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Alfred de Musset



Simone - Poéme


Poéme / Poémes d'Alfred de Musset





J'aimais les romans à vingt ans.

Aujourd'hui je n'ai plus le temps;

Le bien perdu rend l'homme avare.

J'y veux voir moins loin, mais plus clair;

Je me console de
Werther

Avec la reine de
Navarre.

Et pourquoi pas ?
Croyez-vous donc,

Quand on n'a qu'une page en tête,

Qu'il en faille chercher si long,

Et que tant parler soit honnête ?

Qui des deux est stérilité,

Ou l'antique sobriété

Qui n'écrit que ce qu'elle pense,

Ou la moderne intempérance

Qui croit penser dès qu'elle écrit?

Béni soit
Dieu!
Les gens d'esprit

Ne sont pas rares cette année!

Mais dès qu'il nous vient une idée

Pas plus grosse qu'un petit chien,

Nous essayons d'en faire un âne.

L'idée était femme de bien,



Le livre est une courtisane.

Certes, lorsque le
Florentin

Écrivait un conte, un matin,

Sans poser ni tailler sa plume,

Il aurait pu faire un volume

D'un seul mot chaste ou libertin.

Cette belle âme si hardie,

Qui pleura tant après
Pavie,

Et, dans la fleur de ses beaux jours,

Quitta la
France et les amours

Pour aller consoler son frère,

Au fond des prisons de
Madrid 2,

Croyez-vous qu'elle n'eût pu faire

Un roman comme
Scudéry ?

Elle aima mieux mettre en lumière

Une larme qui lui fut chère.

Un bon mot dont elle avait ri.

Et ceux qui lisaient son doux livre

Pouvaient passer pour connaisseurs;

C'étaient des gens qui savaient vivre,

Ayant failli mourir ailleurs,

À
Rebec, à
Fontarabie,

À la
Bicoque, à
Marignan,

Car alors le seul vrai roman

Était l'amour de la patrie.

Mais ne parlons pas de cela,

Je ne fais pas une satire,

Et je ne veux que vous traduire

Une histoire de ce temps-là.

Les gens d'esprit ni les heureux
Ne sont jamais bien amoureux :
Tout ce beau monde a trop affaire.
Les pauvres en tout valent mieux;
Jésus leur a promis les cieux.
L'amour leur appartient sur terre.



Dans le beau pays des
Toscans
Vivait jadis, au bon vieux temps,
La pauvre enfant d'un pauvre père.
Dont
Simonette fut le nom;
Fille d'humble condition,
Passablement jeune et jolie,
Avenante et douce en tout point,
Mais de l'argent n'en ayant point.
Et donc, elle gagnait sa vie
De la laine qu'elle filait,
Au jour le jour, pour qui voulait.
Bien qu'elle ne pût qu'à grand'peine
Tirer son pain de cette laine,
Encor sut-elle avoir du cour,
Et, dans sa tête florentine,
Loger la joie et la douleur.
Ce ne fut pas un grand seigneur
Qui voulut d'elle, on l'imagine,
Mais un garçon de bonne mine

Dont la besogne était d'aller,

Donnant de la laine à filer

Pour un marchand de drap, son maître.

Pascal, c'est le nom du garçon,

Avait, en mainte occasion,

Laissé son amitié paraître;

Et, soit faute de s'y connaître,

Soit qu'elle n'y vît point de mal,

L'heure où devait venir
Pascal

Mettait
Simone à la fenêtre.

Là, lui répondant de son mieux,

Sans en souhaiter davantage,

En le voyant jeune et joyeux,

Elle montrait sur son visage

Le plaisir que prenaient ses yeux;

Puis, travaillant en son absence,

De tout son cour elle filait,



Songeant, pour prendre patience,
De qui sa laine lui venait,
Et baisant tout bas son rouet,
Non sans chanter quelque romance.
D'autre part, le garçon montrait
De jour en jour un nouveau zèle
Pour sa laine, et ne trouvait rien (
J'ai dit que
Simone était belle)
Qui fût plus tôt fait ni si bien
Qu'un fuseau dévidé par elle.
L'un soupirant, l'autre filant,
La saison des fleurs s'en mêlant,
Enfin, comme il n'est en ce monde
Si petite herbe sous le pied
Qu'un jour de printemps ne féconde,
Ni si fugitive amitié
Dont il ne germe une amourette,
Un jour advint que le fuseau
Tomba par terre, et la fillette
Entre les bras du jouvenceau.

