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LES VILLAGES ILLUSOIRES


Poésie / Poémes d'Emile Verhaeren





Biographes et critiques de Verhaeren, après avoir eu recours à la fable de la « crise morale » pour expliquer la trilogie noire, se devaient d'accréditer celle de la « guérison », attribuée à la rencontre avec Marthe Massin en 1889, hâtivement identifiée avec le « Saint Georges » des Apparus dans mes chemins qui parait la même année que Les Flambeaux noirs. Paul Aron a souligné le danger de voir la poésie de Verhaeren « comme un enchaînement cyclothymique de « crises » sociales et morales » et d'entretenir entre l'ouvre et la vie du poète une confusion systématique '*. Celle-ci détermine généralement une interprétation des Apparus dans mes chemins comme une ouvre de guérison ou de convalescence qui permettrait de comprendre le passage de la trilogie noire à la « trilogie sociale », constituée par Les Campagnes hallucinées (1893), Les Villes temaculaires ( 1895)l6 et Les Aubes (1898). Outre qu'une telle lecture n'accorde pas la place qui revient aux Apparus dans mes chemins comme recueil de l'ouverture à l'autre el à l'amour annonçant très directement le lyrisme des Heures, elle occulte délibérément le rôle des Flambeaux noirs dans l'évolution de Verhaeren. Car le dernier volet de la trilogie annonce, nous l'avons dit plus haut, une survie par métamorphose qui permet au poète de s'évader hors de l'auto-philie douloureuse grâce à la fusion du moi dans les forces gigantesques qui animent le monde et grâce à la volonté de « se perdre » et de « se broyer » dans « le féroce effort de tous » (FN, « Les Villes»). La ville, dont le thème se développe à travers la trilogie noire, devient « le théâtre d'une nouvelle vie en commun, pleine de contradictions et de promesses, une espèce d'hyper-organisme où les esprits se perdent « en un creuset nouveau » (FA'. « Les Villes »)|7. Or. c'est précisément de l'élargissement et de l'approfondissement de cette thématique que procède la trilogie sociale que Paul Aron propose d'ailleurs d'appeler « trilogie de la médiation ». puisque la ville y fonctionne «comme le lieu alchimique de la transformation du moi » .





Ce qui permet aussi de comprendre pourquoi un recueil comme Les Villages illusoires (1895), qui fait souvent figure d'isolé parmi les grandes séries verhaeréniennes, constitue en fait un autre aboutissement logique du projet élaboré à travers la trilogie noire puisqu'il ne fait que prolonger, en la transformant, la « projection extérieure » qui orientait la démarche du poète dès Les Flambeaux noirs. L'une des conséquences de la perspective idéaliste qui conditionne l'esthétique symboliste, est que toute perception humaine possède, à un certain point, un caractère illusoire. A ce titre, tout village est illusoire puisque toute perception du réel est trompeuse. Pourtant, le point de vue idéaliste ne se limite pas à ce constat de la radicale subjectivité du regard posé sur le monde. Non seulement le monde est ma représentation, mais il est aussi plus que ma représentation. Indice de subjectivité et d'errance, l'illusion permet, elle aussi, de sortir du mythe solipsiste en s'ouvrant à l'hypothèse d'un excès du monde par rapport à la représentation. Tout réel, tout village serait donc illusoire à un autre titre, puisque la notion même de subjectivité permettrait précisément de dépasser les limites de la représentation du moi - d'ailleurs totalement absent du recueil de 1895 - et d'envisager une réalité qui serait toujours en excès par rapport à elle-même. Cest précisément cette virtualité visionnaire - mot-clef du vocabulaire critique et poétique de Verhaeren à l'époque - qui permet d'élargir, d'« illimiter » le réel au-delà de lui-même.

