'héroïsme du peuple de Paris. Ce gouvernement s'est enfui en laissant derrière lui une trace de sang qui lui défend de revenir jamais sur ses pas.



» Le sang du peuple a coulé comme en Juillet ; mais cette fois ce généreux sang ne sera pas trompé. Il a conquis un gouvernement national et populaire en rapport avec les droits, les progrès et la volonté de ce grand et généreux peuple.

» Un Gouvernement provisoire, sorti d'acclamation et d'urgence par la voix du peuple et des députés des départements, dans la séance du 24 février, est investi momentanément du soin d'assurer et d'organiser la victoire nationale... »

Le lendemain, le même Moniteur universel publie la liste définitive des membres du Gouvernement provisoire : Dupont de l'Eure (président provisoirE), Lamartine (ministre provisoire des Affaires étrangèreS), Alexandre Marie4, Louis Garnier-Pagès5 (maire de PariS), Alexandre Ledru-Rollin6, François Arago7, Isaac Crémieux8, Louis Blanc, Ferdinand Flocon9, Armand Marrast et Alexandre Albert10. La Chambre des députés est dissoute ; il est interdit à la Chambre des pairs de se réunir. Dans son numéro du 27 février enfin, Le Moniteur universel annonce la première mesure de la révolution de Février : l'abolition de la royauté « sous quelque forme que ce soit ». La République est proclamée.

La politique d'Alphonse de Lamartine est parfaitement claire et conséquente. Le 7 mars, à l'Hôtel de Ville, il reçoit une députation de la Société républicaine centrale menée par Auguste Blanqui. Celui-ci réclame l'abrogation des lois de septembre, la liberté totale de la presse, le droit d'association. Lamartine rétorque que le Gouvernement provisoire a devancé ses voux en ce qui concerne la liberté de la presse ; le droit d'association, quant à lui, légitime en soi, appelle néanmoins une réglementation. Mais, quand Blanqui lui demande à lui et au Gouvernement provisoire de surseoir momentanément aux élections, Lamartine s'y oppose : « Mes collègues et moi avons considéré que notre premier devoir, après ce que nous avions fait pour sauver la liberté, était de restituer aussitôt que possible, à la nation elle-même, les pouvoirs que nous avions saisis pour le salut commun, et de ne pas prolonger une minute de plus l'espèce de dictature que nous avions assumée sous l'empire des circonstances ". » Une partie serrée est, en effet, engagée entre ceux qui, comme Lamartine, souhaitent établir un ordre républicain légitime au plus vite et ceux qui, à l'extrême gauche, entendent retarder les élections, qu'ils pressentent redoutables pour leur cause, afin d'accomplir la révolution politique et sociale de leur vou. Le 17 mars, après une nouvelle manifestation de la gauche, le gouvernement concède à Blanqui et aux siens un report des élections, mais symbolique : au lieu du 9 avril, elles auront lieu le 23.



En attendant l'affrontement entre ces deux partis, celui qui compte sur le peuple souverain et celui qui compte sur la rue, la France connaît une période euphorique de fraternisation qu'on a baptisée rétrospectivement « l'illusion lyrique ». C'est le moment où des kyrielles de députations se succèdent à l'Hôtel de Ville, tantôt pour revendiquer, tantôt pour exprimer leur soutien, mais aussi pour offrir des dons à la jeune République. Députations des villes et des villages, députations de toutes les corporations, des ouvriers en nacre jusqu'aux charbonniers du IIe arrondissement, aux marchandes de poisson à la halle, aux bonnetiers de Paris, députations des sourds-muets, des loges maçonniques, du Consistoire des israélites de France, des pêcheurs de Meudon, des décorés de Juillet, du commerce des huîtres, de la brasserie de Paris, des nègres et mulâtres des colonies françaises, des créoles de la Réunion, des lycéens et des étudiants, députations de toute nationalité résidant à Paris : belge, irlandaise, allemande, hongroise, norvégienne, portugaise, polonaise... A chaque fois, un membre du Gouvernement provisoire les reçoit, leur prête une oreille attentive, les encourage, y va de son discours, tandis qu'aux portes de l'Hôtel de Ville piaffent les autres, ceux qui veulent entrer, précédés de leurs banderoles et oriflammes... Tous les soirs, dans les clubs qui ont refleuri dans Paris et les grandes villes, on expose des plans de réforme, on parle de Jésus le premier socialiste, on appelle au soutien des Polonais contre les Russes...