Près des barrières de la ville Était alors un beau jardin,
Lieu charmant, solitaire asile,
Ouvert pourtant soir et matin.
L'écolier, son livre à la main,
Le rêveur avec sa paresse,
L'amoureux avec sa maîtresse,
Entraient là comme en paradis (Car la liberté fut jadis
Un des trésors de l'Italie,
Comme la musique et l'amour).
Le bon
Pascal voulut un jour
En ce heu mener son amie,
Non pour lire ni pour rêver,
Mais voir s'ils n'y pourraient trouver



Quelque banc au coin d'une allée
Où se dire, sans trop de mots,
De ces secrets que les oiseaux
Se racontent sous la feuillée.
Sitôt formé, sitôt conclu,
Ce projet n'avait point déplu À la brunette filandière,
Et, le dimanche étant venu,
Après avoir dit à son père
Qu'elle avait dessein d'aller faire
Ses dévotions à
Saint-Gai,
Au
L'eu marqué, brave et légère,
Elle courut trouver
Pascal.
Avant de se mettre en campagne,
Il faut savoir qu'elle avait pris,
Selon l'usage du pays,
Une voisine pour compagne;
Ce n'est pas là comme à
Paris;
L'amour ne va pas sans amis.
Bien est-il que cette voisine
Causa plus de mal que de bien.
Belle ou laide, je n'en sais rien,
Boccace la nomme
Lagine.
Le jeune homme, de son côté,
Vint pareillement escorté
D'un voisin surnommé le
Strambe,
Ce qui veut dire proprement
Que, sans boiter précisément, 11 louchait un peu d'une jambe 3.
Mais n'importe.
Entrés au jardin,
Nos couples se prirent la main,
Le voisin avec la voisine,
Et chacun suivit son chemin.
Pendant que le
Strambe et
Lagine
Au soleil allaient faire un tour,
Cherchant à coudre un brin d'amour,



Au fond des bois, sous la ramée,
Pascal, menant sa bien-aimée,
Trouva bientôt ce qu'il cherchait,
Une touffe d'herbe entassée,
Et le bonheur qui l'attendait.
Comment cette heure fut passée,
Le dira qui sait ce que c'est;
Deux bras amis, blancs comme lait,
Un rideau vert, un lit de mousse,
La vie, hélas! c'est ce qui fait
Qu'elle est si cruelle et si douce.
Le hasard voulut que ce lieu
Fût au penchant d'une prairie. Çà et là, comme il plaît à
Dieu,
L'herbe courait fraîche et fleurie;
Et comme un peu de causerie
Vient toujours après le plaisir,
Toujours du moins lorsque l'on aime,
Car autrement le bonheur même
Est sans, espoir ni souvenir,
Nos amoureux, assis par terre,
Commencèrent à deviser,
Entre le rire et le baiser,
D'un bon dîner qu'ils voulaient faire
En ce lieu même, à leur loisir;
La place leur devenait chère,
Il leur fallait y revenir.
Tout en jasant sous la verdure,
Le jouvenceau, par aventure,
Prit une fleur dans un buisson.
Quelle fleur?
Le pauvre garçon
N'en savait rien, et je l'ignore;
N'y pouvant croire aucun danger,
Il la porta, sans y songer, À sa lèvre brûlante encore
De ces baisers si désirés,



Et si lentement savourés.

Puis, revenant à la pensée

Qu'ils avaient tous deux caressée,

Il parla d'abord quelque temps,

Tenant cette herbe entre ses dents ;

Mais il ne continua guère

Que le visage lui changea.

Pâle et mourant sur la bruyère

Tout à coup il se souleva,

Appelant
Simone, et déjà

Entouré de l'ombre éternelle;

Il étendit les bras vers elle,

Perdit la parole et tomba,

Bien que ce fût chose trop claire

Qu'il eût ainsi trouvé la mort,

La pauvre
Simone d'abord

Ne put croire à tant de misère

Que d'avoir perdu son ami,

Et le voir s'en aller ainsi

Sans adieu, plainte, ni priète.

Tremblante elle courut à lui,

Croyant qu'il s'était endormi

Dans quelque douleur passagère,

Et le serra tout défailli,

Non plus en amant, mais en frère.

Qu'eût-elle fait?
Les pauvres gens,

Habitués à la souffrance,

Gardent jusqu'aux derniers instants

Leur unique bien, l'espérance;

Mais la
Mort vient, qui le leur prend.

Déjà le spectre aux mains avides

Étalait ses traces livides

Sur l'homme presque encor vivant;

Les beaux yeux, les lèvres chéries,

Se couvraient d'un masque de sang

Marqué du fouet des
Furies.



Bientôt ce corps inanimé,
Si beau naguère et tant aime,
Fut un tel objet d'épouvante,
Que le regard de son amante
Avec horreur s'en détourna.