C'est ici qu'interviennent les techniques de symbolisation, d'allégorisation, d'indétermination, de généralisation et d'hyper-bolisation dont Verhaeren fait un large usage dans ses Villages illusoires. Techniques qui permettent d'arracher les personnages choisis (passeur d'eau, meunier, cordier. forgeron, etc.) à leur détermination villageoise pour les grandir aux dimensions du mythe : Persée et Andromède se profilent derrière le passeur d'eau, Chronos derrière le fossoyeur ; à travers le geste des cor-diers transparaît celui, éternel, des Parques ou des Nomes ; la Vieille a peut-être aimé les Nixes et le forgeron rappelle Vulcain ou Siegfried dans la forge du Nibelung. Du coup, ces personnages échappent à l'espace et au temps : le passeur d'eau lutte « depuis longtemps», tandis que celle qui le hèle recule «toujours plus loin » parmi les brumes ; le meunier visionnaire « perdurait, là-bas ». sur sa butte : la vieille sorcière croit en elle « comme une chose éternelle»: le fossoyeur «depuis toujours» «bêche/La terre sèche » ; le forgeron martèle les lames de sa patience « depuis les temps déjà si vieux, que fument/Les émeutes du fer et des aciers sur son enclume ». Ils semblent là depuis toujours, échangent la durée humaine contre une temporalité cosmique qui les fige dans la vieillesse. Le passeur a de « vieux regards hallucinés » : pêcheurs, meunier, forgeron et sonneur sont vieux : la vieille de cent ans «à l'infini se perpétue».

Les effets d'éternisation et d'élargissement abolissent toute possibilité de proximité : ici. rien ne se situe à côté de l'objet principal, tout est dans le lointain, dans un monde à la fois immense et vague « où les routes ne se rejoignent qu'au firmament » (« La pluie »), où les villages se fondent « au loin » et disparaissent dans l'immensité de la plaine, où la neige s'en va « par à travers l'hiver illimité du monde » (« La neige »). La bruyère est «longue infiniment», les taillis «infinissables», les champs « s'illimitent en frayeur », les vols d'oiseaux sont « énormes»...

Le traitement du temps et de l'espace, dans ce recueil, rend irrémédiable la solitude des pêcheurs, du fossoyeur « usé et sans appui », du meunier dont l'âme est « isolée et profonde », des villages «seuls comme la mort». L'incommunicabilité est totale : le passeur ne dit mot ; le meunier « effrayait par le silence/Dont il avait, sans bruit/Tissé son existence » ; le sonneur accourt « la bouche ouverte et sans parole » ; les yeux du forgeron sont remplis « du seul silence » et les fous qui regardent brûler les meules sont « obstinément silencieux ».

Le décor est réduit à quelques éléments dont les principaux feront l'objet d'une personnification particulière que les pièces « à personnage » réalisent déjà : c'est ainsi que dans le poème consacré au meunier, le vent, déjà, « passait comme quelqu'un ». Le silence, avant de s'installer, «dominateur», dans la bruyère foudroyée d'où ses « yeux d'argent et de mystère » fixent les hommes, dardait déjà, dans « La vieille ». sa violence « en des yeux gris, fuyants et brusques ». Les tours. « veuves droites » au bord du fleuve et témoins des efforts inutiles du passeur, deviennent, dans l'avant-dernière pièce du recueil. « clochers comminatoires ». On pourra faire les mêmes observations pour la pluie, le feu. les arbres, les plaines, les moulins qui. tous, font l'objet de personnifications insistantes (« les arbres pleurent et les demeures », (« La pluie ») ; « Tous les villages vermoulus/Criaient, comme des bêtes » (« Le vent »).