Le 6 mars, Michelet reprend son cours au Collège de France. Depuis les journées de Février, son appartement ne désemplit pas. On le sollicite, on le pousse à se présenter aux élections ; il se laisse un moment séduire par le groupe de La Réforme qui l'inscrit sur sa liste du département de la Seine. Comme Lamartine, il veut des élections rapides, pour faire pièce à l'émeute, grosse de la dictature, et pour éviter qu'on n'accorde du temps à la réaction des légitimistes et des prêtres dans le Midil3. Quinet, autorisé lui aussi à reprendre son cours au Collège de France, y prononce une allocution de circonstance le 9 mars : « Au nom de la République, nous rentrons dans ces chaires. La royauté nous les avait fermées, le peuple nous y ramène. Grâces soient rendues à ce grand peuple de braves, ouvriers, gardes nationaux, citoyens de toutes les classes, jeunes gens de toutes les écoles, à vous tous compagnons d'armes qui, sur le champ de bataille du droit et de la justice, venez d'ouvrir au monde une ère magnanime. » La suite illustre parfaitement l'esprit « quarante-huitard » : « La royauté croyait avoir formé deux peuples ennemis ; mais ils se sont reconnus dans les barricades, et j'ai vu de mes yeux la fraternité s'asseoir dans le palais des Tuileries au moment où chacun emportait un débris du trône. La voix de Dieu a prononcé !... Partout, à ce moment, la France fait avec nous le serment de fidélité à la république. »



Dans les provinces comme à Paris, on plante des arbres de la liberté, que les prêtres, sans nostalgie de la monarchie de Juillet, bénissent, acclamés par leurs ouailles. Tocqueville, en regagnant son département de la Manche à la mi-mars en vue des élections annoncées, constate le changement : « Je fus frappé aussitôt d'un spectacle qui m'étonna et me charma. Une certaine agitation démagogique régnait, il est vrai, parmi les ouvriers des villes, mais dans les campagnes tous les propriétaires, quelles que fussent leurs origines, leurs antécédents, leur éducation, leurs biens, s'étaient rapprochés les uns des autres, et ne semblaient plus former qu'un tout ; les anciennes haines d'opinion, les anciennes rivalités de caste et de fortune n'étaient plus visibles. Plus de jalousies ou d'orgueil entre le paysan et le riche, entre le gentilhomme et le bourgeois ; mais une confiance mutuelle, des égards et une bienveillance réciproques. » Et, de cette apparente réconciliation, il conclut : « On eût dit que le gouvernement républicain était devenu tout à coup, non pas seulement le meilleur, mais le seul qu'on pût imaginer pour la Francel5. » Plus tard, Flaubert, se souvenant de ces effusions que la peur sociale avait fait naître, peindra dans L'Education sentimentale le salon conservateur de M. Dambreuse, grand financier occupé de faire disparaître les signes extérieurs de sa richesse (il congédie trois domestiques et vend ses chevauX), débordant soudain de sympathie pour les socialistes (il lit consciencieusement leurs journaux et s'offre une toile révolutionnaire d'un symbolisme écrasanT), et allant «jusqu'à reconnaître que Proudhon avait de la logique ».

Cependant, derrière cette savoureuse mais trompeuse réconciliation des classes sociales, la lutte politique se poursuit, animée de sentiments contradictoires. Chez les uns, peur du communisme ou simple refus du désordre ; chez les autres, volonté de fonder une république démocratique et sociale. L'extrême gauche ne démord pas de sa volonté de faire ajourner les élections et organise, à cet effet, une manifestation à Paris, le dimanche des Rameaux, 16 avril. Lamartine, hostile à la dictature de la bourgeoisie industrielle autant qu'imperméable aux menaces socialistes, entend bien rester sur la ligne qu'il s'est fixée : ne pas retarder les élections, proclamer officiellement la République, régime légitime devenu régime légal, base d'un ordre social où les démunis auront leur part sans attenter à la propriété.

