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LAMARTINE, LE NOM D'UN OUBLI


Poésie / Poémes d'Alphonse de Lamartine





par Omar Merzoug



Lamartine, guère plus qu'un nom qui gît au fond de nos mémoires d'écoliers et ne nous parle plus qu'à travers les images d'Epinal et les mythes de l'adolescence. Rarement nom d'auteur se sera tellement confondu avec le prestige de quelques formules - « 0 Temps ! suspends ton vol »... « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé »... Et plus rares se font, semble-t-il, ceux qui savent correctement rapporter ces vers à Lamartine, et ne les attribuent pas à Vigny ou à Musset. Cène situation, faite d'ombre et d'oubli, paraît consubstantielle à la figure du poète et aux représentations que l'histoire littéraire nous en livre. Si Lamartine tient de la vraie poésie, une telle relégation n'en est que plus problématique. C'est donc une enquête digne d'intérêt que de tenter d'en percer les mystères. S'il est vrai qu'il existe des époques où quelque chose s'oublie qui est l'essence même de la poésie, où s'oblitère et s'estompe quelque chose d'afférent au jugement de goût, où le jugement esthétique se trouve enraciné dans les ténèbres, tandis que les soleils de la technique redoublent d'intensité, alors il faut dire que, de tous les arts, la poésie est particulièrement frappée, sanctionnée dans la consistance même de son audience. De cette évanescence de l'écoute, elle se trouve la victime de prédilection, et des poètes du xix* siècle, Lamartine est le plus affecté. L'éditeur des Ouvres complètes résume ainsi cette situation : « S'il a fallu un quart de siècle pour que la Bibliothèque de la Pléiade accueillit après Hugo, après Nerval, après Musset même, le poète de la Vigne et la Maison, un tel délai n'est pas dû au hasard. »





Assurément l'audience de Lamartine brille par sa rareté : il n'y a pas à revenir sur ce diagnostic, qui n'en est même pas un, qui est une donnée de l'expérience la plus banale, un lieu commun. Mon hypothèse serait plutôt celle-ci : avec Lamartine, quelque chose qui ressortit à la vraie poésie, à une inspiration authentique, à des modes de poétiser ne nous est plus donné à sentir et à goûter. Un certain ordonnancement des sons et du sens, une harmonie du vers et une musique de la strophe se trouvent soustraits désormais à notre faculté de juger (Urteilskraft, disait KanT). Il y a trente ans, Etiemble croyait « expliquer » le renoncement de Rimbaud à la poésie par les prodiges de la technique et du machinisme ascendant. Rimbaud aurait, à l'en croire, « vu » que la puissance d'une machine valait bien mieux que tous les alexandrins de la tradition. Je ne crois pas que nous renoncions à Lamartine parce que nous possédons les instruments qui sont censés créer une harmonie supérieure. La vraie question est de savoir si avec l'auteur des Méditations nous ne congédions pas une idée de la poésie désormais défunte, une pratique singulière et finalement une certaine écriture. Ce pourrait 'être une première raison pour laquelle Lamartine est devenu un objet de curiosite archéologique, de snobisme suranné. Il faut toutefois prendre garde à ce que ce décès du goût poétique dont nous sommes les contemporains consentants ne se retourne pas contre nous. Car à enterrer ce goût-là, on produit des veuves et des orphelins qu'il va falloir assister, et qui de ce fait risquent de coûter plus cher, et de peser d'un fardeau plus terrible que les prix des funérailles ou le poids du cercueil. Ce texte vaut plaidoyer pour la poésie, et il comblerait d'aise son auteur s'il était par là même une défense d'un grand poète menacé d'oubli total.



