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Abdellatif Laâbi

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ABDELLATIF LAÂBI, UN SURCROÎT DE LUMIÈRE


Poésie / Poémes d'Abdellatif Laâbi





Laâbi aurait pu être un poète comme les autres, engrangeant sa petite moisson annuelle de poèmes prudents ou hermétiques. Tout aurait pu l'y pousser : son appartenance, d'abord, à une génération qui, dans le domaine francophone en tout cas, voit déferler sur elle une vague d'hermétisme et de minimalisme, se prévalant bien plus de Mallarmé que de Rimbaud. Son lieu d'origine, ensuite : né à Fès en 1942, il connaîtra - ô combien, et avec quelle intensité - ces terribles « années de plomb » et vivra dans sa chair la « chasse aux intellectuels » entreprise par le cynique Hassan H, ce véritable anti-Senghor qui. au soir de sa vie, déclarait sans état d'âme que l'Afrique n'était pas faite pour la démocratie.



Laâbi aurait donc pu se taire ou, sinon, composer avec le régime, tout au moins parler à voix basse pour ne pas réveiller le despote endormi dans le fauteuil de ses certitudes.



Mais, pour parler simplement, « ce n'est pas son genre » et, dès ses vingt ans. Le Règne de barbarie, son premier livre, éclate comme un tonnerre sur le ciel bleu du Maghreb. Révolte non violente d'un jeune intellectuel, non violent dans les actes mais non dans les paroles. Tel Rimbaud attaquant et détruisant jusque dans ses fondements l'ordre bourgeois, dans lequel il étouffe, Laâbi fourbit ses armes contre un régime oppressif, arbitraire, méprisant. D'entrée de jeu, le Pouvoir ne peut supporter ce porteur de la parole libre et, en bon prédateur, il attend son heure et un prétexte pour croquer ce courageux gibier. Le prétexte sera trouvé en 1972 - non parce qu'Abdellatif a posé une bombe dans un marché ou attenté à la vie de quiconque, mais parce qu'il a l'audace de porter à bout de bras, avec quelques amis, une revue, Souffles, qui veut faire respirer le Maghreb à l'air libre. Le jeune poète, icône de sa génération, paiera alors sa tranquille insoumission de huit ans et demi d'incarcération dure.

Or, qu'avait donc écrit ce poète encore jeune pour provoquer un tel souci d'éteindre et de briser sa voix ?

Ce premier volume de l'ouvre poétique de Laâbi offre une réponse lumineuse à cette question, puisqu'il a pour noyau les poèmes écrits en prison, avec, en amont. Le Règne de barbarie et, en aval, ceux qui montrent que les traumatismes et les révoltes ne s'apaisent pas quand enfin on ouvre au poète les grilles de sa prison.



On aura donc compris très vite que Laâbi n'est pas un littérateur comme le furent tous les post-mallarméens réfugiés dans les amphithéâtres douillets des colloques ou des thèses. Il n'est pas un littérateur, comme ne le furent un Rimbaud, un Lorca, un Char, un Neruda, un Jabès, comme lui confrontés à l'absurdité du monde qui nécessite, pour évoquer l'un d'eux, d'élire en poésie « la fureur et le mystère ». Ces poètes qui, malgré eux emprisonnés dans les anthologies, n'en finissent pas d'en secouer la poussière, portant en leur cour ce qu'Ayguesparse appelait « les armes de la guérison ».

Si Mallarmé disait chercher les mots plus purs de la tribu, le jeune Laâbi, dès ses premiers poèmes, affirme : « Maintenant/je cherche à ma tribu /un langage. » Dès lors se découvre le noyau focal de cette démarche naissante : Laâbi parlera désormais pour son peuple, ce peuple bâillonné par l'illettrisme et la peur ; il parlera en quelque sorte à sa place puisqu'il constate, douloureusement mais obstinément, que ce peuple doit trouver en lui un héraut ou, mieux, un porte-parole : « Des peuples, écrit-il, parcourent ma langue. » Conclusion évidente : pour vraiment lutter et parler contre le règne de la barbarie, il faut parler haut, dans l'éthique quotidienne, tout en sachant que ce que l'on appelle faute de mieux la littérature ne peut trouver sa noblesse et sa raison d'être qu'en se mettant au service et à l'écoute des « frères humains ». Il faut donc, pour parler à hauteur d'homme, «jeter ces livres où [il] a appris l'orgueil ».