La journée du 16 avril a-t-elle été un piège, une machination, une provocation bien organisée afin de mettre hors du jeu l'extrême gauche, si forte à Paris ? Toujours est-il que la manifestation, appelée au Champ-de-Mars par Louis Blanc, et qui doit porter une adresse à l'Hôtel de Ville en vue de l'établissement d'une république démocratique et sociale, est arrêtée net par les bataillons de la garde nationale, puis submergée par une contre-manifestation républicaine. Lamartine, qui n'a pas craint de grossir le danger, de le dénoncer, et d'en appeler à l'esprit civique des bons citoyens, recueille les fruits de la fermeté gouvernementale et du soutien populaire. A ceux qui viennent l'acclamer à l'Hôtel de Ville, il déclare : « On avait rêvé, dit-on, d'attaquer le Gouvernement provisoire... ; on avait proclamé en sa place un comité de salut public ; on voulait le scinder et jeter l'anarchie dans son sein ainsi que dans l'opinion du pays. Nous ne doutions pas qu'au premier bruit d'un semblable attentat tous les bons citoyens ne se réunissent pour le défendre... » Sur quoi, les membres du Gouvernement provisoire, Lamartine en tête, descendent sur la place de l'Hôtel de Ville, où ils sont acclamés, tandis qu'on crie « A bas les communistes ! ». Même Blanc est là ; le vieux Dupont de l'Eure s'appuie sur son bras ; partout où ils passent, les gardes nationaux leur présentent les armes. Quelques jours plus tard, Lamartine écrit à ses nièces : « Les grands dangers pour la patrie et pour la propriété sont conjurés !» Il a été, lui, le puissant rempart de l'ordre républicain. Les élections qui auront lieu - c'est confirmé - le dimanche de Pâques, 23 avril, seront pour lui un triomphe.



Les élections de la Constituante



Oui, un triomphe pour Lamartine, ces élections au suffrage universel. On vote au scrutin de liste départemental, mais les électeurs peuvent barrer et ajouter des noms, la seule règle étant de respecter le nombre des sièges à pourvoir. C'est au chef-lieu du canton que se déroule le vote, où les électeurs se rendent par commune, accompagnés de leur maire et souvent de leur curé. Tocqucville, parmi bien d'autres, nous a laissé un éloquent récit :

« Nous devions aller voter ensemble au bourg de Saint-Pierre, cloiong d'une lieue de notre village. Le matin de l'élection, tous les électeurs, c'est-à-dire toute la population mâle au-dessus de vingt ans, se réunirent devant l'église. Tous ces hommes se mirent à la file deux par deux, suivant l'ordre alphabétique ; je voulus marcher au rang que m'assignait mon nom, car je savais que dans [les] pays et dans les temps démocratiques, il faut se faire mettre à la tête du peuple et ne pas s'y mettre soi-même. Au bout de la longue file venaient sur des chevaux de bât ou dans des charrettes des infirmes ou des malades qui avaient voulu nous suivre ; nous ne laissions derrière nous que les enfants et les femmes ; nous étions en tout cent-soixante-dix. » Tocqueville, invité à parler au moment d'une pause, fait une harangue pour prévenir ses concitoyens de ne pas se laisser circonvenir par des gens du bourg, les prier de ne pas se désunir... « Ils crièrent qu'ainsi ils feraient et ainsi ils firent. Tous les votes furent donnés en même temps, et j'ai lieu de penser qu'ils le furent tous au même candidat. » A Paris, dans les jours suivants, Tocqueville apprend qu'il a obtenu environ 110 000 suffrages sur 120 000 votants, arrivant troisième des élus de la Manche.



Lamartine, quant à lui, est élu dans 10 départements. A Paris, il est le premier des 34 élus du département de la Seine, avec près de 260 000 voix. En huitième position arrive Béranger. A soixante-huit ans, son nom, toujours vénéré, revient dans chaque discours de la campagne électorale. En février, sollicité pour participer à une Commission au ministère de l'Instruction publique, il accepte. Au moment de la campagne, des délégués de divers arrondissements se rendent chez lui, à Passy, pour tenter de le persuader de faire acte de candidature. Il leur oppose un refus cordial. Et le voilà élu, sans l'avoir voulu, arrivant juste derrière des membres du Gouvernement provisoire et le maire de Paris. Le 4 mai, il se résigne à siéger à la première séance de l'Assemblée, au cours de laquelle Dupont de l'Eure le prend dans ses bras en descendant de la tribune, mais Béranger démissionne bientôt malgré les efforts de ses partisans pour le retenir.

A noter encore parmi les 34 candidats heureux du département de la Seine : Philippe Bûchez, 17e, Louis Blanc, 27e, Agricol Pcrdiguier, 29e. Le dernier élu parisien. Félicité Lamennais, arrive 34e, avec un peu moins de 105 000 voix. Félicité Lamennais a alors soixante-six ans ; depuis le 27 février, il publie un nouveau journal. Le Peuple constituant, auquel Lamartine rendra hommage : « Ce journal dépopularisail la guerre, la démagogie, les doctrines antisociales. Le nom de Lamennais si modéré alors intimidait les excès et fulminait les chimères. » Les deux hommes font cause commune, se voient, dînent ensemble, et se méfient de Louis Blanc. Comme celui-ci préconise la discipline de vote en révoquant le panachage, Lamennais le réfute, le 24 avril, dans un article «Aux ouvriers » : « Êtes-vous ou n'êtes-vous pas libres ?... La première fois que vous exercez votre droit politique, on vous assemble d'autorité, on vous met dans la main une liste que vous n'avez ni discutée, ni même pu lire, et l'on vous dit impérativement : "Jetez cela dans l'urne." On fait de vous... je ne sais quoi de semblable au singe de la foire dressé par des bateleurs à tirer des billets du fond d'un bonnet. » La suite est directement hostile à Blanc : « Non, ce n'est pas le travail que l'on organise, mais l'esclavage des travailleurs. »