Pour bien marquer les correspondances entre le monde moral et le monde physique - nouds centraux de tout processus de symbolisation - Verhaeren use (et parfois abusE) de procédés stylistiques qui assurent la synthèse du concret et de l'abstrait (le forgeron martèle « les pâles lames/Immenses de la patience » ; le fossoyeur «amène et couche en terre/Sa durable misère humaine » ; la neige est « froide d'amour, chaude de haine »). Le procédé, pour être souvent lourd et explicite - Verhaeren assurant le plus souvent la traduction « en clair » de ses symboles -permet aussi de réelles réussites, lorsque l'abstrait s'encastre dans le concret, lorsque la dimension cosmique jaillit du geste particulier. C'est évidemment le cas pour celui du cordier que Verhaeren a pu maintes fois observer dans sa région natale. Le «jeu tournant » que l'artisan fait subir à reculons aux fils de chanvre disposés à perte de vue sur des râteaux suggère la chaîne d'union qui relie tous les états d'existence entre eux et à leur Principe, évoqué discrètement par celui qui meut la roue du monde et « qu'on ne voit pas ». Les « fils lointains » que le blanc cordier-« combine avec prudence » prennent statut de lien ombilical qui lui permet de communiquer avec le passé, le présent et l'avenir. Le geste essentiel du cordier trame ainsi le temps et l'univers de sa chaîne et permet la transmutation de l'artisan en visionnaire.

Une telle réussite, à laquelle il faut joindre celle du passeur d'eau, symbole de l'espoir et de l'effort sans cesse recommencé, celle du forgeron, qui forge l'avenir, ou celle du meunier, qui écoute ce que dit «les bouches d'ombre et d'or» du mystère, permettent de comprendre pourquoi certains ont vu dans cet édifice lyrique le chef-d'ouvre du symbolisme. Verhaeren, en 1913, s'est lui-même expliqué sur la façon dont il avait conçu ce recueil : « J'ai recherché, dans Les Villages illusoires, à créer des symboles non pas avec des héros, mais avec des gens tout simples et ordinaires. Pour éviter le terre à terre et le quotidien, je m'appliquai à grandir leurs gestes et à mettre ceux-ci d'accord avec l'espace et les éléments. L'intervention de la nature me fournit le moyen d'illimiter sur le plan de l'imagination maîtresse ces humbles vies de passeurs d'eau, de sonneurs, de menuisiers, de meuniers et de forgerons».



Le procédé fait pourtant côtoyer dangereusement symbole et allégorie, comme c'est par exemple le cas dans le poème consacré au menuisier. 11 est évident que la conception que Verhaeren pouvait avoir du symbole est fort éloignée de celle de Maeterlinck pour qui « le symbole le plus pur est peut-être celui qui a lieu à l'insu [du poète] et même à rencontre de ses intentions » -°. Dès 1924, L. Charles-Baudouin, dans son essai sur Le symbole chez Verhaeren, avait toutefois noté que la « diversité des images », chez Verhaeren, « empêche le symbole de se stéréo-typer en allégorie, et, au lieu d'étouffer les harmoniques, elle les induit à vibrer tour à tour ». « C'est là, essentiellement » ajoute le psychologue genevois, «le principe de l'école symboliste»-1. On ne peut qu'être frappé, dans Les Villages illusoires, par le travail spécifique du langage qui allie l'efficacité didactique (en gros : celle du discours socialisant que d'aucuns appelèrent même « bolchevisant » 22 à l'authenticité métaphorique. En fait, on assiste à une continuelle résorption du symbolique dans l'imaginaire. Qu'on rattache ou non l'avènement de celui-ci à certains conflits de l'enfance (complexe d'Odipe, nostalgie de la mère et refus de l'autorité paternellE) on ne peut que constater l'existence d'un réseau d'images qui semble tantôt relever des effets de condensation de l'inconscient, tantôt opérer des déplacements qui associent obliquement une filière d'isotopies étrangère à celle qui constitue la symbolisation principale.