La critique littéraire et Lamartine



De ce discrédit qui, depuis quelques décennies déjà, frappe Lamartine de plein fouet, et dont nous sommes aujourd'hui à même de mesurer les ravages, la critique littéraire française, et plus spécifiquement parisienne, est en partie responsable. En d'autres termes, elle y a largement contribué. A telle enseigne que Lamartine est devenu par une singulière concaténation des goûts l'auteur-tarte-à-la-crème de ladite critique. Certains auteurs semblent faire de l'anathématisation de Lamartine le prélude à leur entrée ou leur intronisation dans la carrière littéraire proprement dite. Etre le fossoyeur de Lamartine semble être le premier jalon à une carrière de critique assurée. Ces articles qui blâment le poète du Lac s'écrivent d'autant plus facilement que Lamartine se trouve être l'objet d'une indifférence générale, et que ses recueils, que nul n'ouvre plus, ont cessé d'interpeller les vivants. Ces exercices où la facilité le dispute à la légèreté, au ton volontiers cérémonieux, se donnent pour cible Lamartine plutôt que Nerval, Baudelaire ou Rimbaud. C'est que, de ces deux derniers auteurs, fleurit un néoconformisme auquel le surréalisme n'a pas peu contribué. Cette sorte de consentement à un goût régnant qui veut que l'on se sente davantage appelé par Mallarmé, Lautréamont ou Apollinaire que par Lamartine doit beaucoup à une lecture tendancieuse de la Lettre du Voyant. II est certain que le jugement de Rimbaud, raide comme une corde de pendu, - le Lamartine « étranglé par la forme vieille » - a fait fortune, et que le « Lamartine quelquefois voyant » n'est plus guère cité que par quelques lamartiniens conditionnels au rang desquels il faut citer Henri Guillemin '. Ainsi considéré, c'est-à-dire lu après (et à traverS) Rimbaud, Mallarmé, Apollinaire, Breton, Lamartine ne pouvait que susciter la commisération et n'apparaître que comme un disciple fidèle de Voltaire et de Pamy '. Je ne crois pas que Rimbaud traitant Racine de l'infamante épilhète de « Divin Sot » ait réussi à éclaircir les rangs des lecteurs de l'auteur de Andromaque '. Mais Lamartine, victime du pavé de l'ours rimbaldien, ne s'en est guère remis, et il faut bien avouer que la restriction que l'auteur du Bateau ivre voulut bien apporter à son énoncé n'a pas eu l'audience attendue. Ce qui est presque tragique dans le cas de Lamartine, c'est que même ceux qui font profession de l'aimer et de le goûter font résonner d'eux-mêmes le cor de l'abandon : « Mais, présentant une édition intégrale des poésies lamartiniennes, je ne puis hélas ! rajeunir grâce à d'ingénieux découpages ou des éclairages trompeurs, ce Lamartine "étranglé par la forme vieille" dont parlait Rimbaud. Mon poète date terriblement. Vivant, il datait déjà... 5 Henri Guillemin, pour sa pari, déclare : « N'en discutons pas, la chose est certaine : l'ouvre littéraire de Lamartine est terriblement imparfaite. Presque jamais, exactement jamais, je crois bien, nous ne pouvons trouver chez lui une de ces suites de vers où tout nous enchante, où rien ne nous heurte, où le miracle de la beauté est absolu. Racine a de ces bonheurs, et Baudelaire et Verlaine et même aussi Victor Hugo. Lamartine, non... » ' L'éditeur de Lamartine conclut : « Quoi d'étonnant si nous ne l'entendons plus, si au bout de vingt vers nous lassent cette allure noblement négligée, ce style né désuet ? »



La critique littéraire ne s'étonne plus. L'étonnement dont Aristote faisait le commencement de savoir, elle prétend avoir les moyens de s'en passer. Ce qui ne l'empêche nullement de délivrer blâmes et honneurs, de prononcer dithyrambes et réquisitoires, et en dernière analyse, de légiférer d'une science sûre et certaine. Quand bien même cette critique déciderait du temps qu'il fait, encore faudrait-il qu'elle accorde à Lamartine le droit de faire la poésie qu'il veut. On a l'impression que certains auteurs Réclameraient presque le droit de récrire certains textes de Lamartine jugés trop désuets. Homère ou Hésiode leur paraîtraient-ils désuets ? Et pourquoi ? Il y a de quoi se poser la question. Et je n'ai jamais lu que l'on fît mauvais accueil à la poésie de Hôlderlin à cause de son style ou que l'on fit reproche à Rilke d'avoir fait des vers classiques alors qu'en France la déconstruction du vers ancien allait bon train, à Rimbaud d'avoir donné dans le Parnasse, à Valéry de préférer une mathématique du vers, à Aragon de continuer à rimer comme si de rien n'était.

A l'égard de Lamartine, la critique est d'une grande injustice. Un exemple 2 « Du plus grand mauvais poète de son temps, il ne resterait presque rien de son vivant s'il n'avait écrit que des vers » écrit Claude Roy 8. L'honnêteté la plus élémentaire oblige à dire que, de toute façon, nous n'en pourrons jamais rien savoir, que ce cas ne se présentera jamais. De plus, le critique est pris en flagrant défaut de goût, et livre de lui-même les dimensiohs de son incompréhensibi-lité. Je ne fais pas reproche 4. Claude Roy de ne pas aimer Lamartine mais de déguiser le caractère axiologique de sa formule en pseudo-certitude apodictique. Car ce jugement, au lieu d'éclairer, égare. Ce qu'il rend incompréhensible, c'est le succès des textes lamartinûms, cette poéticité qu'ont aimée et saluée Hugo, Vigny, Musset et même Rimbaud. Ces hauts patronages ont de quoi faire pâlir, que dis-je, de quoi pulvériser le verdict imprudent de Claude Roy.