Élu, de justesse, mais élu tout de même, ce dont ne peuvent encore se prévaloir Hugo, Leroux, Sue, Considérant, Cabct, ou Michelct, tous arrivés derrière lui dans l'élection parisienne, Lamennais se pique d'avoir des idées constitutionnelles, publiant dès le 4 mai, date de la première séance de l'Assemblée nationale, un projet de Constitution, qu'il a lu auparavant dans le salon de Marie d'Agoult, devant un Lamartine assez peu convaincu. Les deux hommes s'opposent notamment sur la décentralisation, dont le Breton est un ferme partisan. Élu au Comité de Constitution, Lamennais s'emploie à défendre les libertés locales, soutenu en cela par Tocqueville, mais contré par Marrast, de « la race ordinaire des révolutionnaires français, écrit l'auteur de De la démocratie en Amérique, qui, par liberté du peuple, ont toujours entendu le despotisme exercé au nom du peuple ». Le lendemain de cette discussion, le 23 mai, Lamennais donnera sa démission. Tocqueville, son allié, lui demande de revenir, mais Lamennais reste inflexible : « Ce sont surtout, note Tocqueville, les prêtres défroqués qu'il faut considérer si l'on veut se faire une idée juste de la puissance indestructible et pour ainsi dire infinie qu'exercent l'esprit et les habitudes cléricales sur ceux qui les ont une fois contractés. Lamennais avait beau porter des bas blancs, un gilet jaune, une cravate bariolée et une redingote verte, il n'en était pas moins resté prêtre par le caractère et même par l'aspect16. »

Michelet, lui, est arrivé au centième rang des élections parisiennes. Malgré quelques velléités, il n'a donné son nom à aucune liste. On sait pour qui il a voté : outre les 11 membres du Gouvernement provisoire, on trouve dans la liste qu'il a laissée dans ses papiers les noms de Béranger, Lamennais, Leroux, Perdiguier, mais aussi ceux de quelques préfets et généraux, dont Cavaignac. Au total, une majorité de républicains modérés, mais aussi un certain nombre de royalistes . Son ami Quinet, lui, a été le quatrième des 9 élus du déparlement de l'Ain. On le voit : malgré quelques échecs, les écrivains et les universitaires sont fort bien représentés dans cette Assemblée constituante. D'autant qu'il faut ajouter à leurs noms ceux qui sortent vainqueurs des élections complémentaires du 4 juin, Pierre Leroux, Victor Hugo et Pierre-Joseph Proudhon.



Entre les élections du 23 avril et la réunion de l'Assemblée, un décret du 27 avril abolit l'esclavage « dans toutes les colonies et possessions françaises ». Cette mesure ultime du Gouvernement provisoire met en valeur la personnalité de Victor Schoelcher, qui en a été l'artisan passionné. Jeune homme, il avait fait naufrage en se rendant au Mexique, et avait fait une escale imprévue à la Martinique. De cet épisode date sa volonté émancipatrice : 250 000 êtres humains, relevant de l'autorité française, étaient à libérer de leurs chaînes. Sous la monarchie de Juillet, les idées abolitionnistes avaient gagné du terrain ; la révolution de 1848 devait les accomplir. Sitôt nommé sous-secrétaire d'État par Arago, ministre de la Marine et des Colonies, Schoelcher s'est mis en devoir de préparer l'abolition en réunissant et en présidant une Commission spéciale, sans y faire entrer les représentants des planteurs : il y avait à ses yeux une urgence politique, car la révolution parisienne risquait de déclencher une révolte générale des esclaves dans les possessions françaises. Le décret qu'il prépare prévoit l'indemnisation des colons, mais remet à plus tard son règlement. D'un coup, trois siècles d'esclavage sont ainsi abolis, au terme, il est vrai, de longs combats. Victor Schoelcher avait vu juste : avant que la nouvelle du décret n'arrive, la révolte redoutée se produit en Martinique, puis en Guadeloupe. Le décret arrivera le 5 juin pour confirmer l'émancipation. Au firmament de 1848, deux mesures resteront, « immortelles » : l'instauration du suffrage universel et l'abolition de l'esclavage.