Pour dire tout cela. Le Règne de barbarie use d'une écriture déjà personnelle mais qui ne résiste pas toujours au ton oratoire : certes, après ce premier livre, la parole de Laâbi va se décanter, économiser ses moyens afin de rendre ceux-ci plus expressifs et plus efficaces, mais la force poétique qui parcourra toute l'ouvre à venir est déjà bien présente ici. La force, mais aussi ces métaphores et autres bonheurs d'écriture qui permettent à l'écrivain d'instaurer, par la forme, la distance nécessaire par rapport à l'événement. Ainsi écrit-il, par exemple : « Je sommeille [...] une oreille suspendue à la roue du temps. »

Il faut ajouter que ce premier recueil n'est guère marqué par des influences voyantes, ce qui est très remarquable alors que le poète est encore jeune : l'ensemble du livre forme un long tissu, une manière de parole barbare, heurtée, rageuse, sauvage, lyrique, riche, et cependant très maîtrisée, dans l'ivresse furieuse d'un homme jeune qui, ayant arraché le bâillon qui le suffoquait, a le souci de dépasser le slogan pour parler haut et clair, fusionnant à merveille l'état de guerre extérieure à l'état de guerre intérieure. Semi-automatique, l'écriture hallucinée compose un patchwork, une vision en « flashes » de l'écrasement de l'homme par l'homme, du colonisé par le colonisateur. ma race hérisse tes voiles au fond du puits gisent les cornes une balle tes pavés et tes ruelles tes poubelles éventrées la foule tes fontaines publiques tes mangeoires fauchée embargo zone interdite ma race



Si, donc, Le Règne de barbarie fait plus qu'annoncer un nouveau poète Sous le bâillon le poème, paru en 1981 et composé de poèmes écrits en prison, entre 1972 et 1980, en confirme l'envergure. En quelques années, le poète et son écriture ont mûri : moins d'éclats, moins de furie. Toujours intacte, la co 1ère de la rébellion se fait incontestablement plus dense et plus profonde. Les cyniques diront que les terribles prisons marocaines ont traversé cette parole lui ont donné son poids et son intériorité : au tribun succède l'homme de pen sée, dont les drames, applicables à tous ses frères souffrants, trouvent, pour s'exprimer, ce que j'appellerais un lyrisme proximal. Sinistre souvent, jubilanT) parfois, la réalité quotidienne est certes toujours bien présente, mais ce réa lisme est en fusion constante avec une réflexion ou une méditation de l'ordtr du poétique, une réalité elle-même restituée par fragments expressifs et qui apparaît un peu comme une citation dans une partition musicale à laquelle elle apporte du relief ; ce que le poète, qui reconnaît écrire car il lui est « impossi ble défaire autrement », conduit à ce qu'il nomme un « espionnage vigilant et maniaque du réel ».



Écrire.

Dois-je l'avouer. Je n'ai qu'une relative confiance en les mots, quand hier même je les tourne et les retourne dans tous les sens, les prononce à haute voix pour vérifier si le timbre n 'en est pas fêlé, s'il ne s'est pas glissé dans le nombre quelques unités de mauvais aloi. Et quand je les enfile et ordonne, jt dois me relire et me relire pour m'assurer encore que ce quej 'ai écrit n 'est ni ésotérique ni étranger à ce qui est recevable comme le fonds commun de nos peines et espérances.



Sauvé, par la douleur ressentie au plus profond de l'âme et de la chair, le poète, comme on le voit, raréfie ses moyens, va à l'essentiel d'une parole intime et proférée, en un resserrement qui atteint le maximum de l'intensité expressive. Isolé, incarcéré, il parle pour et à ses frères, mais s'adresse aussi à la femme aimée, et l'amour devient désormais, même au plus noir des jours, ur talisman contre l'absurdité du monde ; au cour du tragique naît la sérénité Ajoutons que, dans cet univers poétique, la femme n'est pas seulement une amoureuse éluardienne. Sensible à tout ce qui brime une moitié de l'humanité le poète insiste sans cesse sur le rôle de la femme dans l'art comme dans la société, afin d'en faire une égale, une véritable compagne fraternelle (et on devine tout ce que cette vision est en réaction par rapport à la société dans laquelle il viT).



Et puis tu me revins

Tu étais un peu pâle, amaigrie mais dans tes yeux il y avait une grande tache incandescente où se noyait un petit grain d'inquiétude

Et quand tu es partie et que la nuit enleva les couches superficielles de ma fureur j'ai pris une lettre pour t'écrire et j'ai détaché du vif de ma chair le cri le plus vigoureux de ma fraternité



Autre refuge du prisonnier : le rêve, qu'on ne peut évidemment enfermer.



Il avait réussi à vaincre ses cauchemars

Il était vraiment réveillé et souriait à l'idée de ce rêve dans le rêve dans le rêve ce système de boîtes gigognes cohérent et implacable



Toutefois, le rêve et l'amour ne mènent pas à une manière de passivité sensible ou intellectuelle, bien au contraire : Laâbi sait et proclame que « la parole est urgente, [qu '] elle n 'a jamais cessé de l'être » et qu'il faut en appeler « à un nouveau lyrisme /qui réinsère l'homme/dans nos ouvres de beauté ». Et même quand, comme dans Histoire des sept crucifiés de l'espoir, le portrait accablant de l'aliénation sociale domine - et c'est là, je crois, une des caractéristiques essentielles de son travail -, il usera constamment d'une simultanéité entre l'acte poétique et la réflexion sur le sens et la finalité du poème. Réflexion qui aide le poète à ne succomber ni au larmoiement ni à la nostalgie. Ici. le poème est toujours « en avant », tente à chaque instant de rendre palpable l'Utopie.