C'est ainsi que tout, dans ce recueil, se déroule sous le regard d'une instance maléfique et omniprésente, témoin des efforts du passeur (« Les fenêtres (,..)/Comme des yeux grands et fié-vreux/(...) Fixaient, obstinément,/Cet homme fou »), comme de ceux des pêcheurs (« les mauvais sorts/(...) les guettent, comme des proies »). Maisons et chaumières « regardent le cimetière » (« Le meunier »), mais les « yeux d'or » du moulin du meunier effrayent à leur tour les villageois. La vieille « guette les clos » « par sa fenêtre à poussiéreux carreaux », mais toute vie est à son tour soumise « aux yeux abstraits du silence ». Pour peu qu'on associe la présence maléfique du regard à celle des puissances qui, dans ce recueil, ne cessent de mordre, de fendre, de déchirer, de couper, de creuser, de râper, de limer ou de tarauder, on constatera qu'hommes, bêtes et chaumières s'y disloquent, s'y fragmentent, partent en lambeaux. « s'effiloquent » sous un ciel, qui, lui-même, s'effile « en haillons mous qui pendent ». La terre, elle, ne cesse de bâiller et de s'ouvrir en « trous géants » qui s'élargissent pour absorber les corps déchus et sacrifiés (celui du sonneuR) ou pour offrir, aux yeux des fossoyeurs et des aventuriers, les « cercueils emprisonnés » des mortes qu'on se hâte de déterrer pour apaiser sur elles des désirs inapaisables. Quelle que soil l'interprétation psychanalytique qu'un tel ensemble d'images ne peut manquer de susciter, on observera que le « viol noir » de la sépulture de l'aimée ne se purifie que grâce au feu qui ne se limite donc pas â transmuter en or social « révoltes, deuils, violences et colères », mais se charge aussi de transformer en holocauste propitiatoire la violence de tout désir.

Les Villages illusoires constitue, à bien des égards, une ouvre-pivot. Si le projet du recueil se rattache encore à celui des Flambeaux noirs, l'effort de symbolisation qui procède de la « projection extérieure» engendre ici une forme plus sobre et presque classique. Bien sûr, le plus distrait des lecteurs est toujours obligé de passer par certaines manies du poète, mais celles-ci sont devenues moins spectaculaires : la syntaxe est moins bousculée, les néologismes - toujours présents - se font moins agressifs, la prosodie s'est assagie. Le vers des Villages illusoires, pour être libre, n'en reste pas moins fidèle à certaines règles traditionnelles comme celles de la rime et du vers pair et on note même un retour à l'alexandrin régulier dans les treize quatrains des « Cor-diers ».



L'intention symbolique est évidente, au point de frôler, parfois, le didactisme. Presque chaque poème « à personnage » contient sa propre glose, facile à discerner et à interpréter, ce qui les rend relativement autonomes par rapport à l'ensemble. Ce qui explique pourquoi ce recueil a été si souvent sollicité par les auteurs d'anthologies et de manuels scolaires.

Cest aussi ce recueil qui impose définitivement Verhaeren sur la scène littéraire, tant française que belge. En 1895. le Mercure de France entreprend la réédition des poèmes de Verhaeren. assurant du même coup une large diffusion de son ouvre. Un autre éditeur parisien, Varnier, commande à Francis Vielé-Griffin un portrait du poète pour la célèbre série « Hommes d'aujourd'hui » ; Albert Mockel consacre à Verhaeren une plaquette publiée, elle aussi, par le Mercure de France. L'année suivante, Remy de Gourmont, dans son Livre des Masques, sacre Verhaeren « grand poète », « fils direct de Victor Hugo » et les jeunes de VArt libre de Bruxelles organisent un banquet en l'honneur de leur aîné.



La gloire est en marche et la machine-Verhaeren, â la fois comme produit social et historique et comme corps désirant, est définitivement en place. Comme située sur un lieu d'éminence, elle se fera tour à tour glorification de l'histoire nationale, célébration de la région natale, évocation de l'amour du couple, pro-fération de l'importance du don de soi, hymne de ce qui rayonne dans tout progrès humain et, en présence de la guerre, incitation à la haine et au désir de vengeance. Mais dès lors qu'elle s'expose, elle implique toujours la totalité qui la sous-tend.



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Emile Verhaeren
(1855 - 1916)
 
  Emile Verhaeren - Portrait  
 
Portrait de Emile Verhaeren

Biographie / Ouvres

Emile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local.

A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn

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Chronologie


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