Par ailleurs, dire que la vie de Lamartine est plus intéressante à « scruter » que son ouvre ', c'est opérer un renversement qui s'avère plus problématique qu'il y paraît. C'est le propre du biographisme que de procéder à de telles torsions. Le seul sens conséquent que peut recevoir une telle « décision », c'est de conférer à la vie, aux vicissitudes, aux événements de la vie le soin de trancher la portée d'une ouvre. Une telle vision des choses n'est pas seulement fausse, mais elle est dangereuse et ses conséquences néfastes. Les rapports de l'ouvre et de la vie d'un écrivain, poète ou artiste ne ressortissent pas à l'ordre du reflet, de la superposition, ou de la symbiose. Il y a certes des rapports qu'il faut problématiser, dialectiser, penser, et non télescoper les uns sur les autres. Le sens d'une ouvre n'est pas à chercher dans le parcours d'un écrivain, il est à trouver dans le texte même de l'ouvre, et on ne saurait faire l'économie d'une pareille recherche, sauf à engager l'ouvre dans une impasse, en tout cas ailleurs que là où la destinait son auteur, et davantage que son auteur, les lois qui la gouvernent.



Un poète métaphysicien



Ce qui frappe chez Lamartine, surtout le Lamartine des Méditations, mais pas seulement, c'est que la quête métaphy-sique est prégnante. Cette quête dont "Ténvers est une expénênce du Ma let de l'absençe de Dieu est vécue_sous l'aspect du tourment, un tourment fait poème. Je veux dire que ces interrogations métaphysiques dont on pourrait trouver trace à toutes les pages font corps avec une harmonie et une musique qui les fait résonner encore plus fort, et leur donnent plus de portée et plus de tranchant. Lamartine là a de qui tenir : sa lignée, ce sont Novalis et plus encore Byron. Dans son poème intitulé l'Homme, il s'adresse à ce dernier :



(...) J'ai cherché vainement le mot de l'univers

J'ai demandé sa fin à toute créature ;

Dans l'abîme sans fond mon regard a plongé

De l'abîme au soleil, j'ai tout interrogé (...)



Essayez là de dissocier sens et son, musique et discours, et vous n'y parviendrez pas. Ou alors, ce que vous obtiendrez, ce sera un discours fait de sens privé de toute poésie, ou résultat inverse, une poésie que toute inquiétude métaphysique a désertée. Mais la fusion du son et du sens donne une mélodie et une harmonie inimitables. Il n'est pas d'inquiétude ou de souci métaphysique que Lamartine n'ait vécu, ou n'ait fait un jour sien. Mais ces interrogations viennent de loin, elles lui viennent de kGrèce_et de sa culture chrétienne. Dans les Méditations par exemple, la source grecque prédomine et tend à recouvrir l'inspiration chrétienne sans jamais y parvenir complètement - Une pièce comme le Désespoir l'atteste. En revanche, dans la Mort de Socrate et plus tard dans les Harmonies, la coloration chrétienne prend une part de plus en plus grande ; Socrate est peint comme annonçant le spiritualisme chrétien. Cependant dès la fin des Méditations se dessine l'évolution qui va conduire Lamartine à la conversion de 1820. Le cheminemejit de-Lam_artine semble analogue a ce que tut pour Hôlderlin le détournement des dieux, et s'apparente aussi à l'itinéraire de Novalis sans en revêtir tout le poids de pathos.



Chez Lamartine, tous les thèmes de l'interrogation métaphysique sont présents, par exemple, la présence-absence de Dieu :



(...) Mais un jour que, plongé dans ma propre infortune

J'avais lassé le ciel d'une plainte importune

Une clarté d'en haut dans mon sein descendit

Me tenta de bénir ce que j'avais maudit



Puis de nouveau l'absence :



Gloire à toi ! J'ai crié, tu n'as pas répondu

Réveille-nous, grand Dieu, paru et change le monde ;

Fais entendre au néant la parole féconde... (DieU)



Dans leDésespoir, le retrait du Seigneur rappelle explicitement le détournement hôlderlinien :



Lorsque du Créateur la parole féconde,

Dans une heure fatale, eut enfanté le monde

Des germes du chaos,

De son ouvre imparfaite il détourna en face,

Et d'un pied dédaigneux le lançant dans l'espace,

Rentra dans son repos.