Enfermé pendant près de neuf années entre les quatre murs de sa prison, cette « mécanique de haute précision » faite pour détruire les hommes, le poète, par la force des choses - et c'est assez neuf par rapport à son premier recueil -, devient avant tout regard et surtout regard passionné sur les choses les plus humbles et les plus apparemment « non politiques ». Pour mettre ce regard en mots, la parole sourd d'une manière à ce point naturelle qu'on croit entendre Laâbi écrire son poème à l'instant où nous le lisons, avec un naturel cependant parsemé de subtiles métaphores.



Je n 'ai jamais voulu parler de toi cellule de prisonnier tu étais banale atrocement familière comme l'étau qu 'on soulève et dépose à chacun de nos pas mais voilà tu t'imposes à moi aujourd'hui cellule de prisonnier tes cratères de chaux s'animant en bestiaire de carnaval ta porte irrémédiable la mâchoire ricanante du judas ta fenêtre au ciel irréel hélant les nostalgies



Le sommet de ce naturel dans la parole poétique tient peut-être dans ce poème à la mémoire d'Evelyne Serfaty qui, évitant le pathos ou le revendicatif, amène, simplement, presque ingénument le lecteur à hauteur d'homme :



Non, non Evelyne je ne peux pas t'abandonner

à un socle froid où je ne pourrais caresser que la statue pétrifiée de ton héroïsme car je te sens marcher à côté de moi sour inoubliable et dans ma main la chaleur de ta toute petite main hâve et ridée d enfant empêché de grandir tu es vivante



Comme on le voit, si le poème de Laâbi exprime en filigrane une revendication essentielle de liberté et de bonheur, il vient au jour en refusant toute violence, mais doté d'une énergie vitale essentielle. Plongé physiquement et psychiquement dans l'obscur, le poète aspire à la lumière, un mot à la fois dominant et déterminant dans ces poèmes écrits dans l'ombre. Car la lumiere et la solidarité sont les armes essentielles de ces textes écrits à Kénitra. À cela s'ajoute un sens de l'ironie féroce, un humour fait de dérision et de finesse qui apparaît tout à fait comme cette « politesse du désespoir » qui aide à vivre face à ce « peuple jamais soumis » pour qui « le poème ne peut être que dialogue ».



Je vous présente nos talentueux écrivains. Ils sont tous engagés à leur manière. Ça ne coûte pas cher. Une petite oraison par-là, un petit coup de chapeau par-ci à quelque révolution presque triomphante, sans oublier la clochardisation du tiers-monde et les malheurs des immigrés avec Minute. Mais les cafés restent malgré tout leur PC inexpugnable et ils se départent rarement de leur mépris amusé pour ceux qui ne veulent pas se hisser au niveau de leurs tribulations esthétiques.



Discours sur la colline arabe, paru en 1985 et dont les poèmes ont été écrits après la libération du poète et avant son départ pour la France, poursuit et amplifie les conquêtes formelles et intellectuelles du recueil précédent. Le bâillon enlevé, Laâbi parle dans l'ampleur et dans l'urgence et, de plus en plus coupante, de plus en plus présente, l'ironie du propos interpelle les puissants du jour car, note Laâbi, c'est un « discours roide » qu'il inflige par le biais de ces poèmes qui sont « rose de vitriol tatouée / sur le phallus princier ». Étayé par tout un peuple asservi, Laâbi ne craint plus de se tenir au sommet de la colline, d'où il brasse, du corps et des yeux, tout un siècle de brutalité, de barbarie et de bâillonnement dans « la sainte et humaine Inquisition ». Si ce « Discours » se veut moins tourné vers l'intérieur, il est loin, dans son écriture nerveuse, hachée, télescopée, d'oublier le rôle du poète, son urgence de parler dans « ce continent / dont je me suis fait le forçat/et que j'ai construit / pierre par pierre / pour endiguer la barbarie ».

Recueil très musical comme toujours chez Laâbi -ce que je n'ai pas dit encore et qui est pourtant essentiel -, très construit, telle une partition : après l'agitato des premiers textes, qui ne sont pas sans évoquer l'humanisme engagé d'un Ayguesparse, d'un Plisnier ou d'un Maïakovski, soudain les « Pâturages du silence » viennent créer un grand adagio où, pour un temps, la fureur s'apaise, même si, dans leur silence même, dans leurs blancs, ces poèmes contiennent quelque chose à la fois de long et de lyrique. À chaque instant, l'accablement et l'amertume sont niés par un indéracinable espoir


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Abdellatif Laâbi
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