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Alain Jouffroy



Double envol - Théâtre


Théâtre / Poémes d'Alain Jouffroy





Et d'abord je fus couronnée. Les lits étaient défaits. Toutes les fenêtres, au-dessus des arbres noirs, battaient au vent.

On me revêtit d'une grande tunique de sang. Le genou sur le coussin d'or, j'ai prononcé les mots que dictait le moment en songeant à la main qui, la première fois, se glissa sous ma robe.

Et puis - le regard de cet homme était ma seule arme de combat - je fus consacrée. Les sourires étaient rares. On me baisa les doigts. Mes cils tremblaient.

Il y eut plusieurs barques tout à coup sur la rive. Des cris. On me poussa dans une voiture et le chauffeur ne se tourna pas vers moi. La route suivait le lac en lacets effrayants.



J'étais libre. J'étais femme. J'étais lancée dans un cratère dont je ne sortirai pas. Fustigée, adorée, insultée, je vivais. Mais les portes de l'hôtel furent vite verrouillées. Les domestiques m'encerclèrent au chevet de mon lit dès les premières lueurs du jour.



On surveilla mes mains. On me lava les pieds dans une eau rose. Je fus gavée de bananes et de pâte d'amandes. Je réfléchissais. Cela dura de longs mois, peut-être plusieurs années. Régulièrement, toutes les cinq ou six semaines, on célébrait une fête pour moi. Les fleurs les plus étranges affluaient dans ma chambre. L'homme au regard d'acier me chuchotait : Vous êtez prisonnière, n'oubliez pas. Mais faites ce que vous voudrez. Notre union est sans merci et sans condition. Il venait me voir, parfois, la nuit, et je l'attirais dans mon rêve.

Un jour, je découvris une porte. On me l'avait cachée. On m'avait dit : Ce n'est rien. C'est un placard pour le linge de la cuisinière. Je cherchai la clé. Et j'ouvris. Ce que je vis - c'est la première fois que je peux le dire - : l'homme debout, une femme aux cheveux rouges agenouillée devant lui et lui donnant du plaisir.

Un grand froid envahit soudain la demeure. Le jardin me fit grelotter. Des fleurs de givre, des cubes de glace, partout, et une chienne blanche, silencieuse, prit place à mes côtés. Je la serrai contre moi, médusée.

Ce fut une période de silence où je dérivais au ralenti le long d'un interminable iceberg.

Je me suis tu aussi longtemps que j'ai pu. J'allais chaque jour dans une salle d'attente, les mains croisées sur les genoux, attendant, attendant. Je recevais des lettres d'amis lointains - comprenant mal leur tendresse, leurs allusions, leur enjouement. Chaque jour, l'escalier de ma chambre devenait un peu plus long. Je le montais et le redescendais sans cesse.



J'oubliais l'heure. J'oubliais un livre (Le livre des Quatre Cercles). J'oubliais mes gants (même si je ne sortais pas, je les portais souvent, craignant un contact avec un objet gluant). J'oubliais aussi ma petite brosse à dents en argent. Et puis les voix, dans la pièce voisine, redoublèrent d'intensité. L'homme claqua la porte et je l'entendis pleurer dans la chambre du haut, où il travaillait.



Ces pleurs furent enregistrés.

Quelque chose se déchira en moi. Je sortis nue sur la terrasse, sous le ciel plombé, comme une pierre exposée à la foudre sur une route crépusculaire de Bretagne. Je regardais ma bouche et je pensais à mon sexe fermé. Au loin, les chiens s'accouplaient aux louves. La guerre canonnait près du port. La police filtrait les voitures sur la route.

C'est alors que je pris ma décision. Je sortis et longeai la longue file de l'enterrement. Les hommes me regardaient derrière les vitres de leurs longues limousines noires. Il pleuvait. J'ai marché longtemps, sans m'inquiéter.

Quand j'eus oublié mon nom, ma maison, ma naissance, mon enfance, mes soucis quotidiens, quand j'eus oublié la porte interdite et la chienne blanche, je montai au hasard dans la première voiture et j'embrassai violemment son conducteur. Il me regarda comme s'il m'attendait. Il me dit : Il y aura une pluie de comètes cette nuit. Venez la voir avec moi.

Il ne s'étonna pas de ma nudité, sous mon manteau d'été. Il ne s'étonna pas de ma docilité. Quand il atteignit le carrefour, il me demanda : À droite ou à gauche ? et calmement, sans hésiter, je tournai la tête vers la droite, vers la mer, où la marée haute nous attendait depuis si longtemps.

Je lui appartenais. Il regardait mes mains. Il me disait : Vos yeux sont fous. Vos lèvres, vos doigts aussi sont fous. J'aime tout ce qui est fou en vous.



Je me sentais respectée.

Violée, mais consentante, et respectée jusqu'à l'instant du viol, je me donnai et m'abandonnai à lui sans remords, sous la pluie des comètes. Je le vénérais.






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Alain Jouffroy
(1928 - ?)
 
  Alain Jouffroy - Portrait  
 
Portrait de Alain Jouffroy


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