Holderlin avait, dans Brot und Wein écrit : Le Père détourna des hommes sa face (« Als der Vater gewandt sein Angesicht von den Menschen... ») et il poursuivait en disant qu'il en résultait un « Trauern », un malheur. La voie était dès lors ouverte au règne des calamités. Tel est le détournement (« Wendung ») hôlderlinien. Y a-t-il trace d'une influence de Holderlin ? La réponse est affirmative. On peut tenir pour acquis que les termes dans lequel le détournement est posé sont les mêmes.

Parmi les autres thèmes métaphysiques dont regorge l'ouvre de Lamartine, il faut citer celui de l'âme et de son immortalité, le mystère de l'existence, la présence du mal. Le thème dè immoralite l'âme est inspiré par une expérience vécue de la disparition de l'être aimé :



Toi qu'en vain j'interroge, esprit, hôte inconnu

Avant de m'animer quel ciel habitais-tu ? (L'Immortalité)



(...) Le mal dès lors régna dans son immense empire

Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire

Commença de souffrir... (Le DésespoiR)



Lamartine, c'est certain, a lu Holderlin. Ces textes comparés ne permettent aucune hésitation.

Les textes que je cite proviennent tous des Méditations. Car, c'est là que, me semble-t-il, culmine l'interrogation métaphysique et que la quête atteint son paroxysme. De cette puissance, le grand texte qu'est la Vigne et la Maison portera plus tard témoignage. Dans les Harmonies poétiques et religieuses par exemple, l'inquiétude métaphysique cède le pas au souci plus spécifiquement religieux. Ce qui l'atteste, ce sont des textes comme Invocation, Aux Chrétiens, Hymne au Christ.



En quel sens Lamartine est-il un poète métaphysicien ? On ne le répétera jamais assez: Lamartine ne met pas en vers des propositions de métaphysique qu'on aurait pu trouver sous la plume de n'importe quel métaphysicien de métier. Lamartine est fondamentalement un poète, et c'est à ce titre et à ce titre seulement qu'il fait droit et s'ouvre à l'expérience métaphysique et à ses tourments. Il n'a pas eu besoin comme le jeune Platon de brûler ses manuscrits pour vaquer à la Sagesse, et en sillonner les « hodoi ». Mais Platon philosophant n'a point cessé d'être artiste : ses descriptions, ses portraits, sa langue sont d'un artiste la brillante facture. Avec Lamartine, c'est la poésie qui se trouve gagnée à la réflexion métaphysique, mais jamais elle ne renonce à son essence, à sa poéticité. L'originalité de Lamartine, c'est de faire résonner un discours authentiquement métaphysique avec de réels moyens d'expression poétique. Ainsi il allie au bonheur et à la beauté de l'« épos » la profondeur du « logos ». Si nous ne goûtons plus le vers lamartinien, c'est que nous sommes plus profondément compromis que nous le pensons dans ce qu'un philosophe actuel ne craint pas de nommer le mathème, pris dans ses rets. La technique triomphante ne souffre ni le partage des faveurs ni l'équilibre des passions.

Ce que l'essayiste ou le critique littéraire aujourd'hui nomme pudiquement l'« éloignement » de Lamartine relève de causes encore plus générales ou plus profondes. Il est étroitement lié au développement de la société française au xix' siècle, à l'évolution des doctrines, au mouvement des idées et des transformations des goûts et des sensibilités. En effet la deuxième moitié du xix' siècle, celle où en gros la gloire et l'audience de Lamartine commencent à décliner, a vu l'essor du machinisme et de l'industrie, l'apparition d'une classe nouvelle, la bourgeoisie qui, comme le dit de façon tout à fait percutante Karl Marx « a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste » l0, la promotion de la pensée positiviste qui n'adorait que le dieu de la Science, et renvoyait purement et simplement la métaphysique, la foi, la religion, l'absolu aux calendes grecques. « L'absolu », disait Littré, « est un océan pour lequel nous n'avons ni barque ni voile. » Malgré quelques intuitions remarquables pour un homme de sa provenance, et une évolution politique indéniable, force est de convenir que Lamartine n'a pas su apprécier à leur juste mesure la praxis politique, et les tendances qui se dégageaient, les forces de l'avenir ". Pour n'avoir pas pris garde au fait que le passage de l'ordre poétique à l'ordre politique était infiniment complexe, pour n'avoir pas assuré à cette problématique son déploiement maximal, Lamartine ne pouvait qu'être victime des illusions, des mythes et des idéaux dont la beauté même et la générosité ne pouvaient que faire offense aux détenteurs de capitaux et aux puissances établies. Il ne s'agit pas de faire de Lamartine un révolutionnaire, il y a lieu tout simplement de rappeler certains faits pour permettre de juger Lamartine équitablement, et partant de ne pas s'égarer.