Le 4 mai, par un temps magnifique, au Palais-Bourbon entouré d'une foule radieuse, s'ouvre la première séance de l'Assemblée. Moment de liesse, ultimes heures de « l'illusion lyrique ». Les cris de « Vive la République ! » retentissent dans l'enceinte au moment où les hommes du Gouvernement provisoire font leur entrée dans l'immense bâtiment provisoire qu'on a bâti dans la cour du Palais-Bourbon. Dans les jours qui suivent, chacun y va de son discours sur le mandat qui lui a été confié par les barricades de Février. Il revient à Dupont de l'Eure, président, de faire un bilan global de l'action du Gouvernement provisoire au long de ces deux mois d'exercice. Mais Dupont de l'Eure est fatigué, sa voix ne porte pas : Lamartine prend la parole en son nom. Il rappelle le souci que les uns et les autres ont eu d'abréger le plus possible l'interrègne, de convoquer au plus tôt la représentation nationale ; il insiste sur leur détermination : assurer l'ordre et la sécurité de Paris, après la fièvre populaire ; il se félicite d'avoir su convaincre le peuple de préférer le drapeau tricolore au drapeau rouge. Et se flatte des mesures proprement révolutionnaires, à commencer par l'abolition de la peine de mort en matière politique. « En proclamant la République, s'exclame-t-il, le cri de la France n'avait pas proclamé seulement une forme de gouvernement, elle avait proclamé un principe. Ce principe, c'était la démocratie pratique, l'égalité par les droits, la fraternité par les institutions. »



Chaque ministre, par la suite, y va de son compte rendu de mandat, jusqu'à Lamartine qui reprend la parole, cette fois en tant que ministre des Affaires étrangères, pour expliquer sa volonté de paix, non pas une politique pusillanime, incolore, à la manière de la pax philipparde, mais une politique de « dévouement désintéressé au principe démocratique ». Les principes qui le guident ? Le respect de l'inviolabilité des territoires, des nationalités et des gouvernements, l'affirmation de « paix républicaine » et de « fraternité française à tous les peuples ». Si pour beaucoup la volonté de paix est incompatible avec la solidarité des peuples sous le joug, Lamartine ne manque pas de ressources rhétoriques pour surmonter la contradiction : « Nous n'imposons à personne des formes ou des imitations prématurées ou incompatibles peut-être avec sa nature ; mais si la liberté de telle ou telle partie de l'Europe s'allume à la nôtre, si des nationalités asservies, si des droits foulés, si des indépendances légitimes et opprimées surgissent, se constituent d'elles-mêmes, entrent dans la famille démocratique des peuples et font appel, en nous, à la défense des droits, à la conformité des institutions, la France est là ! La France républicaine n'est pas seulement la patrie ; elle est le soldat du principe démocratique de l'avenir18 !» Aider les peuples qui font appel à la France, mais ne pas en être des missionnaires armés.

En ces lendemains d'élections, Lamartine est à son apogée. Sur 900 membres, il peut compter sur l'appui de 500 modérés, face à une droite composée d'environ 250 élus, légitimistes ou « républicains du lendemain», autant de conservateurs dissimulés, et à une gauche de démocrates plus ou moins socialistes de 150 membres. Quel poète dans l'histoire a pu se prévaloir d'un tel succès politique ! Cependant, la solution républicaine de la question sociale est très vite contestée. Les ouvriers des villes se sentent frustrés ; ils redoutent la réaction, la fermeture des ateliers nationaux, une grande idée vide de contenu réalisée après les journées de Février, et qui sont souvent leur seule ressource. C'est ainsi qu'à Rouen, dès le 26 avril, à peine les résultats connus, une manifestation ouvrière, réprimée violemment par la garde nationale, laisse à terre plusieurs dizaines de morts. La République, avant même d'avoir été reproclamée - officiellement cette fois -, va-t-elle pouvoir survivre à la lutte des classes ? Il est remarquable qu'à la Commission executive, succédant au Gouvernement provisoire, si Lamartine est élu, ainsi que Ledru-Rollin (ce qui déplaît beaucoup à la presse conservatrice, mais Lamartine est encore assez fort pour l'imposeR), ce n'est le cas ni de Blanc le socialiste ni d'Albert l'ouvrier. Comme l'ont redouté les révolutionnaires, le suffrage universel a offert des armes légales à une politique conservatrice. La province, où domine le monde rural, n'est pas au diapason de Paris.



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