Aux cris que
Simone jeta,
Strambe accourut avec
Lagine,
Et par malheur vinrent aussi
Les gens d'une maison voisine.
Quand le peuple s'assemble ainsi,
C'est toujours sur quelque ruine.
Ici surtout ce fut le cas.
Ceux qui firent les premiers pas
Trouvèrent
Simone étendue
Auprès du corps de son amant,
En sorte qu'on crut un moment
Que, par une cause inconnue,
Ils avaient expiré tous deux.
Plût au cicll
Telle mort pour eux
Eût été douce et bien venue.
Mais
Simone rouvrit les yeux : «
Malheureuse, dit le boiteux,
Voyant son compagnon sans vie,
C'est toi qui l'as assassiné! »
A ce mot, le peuple étonné
S'approche en foule; on se récrie;
Un médecin est amené.
Il voit un mort, il s'en empare,
Observe, consulte et déclare
Que
Pascal est empoisonné.
A tous ces discours,
Simonette
Ne comprenant que son chagrin,
Restait, la tête dans sa main,
Plus immobile et plus muette
Qu'une pierre sur un tombeau.



Qui devait parler?
C'est
Lagine.
Venant d'une âme féminine,
Un tel courage eût été beau.
Ce qu'elle fit, on le devine;
Elle se tut, faute de cour,
Et, voyant tomber l'infamie
Sur sa compagne et son amie,
Au lieu d'avoir de son malheur
Compassion, elle en eut peur.
Moyennant quoi l'infortunée,
Seule et sans aide contre tous,
Devant le juge fut traînée,
Et là tomba sur ses genoux,
De ses larmes toute baignée,
Et plus qu'à demi condamnée.
Le juge, ayant tout entendu,
Ne se trouva pas convaincu,
Et, soupçonnant quelque mystère,
Voulut, sans remettre l'affaire,
Incontinent l'examiner,
Ne se pouvant imaginer,
Ni que la fille fût coupable,
Voyant qu'elle pleurait si fort,
Ni que le jeune homme fût mort
Sans une cause vraisemblable.
Il prit
Simone par la main,
Et s'acheminant, sans mot dire,
Avec ses gens, vers le jardin,
Lui-même il voulut la conduire
Devant le corps du trépassé,
Afin qu'elle pût se défendre
En sa présence, et faire entendre
Comment le fait s'était passé.
Alors, dans sa triste mémoire
Rappelant son fidèle amour,
Du premier jusqu'au dernier jour,



Simone conta son histoire

Comme je l'ai dite à peu près, -

Bien mieux, car les pleurs seuls sont vrais;

Mais personne n'y voulut croire.

Quand elle en fut à raconter

Par quelle disgrâce inouïe

Pascal avait perdu la vie,

Voyant tout le monde en douter,

Et le juge même sourire,

Pour mieux prouver son simple dire,

Elle s'en vint vers l'arbrisseau

Sous lequel le froid jouvenceau

Dormait, pâle et méconnaissable;

Puis, cueillant une fleur semblable

À cette fleur que son ami

Sur ses lèvres avait placée,

Sa pauvre âme eut une pensée,

Qui fut de faire comme lui.

Fut-ce douleur, crainte, ignorance?

Qu'importe?
Pascal l'attendait,

Ouvrant ses bras qu'il lui tendait,

Dans un asile où l'espérance

N'a plus à craindre le malheur.

Sitôt qu'elle eut touché la fleur,

Elle mourut. Âmes heureuses,

À qui
Dieu fit cette faveur

De partir encore amoureuses,

De vous rejoindre sur le seuil,

L'un joyeux, l'autre à peine en deuil,

Et de finir votre misère

En vous embrassant sur la terre,

Pour aller aussitôt après

Là-haut vous aimer à jamais 1

Or maintenant quelle est la plante
Qui sut tirer si promptement



De tant de délices l'amant,
De tant de désespoir l'amante?
Boccace dit en peu de mots,
Dans sa simplesse accoutumée,
Que la cause de tant de maux
Fut une sauge envenimée
Par un crapaud; mais,
Dieu merci
Nous en savons trop aujourd'hui
Pour croire aux erreurs de nos pères.
Ce serait un cent de vipères,
Qu'un enfant leur rirait au nez.
Quand les gens sont empoisonnés,
Dans notre siècle de lumière.
On n'y croit pas si promptement.
N'en restât-il qu'un ossement,
Il faut qu'il sorte de la terre,
Pour prouver par-devant notaire
Qu'il est mort de telle manière, À telle heure, et non autrement.
Pauvre bonhomme de
Florence, À qui, selon toute apparence,
Dans les faubourgs de la cité
Ce conte avait été conté,
Qui l'aurait voulu croire en
France?
Braves gens qui riez déjà,
L'histoire n'en est pas moins vraie.
Cherchez la plante, et trouvez-la,
Demain peut-être on la verra
Dans le sentier ou dans la haie;
La
Faculté l'appellera
Pavot, ciguë ou belladone.
Ici-bas tout peut se prouver.
Le plus difficile à trouver
N'est pas la plante, c'est
Simone.



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