Les vicissitudes de l'action politique



Fidèle à une tradition qui vient d'Heraclite, passe par Platon et surtout par Sénèque, Lamartine ne s'est pas contenté d'être poète, il a également voulu se faire homme d'action, investir l'arène politique pour y faire entendre ses idéaux. « Je sais à présent ce qu'avait voulu faire Lamartine dans la vie politique de son temps et ce qu'il y a fait. Quatre pas dans les nuages et la culbute, fatalement, au bout ? C'est le thème usuel. Il correspond mal à la réalité. » " Il faut donc réviser les mythes et les imageries forcément tendancieuses que nous renvoient les histoires littéraires. « La politique, dans cette existence, a été plus qu'un épisode : une mission à laquelle il s'est consacré... » " Une mission : le mot est pourvu d'une charge religieuse. Mais comment articuler poésie et politique ? On a bien souvent raillé Lamartine en disant qu'il poétisait à la Chambre, autre façon pour dire qu'il vivait dans les nuées, mais le reproche est classique. Plus sérieusement, Marx refuse à Lamartine la possibilité d'une telle liaison : « Lamartine », écrivait-il, « dans le Gouvernement provisoire, ne représentait aucun intérêt réel, aucune classe déterminée ; c'était la révolution de février elle-même, le soulèvement commun avec ses illusions, sa poésie, son contenu imaginaire et ses phrases... » " Ce jugement, qui ne doit rien à la complaisance, relève et signe la sincérité évidente de Lamartine. Que le poète-ministre ne représentait aucun intérêt réel doit pouvoir se lire comme la preuve qu'il refusait explicitement de se lier à aucun des groupes d'intérêts ; ce qui ne signifie pas exactement qu'il était au-dessus de la mêlée, mais qu'il assignait à la révolution des fins qui, pensait-il, devaient être préférées aux querelles des partis et aux divisions des factions. Ce que cette vision doit au romantisme, nous ne le savons que trop, mais que cela ne nous empêche point de juger en toute lucidité, et en accordant à Lamartine ce qu'on accorde d'emblée, du moins dans les régimes de droit, le bénéfice du doute et surtout le droit à l'erreur. Du reste, l'auteur de l'Histoire des Girondins a payé cher, très cher ses opinions et ses refus de faire la politique de la bourgeoisie. « Lamartine s'est fait haïr d'un groupe de gens considérable, et on lui a cassé les reins, voilà le vrai », écrit pertinemment Guillemin. Cela n'enlève rien du reste à sa part de responsabilité dans les massacres de juin 1848. Les fusils de Cavaignac ont déchiré le voile dans lequel les convictions et les idéaux de Lamartine étaient tissés, ils ont lacéré les naïvetés de son humanisme paré de splendeurs cicéroniennes. Ce jour-là, Lamartine nota : « Je suis fini comme homme d'Etat et comme tribun, ce nerf-là est brisé. » Marx a eu cette phrase terrible : « Les fusées lumineuses de Lamartine sont devenues les fusées incendiaires de Cavaignac. » Phrase qui devait sceller pour longtemps les échecs politiques de Lamartine au pilori de l'Histoire. L'attitude politique de Lamartine et ses louvoiements n'illustrent pas seulement son amateurisme et ses utopies, mais aussi les paradoxes d'un humanisme lourd de sanglants lendemains. Toujours est-il qu'après les événements de juin 1848, et la défaite à l'élection présidentielle, la gloire de Lamartine se trouve ternie. Dans les milieux de gauche de ce siècle, Lamartine ne sera pas en odeur de sainteté, et ne se relèvera pas du verdict marxien. « Toute sa politique préparait le massacre qui le fit détester par le peuple » écrit Simone de Beauvoir ,s. Je refuse le droit à ceux qui se sont gravement compromis avec le stalinisme de juger superbement Lamartine. Témoignant en sens inverse d'un même aveuglement politique, et parfois d'une naïveté et d'un romantisme non sans analogie avec ceux de Lamartine, prenant ses rêves débridés et les délires de son imagination pour les lois mêmes de l'Histoire, cette gauche a fait régner la terreur au sein même de l'intelligence, obturé les passages du poétique au politique, imposé par la polémique ses canons esthétiques. Ayons alors la décence de ne pas lui remettre sous les yeux les médiocrités artistiques auxquelles elle a élevé des monuments de louanges et sur lesquelles elle n'a point tari d'éloges.



En réalité, au-delà même de cet aspect quelque peu polémique, quelque chose de plus important se joue dans cette réévaluation de l'ouvre de Lamartine, et partant dans toute oeuvre d'art. Je soupçonne fort une certaine critique de travestir un défaut de jugement de goût en réquisitoire politique. Vouant Lamartine aux gémonies, elle déclare que cet auteur ne vaut pas la peine d'être lu parce que somme toute il a fini par cautionner le massacre des ouvriers insurgés. Cette critique en est arrivée au point de juger de l'art sur des critères politiques. Cela porte le nom d'un grand désastre, comparable à tous égards de l'Affaire Lyssenko, le jdanovisme.



Assujettir l'ouvre d'art au jugement politique, c'est à proprement parler manquer ce qui la constitue en tant que telle, ce sans quoi elle ne serait qu'un dispositif creux et sans valeur. Les règles du discours politique n'obéissent pas aux mêmes lois que celles qui régissent l'ouvre d'art. Si l'on en doute, que l'on veuille bien se reporter à la Critique de la faculté dé juger de Kant. Ce texte, dans sa beauté sèche et sa rigueur acide, convaincra - j'ai la faiblesse de le croire - les plus réticents.

Résumons les quelques raisons pour lesquelles il nous est apparu que l'ouvre de Lamartine se trouvait destinée, ou plutôt menacée par l'oubli. D'abord, Lamartine, contrairement à Hugo et surtout à Baudelaire, est un poète de la campagne et de la nature. Il ne doit par conséquent rien aux modes qui agitent les milieux parisiens et il ne s'en soucie guère. On ne s'est peut-être pas assez demandé pourquoi Lamartine affectait un superbe dédain pour les poètes de métier, ces artisans du vers. Il faut, avant de l'accabler sous l'accusation de poète nonchalant ou complaisant, s'interroger sur le sens que peut avoir une telle attitude. Il me semble que Lamartine résiste d'une certaine façon aux modes de son temps, qu'il refuse d'écrire comme écrit Hugo par exemple. Il s'agirait en l'occurrence d'une résistance qui doit beaucoup au caractère de Lamartine, mais qui se charge d'une signification qui dépasse le moi psychologique, et qui ressortit à des problèmes et des critères d'esthétique. Quoi d'étonnant si engoncés comme nous le sommes dans l'Urbs, nous ne l'entendons plus guère ? Ensuite, il faut bien avouer que le biographisme a causé un tort considérable à l'ouvre de Lamartine. En effet, il est tout à fait arbitraire de juger de la valeur d'une ouvre esthétique à l'aune du moi historique de son auteur. Enfin, les vicissitudes politiques de I-amartine ont achevé aux yeux des contemporains de discréditer son ouvre.



Il n'est que grand temps de revenir sur ces condamnations sommaires et presque ridicules. De dégager Lamartine de la gangue politique, du discours idéologique qui encombre sa mémoire et obture le chemin vers son ouvre si riche et si diverse.






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Alphonse de Lamartine
(1790 - 1869)
 
  Alphonse de Lamartine - Portrait  
 
Portrait de Alphonse de Lamartine


Biographie / Ouvres

Alphonse de Lamartine est né à Mâcon en 1790. Après une enfance passée à Milly, Lamartine voyage en Italie, puis se met au service de Louis XVIII. C'est à cette époque qu'il commence à composer de la poésie. Son premier ouvrage, Les Méditations poétiques, publié en 1820, reçoit un succès retentissant et il n'est pas exagéré d'affirmer que ce livre est le premier recueil romantique de la littératur

Chronologie

Lamartine est né à Mâcon, tout à la fin de 1890 ou au commencement de 1891. Son grand-père avait exercé autrefois une charge dans la maison d'Orléans, et s'était ensuite retiré en province. La Révolution frappa sa famille comme toutes celles qui tenaient à l'ordre ancien par leur naissance et leurs opinions : les plus reculés souvenirs de M. de Lamartine le reportent à la maison d'arrêt où on le m

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